Orientation lacanienne III, 8. ILLUMINATIONS PROFANES Jacques-Alain Miller Douz

Orientation lacanienne III, 8. ILLUMINATIONS PROFANES Jacques-Alain Miller Douzième séance du Cours (mercredi 22 mars 2006) XII J’ai appris en arrivant qu'il y avait eu un petit incident, comme on appelle ça. Je m’enquérrai après ce cours de l’issue qui a été donnée à cette petite algarade. Pour ramener ici, si besoin est, la tranquillité, mais je vois que vous n'en êtes pas dépourvus, je vais essayer de vous donner lecture sous cette lumière qui est plutôt de l'ordre de l'obscure clarté de ce que je viens de relire moi- même d'un petit texte que j'ai commis, qu'on m'a demandé pour un magazine qui se trouvera en librairie, dans les kiosques, consacré à la psychanalyse, qu'on m'a demandé sur l'école française de psychanalyse. Je ne l’ai commis, ce petit texte, qu’après avoir précisé qu’à mon avis, j’étais la dernière personne capable d'exposer ce sujet et qu’en ce qui me concernait, la psychanalyse française se résumait à Lacan, et que ma compétence n'allait pas plus loin. J’ai eu du mal à me faire prendre au sérieux, tellement ça paraissait extravagant, à la personne spécialiste de ces magazines et non pas de psychanalyse, sans quoi elle ne se serait peut-être pas aventurée à faire cette proposition, et nous avons transigé sur la définition suivante que je ne serais pas polémique. Je crois y être parvenu. Ce texte est gros de tout ce que je n'ai pas dit, bien entendu. Il s'est quand même fait entendre puisque j’ai découvert ce matin le titre qui lui avait été donné et qui reflète pas mal ce que j'avais écrit « Lacan seul contre tous. » Alors je pars – je vais gloser un peu – je pars d'un ouvrage qui est arrivé dans le service de presse dans mon bureau, de M. Émile Jalley. Selon M. Émile Jalley, qui a publié récemment une somme sur la psychanalyse aujourd'hui en France, du titre La psychanalyse et la psychologie : Aujourd'hui en France chez Vuibert, Celle-ci - la psychanalyse aujourd'hui - celle-ci est illustrée par - je cite - une trentaine de créateurs de premier plan. Mon commentaire est bref : ouf ! Comment rendre justice à cette foule ? Le plus simple est de chercher l'arbre propre à nous cacher la forêt. Il existe, c'est Lacan. Me voilà introduit à côté de ces 30. Depuis un demi-siècle, à la question êtes-vous pour ou contre Lacan ? résume la psychanalyse française tout entière. Sa mort même, le 9 septembre 1981, n'y a rien changé. Dans les années 20 et 30, beaucoup en France s'impatientaient de l'esprit germanique répandu dans l’œuvre de Freud, on attendait que se lève le soleil du génie latin et qu'il chasse les brumes du Nord. Le jeune Lacan, né en 1901, était, lui, germaniste et sans doute le seul en France à connaître son Freud sur le bout des doigts. Déjà on lui reprochait de ne pas écrire comme il faut, mais à l'allemande. André Breton - on en a le témoignage dans un petit écrit de Breton à l'époque - André Breton fit le voyage à Vienne en 1921. Déception. Voilà comment il décrit sa rencontre avec Freud – j’en donne des éclats - maison de médiocre apparence, petit vieillard sans allure, il n’aime pas beaucoup la France, pauvre cabinet de médecin de quartier. Lacan se garda de faire de même – donc d'aller à Vienne -. C'est quand J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°12 – 22/03/2006 - 2 même, ça reste énorme, l'évitement de Freud par Lacan, à la mesure même de son attachement au texte et à la pratique. Lacan se garda de faire de même, il se contenta d'envoyer sa thèse de psychiatrie sur la paranoïa d’autopunition, 1931, à Freud, qui en accusa réception. Vous vous souvenez peut-être que jadis, j’avais publié le petit carton que Lacan avait reçu de Freud. Le psychanalyste à la française existe-t-il ? Il faut le considérer de l'étranger pour discerner ses traits. L'analyste anglais est un empiriste, il ne connaît que le cas singulier, il est porté au scepticisme à l'égard des idées générales et d'abord des bizarres trouvailles de Freud. L'analyste américain est aussi un empiriste, mais scientiste cette fois. Il souffre mille morts que le résultat de la cure ne puisse être donné preuves à l’appui, evident States. Il met son espoir dans les neurosciences. Quant à l'analyste français, ça se simplifie quand on voit ça de loin, l'analyste français est tenu pour un lettré et pour un subtil lecteur de Freud, on le trouve arrogant. C'est en somme un lacanoïde, une image de Lacan mais plus policé que l'original. Cependant, la discorde des psychanalystes lacaniens et des autres – je ne la fais pas disparaître par irénisme, je la restitue - la discorde des psychanalystes lacaniens et des autres est toujours là qui remue en sourdine. Si peu que l'on sache de la psychanalyse, on sait qu'elle demande des rencontres fréquentes entre l'analyste et l'analysant. On ne dira pas que je ne me mets pas au niveau de ce qu'on suppose d’un public ignorant. Ces rencontres s'appellent des « séances » - entre guillemets. La querelle porte avant tout sur la durée de la séance. Doit-elle être fixe ou peut- elle varier ? Doit-elle être plutôt longue ou plutôt brève ? Pour les lacaniens le moment terminal d'une séance décide par après-coup de son sens, ou non-sens. Terminer à heure fixe lui enlèverait son pouvoir d’éveil. Le non-lacanien, lui, ne veut pas de ce pouvoir discrétionnaire qui lui semble abusif. Il s’oblige à une durée fixe qui connaît néanmoins une baisse tendancielle. De une heure à 55 minutes, puis à trois quarts d'heure, et, chez les audacieux, à une demie- heure. Chacune des parties est attachée à sa façon de faire et aux idées qui vont avec. Chacun apporte ses preuves qui n’en sont pas ou point suffisamment pour convaincre l'autre. Les uns et les autres se regardent en chiens de faïence. Je crois qu’on ne peut pas faire moins polémique que ça. Les petits chiens ne quittent leur posture que si ??? un ennemi commun. Ces derniers temps, ce n'est pas ce qui a manqué. Tout est fait pour diminuer l'influence de la psychanalyse, qui est majeure, et chez les psychiatres et chez les psychologues et chez les psychothérapeutes, et parmi tout le personnel de la santé mentale. Une analyse, on sait quand ça commence on ignore quand ça finit. Il est difficile de rembourser l'acte. Le public veut du psy, l'administration comme les assurances lui en fourniront, un ersatz en les persuadant que c'est encore meilleur. Cet ersatz se sont les thérapies à protocole, dites T.C.C., qui se vantent de faire disparaître la peur des araignées en douze séances de 60 minutes - là j’invente un peu, je n'ai pas vérifié qu'il fallait douze séances de 60 minutes, je me le suis dit en relisant ça. Enfin c'était pour faire valoir la suite - donc ils se vantent de faire disparaître la peur des araignées en douze séances de 60 minutes, le thérapeute apprend en trois jours le tour de main pour faire ça. Je m'étais entendu que je ne serais pas polémique à l'intérieur de l'école française. La nature belliqueuse des psychanalystes trouvant là à s’employer – contre les TCC - ils se ménagent davantage entre eux, sauf quelques fous qu'il y a toujours dans J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°12 – 22/03/2006 - 3 ces sortes d'affaires. C'est en mémoire de tel texte qui m’était parvenu par l'intermédiaire du journal Le Monde. Il reste que ces jours-ci, la psychanalyse en France souffre cruellement - citation : « D'un manque général de grandeur et de poésie ». L'expression est de Renan. C'est ce souffle que lui apportait Lacan. De la grandeur, de la poésie, et aussi une rigueur la plus exacte qui soit. La grandeur. Il ne voyait pas dans la psychanalyse une thérapie - qu'elle est aussi - mais à condition de parler pour parler, non pour autre chose. C'était pour lui un type de lien social tout à fait inédit, fondé sur dire tout ce qui vous passe par la tête et capable, par-là, de faire vaciller les semblants et les tabous dont une société se soutient. La poésie. Ce n'est pas dans la prose de tous les jours que l'analyste apporte son interprétation mais en utilisant les mêmes ressources de la langue que la poésie exploite. La rigueur enfin. L’assise de la pratique est trop étroite, un qui cause l'autre qui écoute et l'oriente de peu de mots. Donc l’assise de la pratique est trop étroite pour que sa théorie soit abandonnée à l’éclectisme, car il serait informe et sans limite. Il lui faut un point de départ et un seul, puis engendrer la suite par démonstration. Dans le cas de Lacan, le point de départ qu'il s'est choisi ou qui lui est arrivé avec « Fonction et champ de la parole et du langage ». Il lui a fallu, uploads/Litterature/ 12-22mars2006illuminations-pdf.pdf

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