Victor Hugo – Les contemplations Livre Troisième XXVIII LE POËTE Shakspeare son
Victor Hugo – Les contemplations Livre Troisième XXVIII LE POËTE Shakspeare songe ; loin du Versaille éclatant, Des buis taillés, des ifs peignés, où l’on entend Gémir la tragédie éplorée et prolixe, Il contemple la foule avec son regard fixe, Et toute la forêt frissonne devant lui. Pâle, il marche, au dedans de lui-même ébloui ; Il va, farouche, fauve, et, comme une crinière, Secouant sur sa tête un haillon de lumière. Son crâne transparent est plein d’âmes, de corps, De rêves, dont on voit la lueur du dehors ; Le monde tout entier passe à travers son crible ; Il tient toute la vie en son poignet terrible ; Il fait sortir de l’homme un sanglot surhumain. Dans ce génie étrange où l’on perd son chemin, Comme dans une mer notre esprit parfois sombre. Nous sentons, frémissants, dans son théâtre sombre, Passer sur nous le vent de sa bouche soufflant, Et ses doigts nous ouvrir et nous fouiller le flanc. Jamais il ne recule ; il est géant ; il dompte Richard Trois, léopard, Caliban, mastodonte. L’idéal est le vin que verse ce Bacchus. Les sujets monstrueux qu’il a pris et vaincus Râlent autour de lui, splendides ou difformes ; Il étreint Lear, Brutus, Hamlet, êtres énormes, Capulet, Montaigu, César, et, tour à tour, Les stryges dans le bois, le spectre sur la tour ; Et, même après Eschyle, effarant Melpomène, Sinistre, ayant aux mains des lambeaux d’âme humaine, De la chair d’Othello, des restes de Macbeth, Dans son œuvre, du drame effrayant alphabet, Il se repose ; ainsi le noir lion des jongles S’endort dans l’antre immense avec du sang aux ongles. Paris, avril 1835. uploads/Litterature/ 20210130-victor-hugo-contemplations-2nde-lecture.pdf
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- Publié le Oct 29, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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