L’INTERTEXTUALITÉ AU SERVICE DE L’INTERDISCURSIVITÉ, ÉTUDE DE LA PRODUCTION D’U
L’INTERTEXTUALITÉ AU SERVICE DE L’INTERDISCURSIVITÉ, ÉTUDE DE LA PRODUCTION D’UNE SYNTHÈSE DE DOCUMENTS : À LA RECHERCHE DU « LIEU COMMUN » Notre réflexion a un double point de départ. L'un, théorique, porte sur l'opposition entre activités intertextuelles et activités interdiscursives que nous étudierons à l’occasion de la production de discours «ordinaires ». L'autre, didactique, porte sur la « synthèse de documents » comme épreuve académique et sur la préparation des étudiants à cette épreuve. Ce genre, pour nous explicitement interdiscursif mais très exigeant également d’un point de vue intertextuel comme tous les genres académiques ritualisés, nous semble offrir une bonne illustration de notre propos. Ajoutons qu’il est très fréquemment utilisé dans différents examens et concours académiques français et qu’il est donc décisif pour la réussite universitaire ou professionnelle de beaucoup d’élèves et d’étudiants. C’est plus particulièrement l’épreuve de synthèse de documents, préparée dans les IUFM, et visant à sélectionner les futurs professeurs des écoles que nous prendrons pour cible ici. Mais avant d’aller plus avant, précisons rapidement la nature de l’opposition que nous avons posée d’entrée entre interdiscursivité et intertextualité et sur laquelle nous reviendrons plus tard. Tous deux concernent le fait qu’un discours ne se produit jamais « ex nihilo ». Mais nous posons comme définition liminaire que l’intertextualité consiste en la réutilisation d'éléments langagiers pré- construits de nature et de taille très différents mais qui, dans tous les cas, ne peuvent/doivent être rapportés à aucune source énonciative précise : expressions figées, dictons, genres textuels ... cf. Gülich & Krafft, (1997). Inversement, l’interdiscursivité concerne l’emprunt de (morceaux de) discours à un autre énonciateur qui, déontologiquement, peut/doit être clairement repéré (citation, discours rapporté, hétérogénéité énonciative en général). TITRE OUVRAGE En bref, la synthèse de documents par sa nature polyphonique et dialogique (Bakhtine, 1984; Ducrot, 1984), le nombre de discours d’auteurs distincts qu’elle convoque et qu’elle demande d’assembler en respectant la spécificité de chaque voix, est une activité interdiscursive qui aboutit à un nouveau discours manifestant, en surface, explicitement, cette interdiscursivité. Mais en tant que genre académique, la synthèse se réalise par le réemploi d’une planification, de procédés textuels, d’une phraséologie, etc... correspondant à un savoir-faire général, relevant de l’intertextualité cette fois-ci. C’est ce savoir-faire intertextuel générique, caractéristique du bon étudiant, qui est enseigné explicitement et implicitement et dont on va pouvoir constater la stabilité des manifestations par-delà les variations individuelles. Corpus et situation de recueil de données Notre étude utilise le dispositif de la "rédaction conversationnelle", permettant d'analyser en temps réel, "on line" le processus de production discursive (cf. Bouchard et de Gaulmyn, 1997). Concrètement, nous avons filmé et enregistré deux étudiantes rédigeant ensemble une synthèse de texte. Ces étudiantes préparent le concours de professeur des écoles ; elles ont un niveau d’études égal ou supérieur à BAC + 3. Le recueil des données s’est déroulé en fin d’année universitaire quelques semaines avant le concours. La séance de travail enregistrée s’est déroulée selon le rituel suivant : - un temps de lecture individuelle des textes sources au cours duquel les étudiantes ont souligné/surligné les textes-sources puis pris des notes ; - un temps de rédaction commune que l’on peut diviser en trois moments : o échanges sur le sens des textes o élaboration d’un plan o rédaction de l’introduction. Nous avons filmé et enregistré l’ensemble du travail de rédaction, ce qui représente un corpus oral de près d’une heure trente. Nous avons également recueilli les objets intermédiaires (cf. Krafft, à paraître) : les « traces de lecture » que sont les soulignements et les prises de notes, le plan et le brouillon de l’introduction. La contribution que nous présentons ici s’appuie également sur un deuxième corpus plus large de 30 synthèses dont nous étudierons les introductions. L’analyse des échanges conversationnels du premier corpus nous a amené à constater combien cette partie initiale est enrichissante pour notre réflexion sur l’opposition et l’articulation des concepts d’intertexte et d’interdiscours. Si, pour le deuxième corpus, le sujet est différent, les auteurs de ces synthèses sont également des étudiants préparant le concours de recrutement de professeur des écoles. Notre contribution va donc présenter une analyse : - des introductions de synthèses (produit fini) (premier et deuxième corpus) - des notes prises par les deux co-scripteurs (objet intermédiaire) (premier corpus) - des échanges conversationnels des différentes phases d’élaboration de la synthèse (trace des processus de production) (premier corpus). L’INTERTEXTUALITE AU SERVICE DE L’INTERDISCURSIVITE 1 La dimension intertextuelle dans les introductions: Les introductions présentent toutes des régularités dans leur organisation globale comme, localement, dans leur phraséologie. En ce qui concerne leur organisation globale, elles comportent pratiquement toutes (28 sur 30) quatre parties : - présentation du thème - présentation des éléments du dossier - formulation de la problématique - annonce du plan Cette régularité témoigne de la mobilisation d’une matrice préconstruite, il s’agit donc bien là de la mise en œuvre d’une forme d’intertextualité. Les scripteurs utilisent, pour élaborer leur propre texte, une forme « vide ». Pour « remplir » cette structure vide, ils doivent avoir recours – interdiscursivement - à des fragments du dossier source en particulier les noms des auteurs, les titres des articles et des ouvrages. Nous verrons plus loin que certains ne se contentent pas de faire des opérations de type « copier » / « coller » mais mettent en œuvre des procédures plus élaborées. La copie n° 21 est « prototypique » à cet égard nous y retrouvons en effet la matérialisation de cette matrice préconstruite : De plus les « annonces du plan » témoignent d’un recours à des éléments préconstruits d’une autre nature : il s’agit cette fois de formes « pleines », de constructions et de tournures enseignées explicitement ou implicitement et que l’on peut analyser dans le tableau qui suit. 3 4 TITRE OUVRAGE Tableau n°1 : éléments préconstruits dans les annonces de plan Sujet neutralisé Modalité Verbe d’opération intellectuelle Marqueur d’intégration linéaire Nous * nous demanderons tout d'abord Nous * verrons dans un premier temps … Nous * verrons d'abord Nous * aborderons Et dans un second temps. Nous * regarderons s'intéresser … avant de Nous tâcherons d'étudier … Nous tenterons de répondre dans un premier temps … pour ensuite Nous * traiterons en trois parties …. * la modalité est chaque fois marquée par l’emploi du futur. Ajoutons que ces différents éléments s’associent en des co-locutions qui sont issues de ce préconstruit : Nous nous demanderons tout d'abord quels sont les […] Nous tenterons de répondre dans un premier temps à ces questions en analysant... Nous venons de montrer que les introductions témoignent de la mise en œuvre de procédure d’intertextualité. Si l’on poursuivait l’analyse sur la globalité des synthèses produites, on trouverait au niveau de leur superstructure des mécanismes de planification stables (deux ou trois parties et une conclusion) comme d’autres manifestations d’intertextualité (phrases de transition, d’annonces, de reprise, ...) De l’interdiscursivité à son marquage intertextuel L’exercice de synthèse est un travail de rédaction qui s’articule par essence sur du discours et cela à trois niveaux : - sur le discours prescrivant l’exercice (libellé du sujet) : discours cadre ; - sur les discours des auteurs dont les textes constituent de dossier de synthèse : discours cadrés ; - sur le discours produit par les étudiants-scripteurs (la synthèse elle-même) : discours (en)cadrant dont l’énonciation présente des degrés d’effacement variable1. Le discours (en)cadrant s’élabore à partir du discours cadre et des discours cadrés à l’aide d’outils d’intégration discursive par et à travers les activités métalangagières intermédiaires que sont les soulignements, l’élaboration de notes, de plans, les échanges conversationnels de la production coopérative... L’analyse des parties des introductions consacrées à la présentation du dossier nous conduit à distinguer différentes formes d’interdiscursivité selon le degré de marquage intertextuel : 1 la règle de l’écriture d’une synthèse veut que le « je » soit proscrit. L’INTERTEXTUALITE AU SERVICE DE L’INTERDISCURSIVITE - une forme d’interdiscusivité que l’on pourrait qualifier d’objective consistant en une reprise « brute » du discours cadre. Les lecteurs – scripteurs procèdent essentiellement par des opérations de type « copier / coller ». Ainsi, le scripteur de la copie n°4 ne reprend, pour ce passage de présentation du dossier, que des éléments figurant dans le libellé du sujet : - une forme d’interdiscursivité textualisée qui se base non seulement sur le discours cadre mais prend en compte aussi les discours cadrés. Cette prise en compte des discours des auteurs s’apparente à du discours rapporté aussi bien de dicto que de re. C’est ce dont témoigne la copie n°21 constituée à la fois d’interdiscursivité objective se basant sur le discours cadre ... Le document 1 est un extrait d’Ecrire en français de M.J. Reichler-Béguelin (1988). [...] Michel Charolles dans un extrait de .... ... et d’interdiscursivité textualisée, relation d’un discours cadré : L’auteur nous propose une analyse des difficultés concernant les emplois anaphoriques... - une forme d’interdiscursivité contextualisée résultant d’une mise en relation explicite des différents éléments des discours cadrés mais s’appuyant, en plus, sur des ressources discursives qui ne sont pas matériellement présentes. Elles uploads/Litterature/ 2l-x27-intertextualite-pdf.pdf
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- Publié le Jui 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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