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Tous droits réservés © Anthropologie et Sociétés, Université Laval, 2005 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 26 avr. 2020 10:40 Anthropologie et Sociétés Présentation Le mythe aujourd’hui John Leavitt Le mythe aujourd’hui Myths Today El Mito Hoy En Día Volume 29, numéro 2, 2005 URI : https://id.erudit.org/iderudit/011892ar DOI : https://doi.org/10.7202/011892ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département d'anthropologie de l'Université Laval ISSN 0702-8997 (imprimé) 1703-7921 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Leavitt, J. (2005). Présentation : le mythe aujourd’hui. Anthropologie et Sociétés, 29 (2), 7–20. https://doi.org/10.7202/011892ar PRÉSENTATION Le mythe aujourd’hui John Leavitt Pourquoi le mythe? Depuis le début de la modernité, les penseurs occidentaux découvrent chez tous les peuples des récits jugés importants, récits fondateurs ou exemplaires, qui sont préservés à travers les générations, qui se démarquent par leur élaboration poé- tique ou par leur mise en scène rituelle, qui sont composés de situations, êtres, évé- nements en dehors des règles réelles et de l’expérience quotidienne de la société en question. De tels récits, qui semblent correspondre à un type déjà connu chez les Grecs et les Romains, s’appellent « fable » (tiré du latin) ou « mythe » (tiré du grec) – un système de mythes ou une doctrine sur eux constituant une mythologie. En fait, c’est ce dernier mot qui est le premier emprunté par les langues modernes, apparais- sant en français dès 1403 et en anglais dès 1462, tandis que le mot mythe n’est at- testé en français qu’en 1803 et en anglais en 1838, dans une forme écrite d’abord « mythe » et qui semble un emprunt du français. Avant le XIXe siècle, la mythologie était composée de fables, mot emprunté au latin par le français (dès 1158) et au fran- çais par l’anglais. De tels récits, fables ou mythes, qui présentent une invention du monde diffé- rente de celle de leurs lecteurs occidentaux, étaient considérés comme faux, une multitude de faussetés fabuleuses ou mythiques face à une unique histoire véridique, soit biblique, soit scientifique (Detienne 1981 : 15-16). Voilà le paradoxe au cœur du mot mythe dans son acception moderne : dire d’une histoire qu’elle est un mythe équivaut à l’appeler mensonge, mais un mensonge que l’autre prend pour vrai ; le mythe est donc la vérité crue de l’autre (Pouillon 1993 [1980]). Insistons sur la spécificité et la complexité du concept : la notion moderne de mythe est précisément une notion occidentale moderne et fait partie de ses modes de pensée. C’est aussi une notion fort complexe : un récit que les gens croient – mais pas le locuteur lui-même ; un mensonge donc important, fondateur, mystique, un grand mensonge, qui peut mériter le respect et certainement l’étude. À des époques moins rigides quant à l’importance d’une seule vérité vraie, telles le Romantisme du début du XIXe siècle ou bien notre postmodernité et ses courants Nouvel-Âge, le mythe, déclaré comme tel, devient objet d’admiration, d’adhésion pour certains sous- groupes sociaux. Cette notion complexe ne se trouve pas dans toutes les sociétés, Anthropologie et Sociétés, vol. 29, no 2, 2005 : 7-20 8 JOHN LEAVITT loin de là. Il ne correspond qu’en partie aux usages changeants du terme grec muthos (Detienne 1981 : 93-115, Lincoln 1999 : 3-43) et ne recouvre que très partiellement les termes que donnent les locuteurs de langues non occidentales à leurs propres ré- cits que nous appelons des mythes. Tout le domaine de l’ethnopoétique comparée des genres (voir, par exemple, Gossen 1977) témoigne du caractère local du concept de mythe, comme de ceux de conte ou d’anecdote. Paradoxalement, une des facettes importantes du concept moderne du mythe est précisément l’impression que c’est quelque chose qui existe partout : partout il y a des histoires importantes qui mettent en place des personnages et des événements que nous dirions miraculeux ou impossibles. Distinguer ou ne pas distinguer de tel- les histoires des autres, s’interroger sur leurs traits, surtout leurs traits choquants ou insolites, ainsi que sur les parallèles qui semblent exister entre de telles histoires dans différentes parties du monde, à différentes périodes historiques, voilà les questions que se sont posées les mythographes modernes, en anthropologie, en philosophie, en philologie classique ou autre, en psychologie, en histoire des religions, depuis au moins le XVIIIe siècle (voir, par exemple, Starobinski 1977), les réponses comme leurs présupposés changeant avec les obsessions des différentes périodes historiques, comme dans n’importe quelle histoire intellectuelle. Et comme dans l’histoire des autres disciplines, on voit ici une alternance entre des périodes de domination d’un seul paradigme (l’évolutionnisme à la fin du XIXe, le structuralisme pendant les an- nées 1970) et des périodes de dispersion théorique. C’est l’impression que nous nous trouvons au cœur d’une telle période qui a suscité la proposition de ce thème pour un numéro d’Anthropologie et Sociétés. Le titre du numéro, peut-être présomptueux, rend hommage à deux textes- bilan essentiels du XXe siècle. Pendant les années 1950, le théoricien littéraire Ro- land Barthes a publié une série de petites analyses d’images et d’événements de la culture ambiante – le steak frites, le visage de Greta Garbo, le détergent, le Strip- Tease – cherchant dans chaque cas à en dégager la portée au-delà de la signification évidente, de surface. Il qualifie cette portée de mythique en conservant les implica- tions d’importance sociale et de fausseté ultime – fausseté dans ce sens que, derrière le sens patent, se cache un sens non critiqué qui renforce l’idéologie dominante. Le mythe est donc nécessairement conservateur. En 1957, Barthes rassemble ces faits divers analytiques dans le livre Mythologies et ajoute un long essai sur le mythe comme « système sémiologique » et sa place dans nos sociétés comme dans d’autres : c’est « Le mythe, aujourd’hui ». À travers les années 1960, l’helléniste Jean-Pierre Vernant publie une série de nouvelles analyses des mythes grecs, cherchant à en dégager une signification en deçà des significations attribuées par des générations de mythologues modernes. Il s’agit de remettre le mythe dans le contexte d’une pensée et d’une société grecques, Le mythe aujourd’hui 9 lesquelles, même si elles sont préoccupées par des problèmes qui nous concernent toujours (guerre, lutte de classes), les construisaient de façon bien spécifique, sur- prenante pour nous. En 1974, Vernant collige certaines de ces études sous le titre Mythe et société en Grèce ancienne, et il ajoute à la fin un long chapitre rétrospectif, une mini-histoire des différentes approches sur les mythes depuis les Grecs jusqu’au structuralisme : c’est « Raisons du mythe », et sa dernière partie, sur l’interprétation des mythes depuis les années 1950, s’appelle « Le mythe aujourd’hui ». Entre le Barthes de 1957 et le Vernant de 1974 s’est produit un événement capital dans la conception du mythe : le structuralisme de Lévi-Strauss a pris les sciences humaines d’assaut, en se centrant en grande partie sur l’analyse des mythes. Les méthodes structurales semblaient, à la différence des précédentes, donner une clé analytique aux mythes sans y projeter nos propres phantasmes, en reconnaissant la spécificité non seulement des peuples de l’Amérique du Sud et de l’Afrique, mais également des Grecs ; elles semblaient aussi justifier analytiquement l’extension de la notion de mythe à toutes les sociétés, les nôtres incluses, en reconnaissant notre propre spécificité. Avec le retrait de la marée structuraliste, et sans doute avec une série de transformations sociales et idéologiques en Occident, on voit aujourd’hui un étrange double mouvement : d’une part, dans les sciences humaines, la notion même de mythe semble relativement peu utilisée ; d’autre part, dans les sociétés occidentales la recherche de nouvelles idéologies en réponse aux idéologies dominantes insatisfaisantes, mène à la création d’innombrables sous-cultures et de quêtes per- sonnelles qui valorisent massivement la notion de mythe. Les livres sur les mythes sont plus nombreux sur les rayons Spiritualité et Nouvel Âge que sur le rayon An- thropologie. Ici, avant de présenter les contributions à ce numéro, je vais proposer une brève histoire des approches sur le mythe en Occident pour voir comment on est arrivé à conférer une telle place au mythe aujourd’hui1. Petite histoire du mythe Avec le retour de la civilisation classique à la Renaissance, il devenait impor- tant de connaître les mythes classiques comme matière de référence, si bien que beaucoup d’ouvrages portent sur ce matériel. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la ten- dance rationaliste découvre le caractère bizarre de ces mythes, et le philosophe Fon- tenelle (son Origine des fables est publié en 1724 mais était probablement composé dans les années 1680) trouve leur origine dans le manque d’esprit critique commun à la plupart des hommes. Plus tard au XVIIIe, une série de révérends anglais, uploads/Litterature/ leavitt-le-mythe-aujourdhui.pdf

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