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30/03/2018 Michel Leiris http://www.michel-leiris.fr/spip/imprimersans.php3?id_article=130 1/14 My SPIP site : jsgallaire@yahoo.fr [article.php3?id_article=130] Écriture et mise en page dans le « Glossaire » de Leiris le 24 décembre 2004 par Jean-Gérard Lapacherie [mailto:jg.lapacherie@tele2.fr] « Il ressort de la manière même dont je conduis cet écrit que j’ai toujours attaché une importance extrême à ce qui relève du langage », écrit M. Leiris dans Biffures [1 [#nb1]]. À partir des « souvenirs qu’(il) a gardés si nombreux dans le champ des expériences de langage » [2 [#nb2]], il construit son œuvre littéraire. Il aime jouer avec les mots et ses pratiques ludiques, celles du Glossaire, reposent sur une conception particulière du langage, que développent, de façon non dog¬matique, certains paragraphes de Biffures. Elles véhiculent surtout une théorie des signes, qui semble présenter deux aspects privilégiés. Les seules unités que Leiris prend en considération dans la langue sont les mots. II n’est nulle part question de phrase, de syntagme, de discours : parfois, de sons et de lettres. Le langage, pour lui, ce n’est ni la syntaxe, ni l’articulation d’un sens, mais c’est le « monde des mots », essentiellement des noms ou des verbes, qui sont choisis en dehors de tout contexte et ne sont jamais actualisés : non pas « un ravin », ni « ce ravin », mais « ravin ». Le langage, ainsi, est nécessairement ramené aux rapports (poétiques ou imagi¬naires) que peuvent entretenir les mots et le monde. Ce n’est pas une linguistique que contient Biffures, mais une sémiotique, qui s’inscrit dans une problématique traditionnelle (et archaïque ?), celle du mot et de la chose. Cette théorie des signes permet de rendre compte de la tentation « mimologique » et, peut-être, essentialiste, qui parcourt Biffures et le Glossaire. « Les mots » peuvent être en « rapports de stricte intimité (et ce, de toute éternité) avec le fond des choses ». Leiris partage (ou feint de le faire) avec d’autres poètes « l’illusion comme quoi certaine action providentielle (est) intervenue dans l’élaboration du langage parlé pour en faire l’expression adéquate de la vraie nature des choses » [3 [#nb3]]. L’autre aspect des théories de Leiris relève de ce que l’on pourrait appeler un « sémioccultisme ». Les mots sont des « révélateurs » : « Ils furent doués pour moi d’un pouvoir de révélation. » [4 [#nb4]] « J’aurai beau affirmer... que je ne prends pas les mots pour autre chose que ce qu’ils sont et que le matériel sonore... pas plus que la série des symboles avec lesquels nous écrivons, ne possède à mes yeux de valeur en soi - distincte de celle que leur assigne, dans chaque langue, la 30/03/2018 Michel Leiris http://www.michel-leiris.fr/spip/imprimersans.php3?id_article=130 2/14 convention - à chaque instant j’échapperai au cadre que j’ai voulu m’imposer et tous les prétextes me seront bons pour traiter, pratiquement, le langage comme s’il était un moyen de révélation. » [5 [#nb5]] Les mots servent à découvrir des choses cachées et des mystères. Ils font du langage « la dépêche en chiffré que nous envoie l’ambassadeur d’un absolu lointain » et sont « un livre émaillé de vérités premières ». Faire du mot un révélateur suppose que soient suspendues et la relation de dénotation (entre le signe et son référent) et la relation de signification entre le signifiant et le signifié. La convention qui fonde le langage est récusée. De l’alphabet, Leiris écrit qu’« étant typiquement le signe, c’est de n’importe quoi qu’il devait être pris pour signe » [6 [#nb6]]. Autrement dit, il n’y a aucune construction dans le signe et celui-ci peut être mis en rapport avec n’importe quel référent. Le terme « signe », ici, a un sens particulier, d’où toute convention est exclue, celui qu’il peut avoir dans la magie ou l’occultisme. Un signe est la marque visible de la présence de l’invisible, il est le surgissement de l’occulte. Le langage étant ce « à quoi notre vie mentale entière est soudée » [7 [#nb7]], le signe permet à Leiris de se guider à travers « la Babel de son esprit » et, avec ses ramifications, les échos qu’il suscite, il sert de « repère » au poète, dont le but est d’élucider les thèmes de son existence. Tels sont les deux aspects de la sémiotique leirissienne, que nous allons retrouver dans les pratiques « grammatiques » du Glossaire, et qui tient compte de la double nature, parlée et écrite, du langage. Aussi Leiris y ajoute-t-il quelques réflexions sur le graphisme et l’écriture. « Voir » et « entendre » ne sont pas pensés comme antinomiques, bien que Leiris préfère la mise en musique, « plus efficace », à ce qu’il appelle les « artifices typographiques ». La première et les seconds ont une fonction convergente : séparer le texte mis en musique ou celui qui a subi un travail typographique du langage commun, les « nimber d’un prestigieux isolement », leur faire « acquérir un lustre tout spécial ». Sur ce point, Leiris reprend la théorie du langage poétique comme écart et celle de l’art comme élaboration, à laquelle, cependant, il essaie de donner une formulation d’ethnographe, celle des « parades de l’écriture » ou du « cérémonial de communication » : « L’échange le plus vulgaire ne se fait pas sans cérémonie » ; on communique « pour valoriser » ; on fait circuler « pour que la chose nous revienne plus prestigieuse » [8 [#nb8]]. De même, les analyses que Leiris fait des artifices typographiques ne sont pas différentes de celles du code typographique. Les italiques, les gros caractères et tous autres artifices attirent l’oeil et l’esprit. Leur fonction est de souligner, de mettre en valeur. Il est peut-être possible de dépasser ces simples théories du soulignement et d’inscrire ces pratiques dans une problématique de la communication. Quelque chose est communiqué grâce à ces signaux, ne serait-ce que l’importance que le destinateur attache à tel mot ou tel fragment de discours. L’énonciateur est présent ainsi dans son énoncé graphique. Il est là, sur « la page », qui montre et qui assume son discours, réduisant la distance entre lui-même et ce qui est imprimé. L’intégration de ces faits à une théorie de l’énonciation graphique (ou grammatique) permettra d’en rendre compte avec 30/03/2018 Michel Leiris http://www.michel-leiris.fr/spip/imprimersans.php3?id_article=130 3/14 plus de justesse qu’une simple reprise des conceptions des typographes. Parmi les artifices typographiques, Leiris inclut les blancs « dont usent les poètes » et qui « scindent la phrase ». Les blancs s’instituent contre le niveau phrastique ou linguistique. La typographie crée des tensions entre les blancs et le fil des paroles, entre la page et le texte qui s’y inscrit. Artifices et blancs ont une même fonction. Ils permettent aux « paroles écrites de surgir - corps chimiques plus actifs et plus drus, d’être à l’état naissant - de l’invisibilité de la page » [9 [#nb9]]. En dépit d’un vocabulaire à connotations phénoménologique (« être à l’état naissant »), il y a dans ce court passage une théorie grammatique. Rien sur la page n’est visible que le texte imprimé. L’écriture instaure en premier lieu du visible. Sur un fond blanc, le texte est là, matériellement perceptible. Le surgissement des paroles, c’est-à-dire leur inscription sur la page, est assimilé à une transformation chimique. Étant l’objet d’une réactivation graphique, elles gagnent en force et en dynamisme. C’est aussi, selon Leiris, le problème du « nom propre », attribué en propre à un objet, comme les « anis de Flavigny », « qui devient son nom et en fait une sorte de personne » [10 [#nb10]]. Les artifices typographiques et les blancs fonctionnent (par antonomase ?) comme des dénominations propres. Ils font accéder le texte à une existence autonome en lui donnant des marques distinctives. La chose devient alors « un être doué de sa vie propre », « pourvu de sa propre figure » [11 [#nb11]]. Le Glossaire et ses dispositifs graphiques La tentation grammatique, chez Leiris, se caractérise par une utilisation de certaines ressources, généralement négligées dans le texte classique ou « lisible », de l’écriture et de la typographie, pour donner aux lettres et aux mots écrits une relative autonomie et pour en faire autre chose que les supports d’un énoncé verbal. Ainsi, le récit dans Aurora est entrecoupé de tableaux, de dispositifs graphiques d’énumération, de points de suspension, de noms écrits en capitales et détachés du continuum narratif... Le Glossaire renferme aussi un certain nombre de pratiques grammatiques (cet adjectif est pris au sens de relatif à la lettre et à son inscription) : les listes de mots que Leiris se propose de gloser ou les neuf pages figurées, que l’on désignera par le terme de « gloses illustrées ». Pour comprendre les enjeux de ces pratiques, il est nécessaire de les replacer dans le Glossaire et de les rapporter aux significations de cette œuvre. Un glossaire est un dictionnaire qui explique les mots anciens ou peu connus d’une langue ou d’une œuvre littéraire. Leiris cherche à rendre compte de son vocabulaire personnel, « d’élucider uploads/Litterature/ 2004-lapacherie-ecriture-et-mise-en-page-dans-le-glossaire-de-leiris.pdf

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