Chapitre 5 L’académie des quarante problèmes Le plaisir de découvrir — ou redéc
Chapitre 5 L’académie des quarante problèmes Le plaisir de découvrir — ou redécouvrir — les mathématiques dans un livre de réflexion passe, de manière pratiquement obligatoire, par l’histoire de ses grandes périodes créatrices. Plutôt que d’évoquer, comme dans un manuel destiné à des étu- diants, les tournants les plus féconds au fur et à mesure du déroulement des siècles, nous adoptons ici une forme plus proche d’un dictionnaire raisonné, en regroupant arbitrairement quarante « problèmes », ou plutôt quarante questionnements, associés à des noms propres, essayant de couvrir tant bien que mal toutes les branches qui ont compté dans le développement des mathématiques : logique, statistique aussi bien que théorie des équations algébriques... Comme tout choix, le nôtre est largement critiquable. Cela reconnu bien vo- lontiers, nous espérons que, par l’intermédiaire de cette Académie mathématique vir- tuelle — on aurait pu également parler de caverne aux quarante créateurs, ou des quarante chercheurs qui ont fait les mathématiques —, quelque chose de la curiosité indomptable de ces fondateurs d’empire pourra toucher des lecteurs, qui auront envie d’en savoir plus. Une telle énumération, et les autres chapitres de ce volume, doivent naturelle- ment beaucoup aux livres d’histoire des mathématiques existants. Nous avons parti- culièrement consulté avec profit A History of Mathematics de Carl B. Boyer (Prince- ton University Press, édition de 1985), Mathematical Thought from Ancient to Modern Times de Morris Kline (Oxford University Press, édition de 1976), History of Mathe- matics de D.E. Smith (Dover Publications, édition de 1958 en deux volumes), Abrégé d’histoire des mathématiques de Jean Dieudonné et al. (Hermann, édition de 1986), ainsi que Pour l’honneur de l’esprit humain de Jean Dieudonné (Hachette, édition de 1987), Histoire des mathématiques de Jean Itard (Larousse, édition de 1977, épuisé), Histoire des mathématiques de Jean-Paul Collette (diffusion Vuibert, édition de 1973 en deux volumes), Histoire abrégée des sciences mathématiques de Maurice d’Ocagne et René Dugas (Vuibert, édition de 1955, épuisé), mais aussi les grands classiques, moins ambitieux, d’Eric Temple Bell (Les Grands Mathématiciens chez Payot, épuisé), de Pierre Dedron et Jean Itard (Mathématiques et Mathématiciens chez Magnard, égale- ment épuisé), la compilation des Notes historiques de Nicolas Bourbaki chez Masson, et naturellement des ouvrages spécialisés comme ceux de L.E. Dickson sur la théorie des nombres, où l’ouvrage collectif Les Nombres tout récemment traduit de l’allemand chez Vuibert. Citer toutes nos autres sources serait presque impossible, et certainement las- sant. Cela dit, c’est avec grand plaisir que nous reconnaissons avoir également puisé beaucoup de renseignements, notamment des dates, titres de livres, anecdotes, etc., dans le récent et très riche dictionnaire Des mathématiciens de A à Z de Bertrand Hau- checorne et Daniel Suratteau (Ellipses, édition de 1996), ainsi que sur certains sites Internet bien connus. Enfin nous devons rappeler que le recours direct aux œuvres originales de cer- tains des grands créateurs célébrés ici est encore la meilleure façon d’essayer de com- prendre l’histoire des idées, même compte tenu des difficultés très réelles qu’il y a à interpréter correctement des textes écrits à une époque parfois très éloignée de la nôtre. En dehors de la consultation des œuvres complètes, nous avons utilisé des re- cueils d’extraits (Mathématiques au fil des âges chez Gauthier-Villars en français (1987), mais aussi les « source books » anglo-saxons, comme ceux de D.E. Smith, D.J. Struik ou celui de l’Open University), ainsi que la compilation The World of Mathematics de J.R. Newmann (4 volumes chez George Allen & Unwin, 1956). Le problème d’Apollonius (262-190) Tracer à la règle non graduée et au compas un cercle tangent à trois cercles donnés. Ce problème a traversé l’histoire : si nous ignorons la solution d’Apollonius lui- même, nous savons que Descartes, Fermat et Newton, puis Cauchy et surtout Joseph Gergonne (1771-1859) lui ont apporté chacun une solution plus ou moins astucieuse, toutes si diverses qu’on peut difficilement les résumer (une remarque simplement : on peut se ramener facilement au cas où l’un des cercles a été réduit à un point, en augmentant ou diminuant le rayon du cercle cherché). Le problème admet a priori huit solutions, à savoir un cercle qui est tangent extérieurement aux trois cercles C1, C2, C3 considérés, un cercle qui leur est tangent intérieurement, et deux fois trois cercles tangents extérieurement et intérieurement. On notera que si C1, C2, C3 sont les cercles ex-inscrits d’un triangle, une solution est donnée par son cercle d’Euler (théorème de Feuerbach). 128 Nous citons ici cette question, que la qualité des intervenants montre ne pas être tout à fait sans intérêt, essentiellement pour saluer l’innombrable cohorte des problèmes de géométrie plane ou de l’espace qui a toujours fasciné, outre des professionnels, des foules d’amateurs passionnés. Aujourd’hui encore ces cercles d’Apollonius ne sont pas complètement morts, puisqu’on en retrouve une trace dans l’un des problèmes du Concours général français de l’année mondiale des mathématiques ! La baderne d’Apollonius Le problème de la baderne d’Apollonius consiste à remplir de cercles l’espace compris entre trois cercles C1, C2, C3, dont, pour simplifier, on admettra que le rayon est le même. L’opération commence par le tracé du cercle γ tangent à C1, C2, C3, dont le centre est celui du triangle O1O2O3. Ce seront ensuite le cercle γ1 tangent à C1, C2 et γ, le cercle γ ′ 1 tangent à C1, C2 et γ1, le cercle γ” tangent à γ, γ1 et C1, et ainsi de suite de façon fractale dans toutes les parties du triangle curviligne ABC. C1 C2 C3 O1 O2 O3 γ γ1 γ2 γ3 figure 32. La baderne d’Apollonius Ces cercles laissent une aire lacunaire L, de plus en plus petite au fur et à mesure que leur nombre augmente. La question est encore entière de savoir si L tend vers zéro ou vers une valeur limite différente de zéro. NB : Le nom d’Apollonius hante les mathématiques. Ainsi, étant donné un triangle ABC dont les bissectrices issues de A coupent en B ′ et C ′ le côté BC, le cercle de diamètre B ′C ′ (qui passe par A) est l’un des trois cercles dits d’Apollonius du triangle ABC. Les deux autres s’obtiennent en opérant de la même manière pour B et pour C. Ces trois cercles d’Apollonius, dont les centres se trouvent sur une droite dite de Lemoine, ont le même axe radical (axe de Brocard). 129 Chapitre 5 L’académie des quarante problèmes Le problème d’Archimède (287-212) Qu’est-ce qu’une longueur ? une aire ? un volume ? Voici le très lointain début de l’analyse en général et du calcul intégral en par- ticulier. L’un de nos quasi-contemporains, Henri Lebesgue, trouvera encore de quoi renouveler profondément ce terrain ou Archimède a été un précurseur plus de vingt et un siècles plus tôt. Ses travaux sur la longueur du cercle le conduiront, comme on l’a vu plus haut, à donner une première valeur de π basée sur une démonstration forte. Il déterminera, parfois grâce à l’aide de sommations de séries géométriques, des aires de parties du plan délimitées par des coniques (ellipses et segments de paraboles) ou par d’autres courbes qu’il invente, comme la spirale qui porte son nom. Il calculera également des volumes et des centres de gravité, qui seront admirés et imités par un Fermat au XVIIe siècle. Cela dit, le fait qu’il ait fallu attendre près de deux mille ans pour créer ces deux calculs, pour lesquels Archimède avait déjà franchi les premiers pas, est en soi une énigme irritante. Le problème de Bourbaki (né en 1935) Écrire un traité basique universel des mathématiques. Bien sûr, Nicolas Bourbaki — sur lequel commencent à paraître de bons livres — n’a pas existé en tant que mathématicien puisque tout théorème nouveau démontré par l’un des auteurs de ce Traité était publié par ailleurs sous le nom propre de son découvreur. Mais il a presque réussi à remplir son projet utopique, sous l’égide de Hilbert et Sophus Lie (1842-1899), et laissera un sillage prestigieux. Il est cité ici parce qu’il fut à l’origine d’une tentative « pédagogique » remar- quable, à l’usage des seuls mathématiciens, non des pédagogues, dans la ligne du formalisme à la Hilbert. La réputation internationale de ce travail formidable, initié par quelques jeunes normaliens nés entre 1900 et 1920, fut exemplaire (toutes pro- portions gardées, Bourbaki fut l’Euclide du XXe siècle). Cette influence a eu des effets très positifs quant à une normalisation du vocabulaire et des notations, par exemple en topologie ou en analyse fonctionnelle, tandis que des idées fortes comme celle d’algébrisation et de linéarisation de l’analyse se voyaient par là admises par tous. De plus, un séminaire très fameux portant son sigle réunit toujours à Paris les principaux mathématiciens français, avides des avancées les plus importantes de la discipline. Cela dit, de nombreux pans des mathématiques n’ont jamais été traités par les bourbakistes, particulièrement dans les applications, mais aussi dans la théorie des 130 nombres, ou des catégories. On peut le regretter, mais Bourbaki ne verra sans doute plus jamais spontanément venir à lui les meilleurs de chaque promotion, de son uploads/Litterature/ 46-40problemes.pdf
Documents similaires










-
23
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2787MB