POUR LA GLOIRE DU REICH Marc Schindler « Albert Speer, le vrai criminel de l’Al
POUR LA GLOIRE DU REICH Marc Schindler « Albert Speer, le vrai criminel de l’Allemagne nazie » Hugh Trevor-Roper, historien britannique spécialiste du 3e Reich « Leni Riefensthal, artistiquement, elle est un génie et politiquement, elle est une imbécile » Liam O’Leary, historien du cinéma 1 Introduction Leni Riefenstahl, la cinéaste d’Hitler ; Albert Speer, le ministre de l’Armement du Führer. Deux personnages emblématiques du 3e Reich. C’est le privilège du journaliste de pouvoir rencontrer ces personnalités qui ont fait l’Histoire, de les convaincre de lui laisser raconter leur vie, de lui confier des documents, de lui donner les adresses de leurs amis et de leurs anciens collaborateurs, d’accepter de répondre en direct sur un plateau de télévision aux questions les plus directes. J’ai eu ce privilège à la Télévision suisse romande en faisant le portrait de ces deux acteurs majeurs du 3e Reich pour l’émission Destins : en 1971, Albert Speer, le ministre de l’Armement d’Hitler, et en 1982, Leni Riefenstahl, la cinéaste du Führer. L’émission avait l’ambition de faire le portrait de personnalités qui avaient marqué leur époque, dans les domaines politique, économique, social et culturel. Les producteurs avaient d’abord choisi comme titre de la série : Que sont-il devenus ? Ils avaient vite compris qu’il serait impossible de convaincre un politicien ou un artiste de participer à l’émission, avec un tel titre ! Destins, c’était plus flatteur pour l’estime de soi ! La formule de l’émission était originale. Dans un studio équipé d’un écran géant Eidophore, deux fauteuils, une table basse, devant un décor sobre. L’émission en direct comportait quatre parties : Hier, un rappel de la carrière de l’invité avec des interviews de témoins et des documents d’archives ; En direct, une réaction de l’invité qui découvrait son portrait en même temps que les téléspectateurs ; Aujourd’hui, un reportage sur les activités actuelles de l’invité ; Interview, l’invité répondait en direct aux questions d’un des producteurs de l’émission, Jean Dumur et Claude Torracinta, qui se répartissaient les personnalités en fonction de leurs intérêts et de leurs connaissances des thèmes abordés. La télévision suisse romande a produit 70 Destins. J’en ai personnellement réalisé quatre, avec différents réalisateurs : Albert Speer, ancien ministre du 3e Reich, en 1971 ; Artur London, ancien ministre tchèque, victime du procès de Prague, en 1972 ; Leni Riefenstahl, cinéaste d’Hitler, en 1982 ; Willy Brandt, ancien chancelier allemand, en 1984. La vie d’un journaliste de télévision est faite de rencontres, d’échanges et de conversations, pour convaincre, pour mettre en confiance avant d’enregistrer une interview. Les interlocuteurs sont toujours déçus qu’il ne reste que quelques secondes de leurs déclarations qui n’ont pas trouvé leur place dans le montage final. Pas forcément parce qu’elles n’étaient pas intéressantes, mais parce que d’autres interviewés s’étaient mieux exprimés. Ou parce que, dans l’équilibre complexe du récit, leur interview n’était plus utile. C’est toujours difficile de l’annoncer au téléphone ou par courrier. Mais je me suis toujours fait un devoir de l’expliquer, par respect pour le temps que mes interlocuteurs m’avaient consacré. 2 Ces échanges avant ou après l’interview étaient souvent riches. Il y a des choses qu’un interlocuteur n’avait pas envie de dire face à la caméra, mais qu’il acceptait de confier à un journaliste. Ce sont aussi ces souvenirs de tournage, ces moments de confidence que j’ai aussi souhaité évoquer dans ce livre. Ils n’ont pas été enregistrés, ils ne figurent pas dans le montage. Quand je les racontais en salle de montage, la monteuse me rembarrait et elle avait raison : « Ce que tu me racontes, c’est très intéressant. Mais moi, c’est avec des images que je construis un film, pas avec tes souvenirs de tournage ». Entrer dans la vie d’un acteur de l’Histoire, c’est un privilège. Mais c’est aussi un défi. Je ne suis pas naïf. Je savais pourquoi Speer et Riefenstahl avaient accepté de participer à Destins. Pour ces personnalités condamnées par l’opinion pour avoir soutenu le 3e Reich, c’était l’occasion de se justifier et d’améliorer leur image. De faire aussi la promotion de leurs mémoires, qui leur assuraient de juteux droits d’auteur. Ils avaient répondu à tant d’interrogatoires d’enquêteurs professionnels et à tant d’interviews des meilleurs journalistes qu’il serait naïf de croire que je puisse leur arracher ce qu’ils ne voulaient pas dire. Le défi, c’était de ne pas refaire le procès de ces acteurs du 3e Reich, mais de ne pas non plus se contenter de leurs témoignages et de leurs documents, évidemment favorables à leur cause. Cela impliquait de longues recherches d’archives et de témoins, un scénario rigoureux et une mise en images révélant leur personnalité. 3 Albert Speer Le gentleman nazi, technocrate de la terreur Été 1971. La grande maison était située sur une colline au-dessus d’Heidelberg, dans le Bade-Wurtemberg, en Allemagne, un haut lieu du romantisme, avec son château gothique du XIIIe siècle et son vieux pont sur le Neckar. La demeure patricienne d’un retraité aisé avait de l’allure, avec ses magnifiques grilles d’entrée, au milieu d’un vaste jardin agrémenté de grands arbres. Avec le réalisateur Bernard Romy, j’étais venu pour prendre un premier contact. La belle porte s’était ouverte et un homme mince, à la chevelure blanche, aux yeux clairs, portant un élégant costume, nous avait accueillis : Berthold Konrad Hermann Albert Speer, l’ancien ministre de l’Armement du 3e Reich et l’un des proches d’Hitler. Il avait 66 ans. Il avait été condamné à 20 ans de prison lors du premier procès des criminels nazis à Nuremberg. Il avait purgé sa peine et il avait été libéré à minuit, le 1er octobre 1966, sous les ovations. Dans un document d’archives, l’ancien ministre du Reich, l’ancien confident d’Hitler, était apparu amaigri et souriant, au milieu d’une foule d’amis et de journalistes. Il avait 61 ans et il avait commencé une nouvelle vie. En 1969, il avait publié ses mémoires, traduites en quatorze langues, sous le titre : « Au cœur du Troisième Reich », qui lui assuraient de confortables droits d’auteur. En couverture, une photo de l’architecte Speer en civil avec Hitler, portant l’uniforme nazi. Son éditeur précisait : « Rapportant le nazisme à une perversion de la logique technicienne de notre époque, il nous livre aussi une interrogation sur l’énigme de l’aveuglement et de la servitude volontaire ». Un million d’exemplaires vendus et la fortune pour Albert Speer. Speer parlait parfaitement le français, qu’il a appris à la prison de Spandau, à Berlin, pendant les vingt années de sa détention. Il n’était pas cordial, il ne souriait jamais. Sous ses paupières lourdes, ses yeux vous fixaient placidement. Nous lui avions confirmé le projet exposé par une lettre du producteur de Destins. Il avait tenu à nous monter ses archives, méticuleusement classées dans des meubles à tiroirs, qui lui avaient permis d’écrire ses mémoires. Il nous avait fourni une copie de films tournés par ses services, quand il était ministre de l’Armement, et une liste d’anciens collaborateurs, qui avaient accepté de participer à l’émission. Efficace, professionnel, mais pas chaleureux. Il ne nous avait même pas offert un verre d’eau. Comment faire le portrait d’un petit architecte sans le sou, devenu l’inspirateur de la mégalomanie architecturale d’Hitler, son confident, son tout-puissant ministre de l’armement, le plus brillant cerveau de son gouvernement, parmi les médiocres ambitieux et les paranoïaques ? Comment révéler la vérité d’un acteur de l’histoire, qui n’avait aucun intérêt à révéler sa face sombre ? 4 Comment raconter son histoire sans tomber dans le procès politique ou l’hagiographie ? Comment utiliser les documents qu’il nous avait fournis et les témoins qu’il nous avait recommandés, tout en cherchant d’autres sources critiques ? Pour un journaliste, la recherche de documents est l’un des moments les plus excitants dans la préparation d’une émission de télévision. On part à la pêche, on contacte des archivistes, on parcourt des livres d’historiens, on visionne des documentaires d’actualité, on appelle des confrères. La télévision nous accordait de généreuses semaines de préparation et un bon budget pour acquérir les droits de diffusion. Mais nous étions chargés de produire une émission de télévision, pas une œuvre d’historiens. Dans la masse d’informations recueillies et les bobines d’interview tournées, c’était au réalisateur et à sa monteuse de choisir les meilleurs moments, de définir un scénario et de structurer le récit. Le journaliste était consulté, il pouvait participer au montage, mais il restait en retrait. Quand l’entente fonctionnait bien, le montage se déroulait sans problèmes. Parfois, il y avait des désaccords professionnels sur les choix. Puis venait la rédaction du commentaire. Le journaliste reprenait son rôle. J’ai toujours aimé ce moment de création journalistique, où le commentaire soulignait les images sans les écraser. Il fallait trouver les mots, le langage simple et imagé. Un travail d’orfèvre des mots, j’y ai passé des heures, parfois même des nuits, avant l’enregistrement et le mixage. Puis venait l’étape redoutée : le visionnement avec les producteurs, les journalistes Jean Dumur, Claude Torracinta et le réalisateur Jean-Jacques Lagrange. Ces professionnels chevronnés repéraient vite les faiblesses du récit, les approximations du commentaire et uploads/Litterature/ 3ereichpdf-0.pdf
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- Publié le Jan 05, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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