LE NATURALISME MIRBELLIEN DANS LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE « Le romancier

LE NATURALISME MIRBELLIEN DANS LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE « Le romancier se sert, pour dévoiler les “dessous” de la bourgeoisie, qu’il était convenable de tenir cachés, de la formule qu’il avait utilisée pour découvrir ce qu’on appelait “ les tares” du peuple »1. La peinture de la réalité sociale à travers la plume mirbellienne démystifie une bourgeoisie cruelle et hypocrite, une classe sociale qui ne jure que par l’argent, désormais source de pouvoir et de considération. De belles âmes maltraitées et méprisées à l’instar de Célestine, soulignent le vécu implacable de la jeune soubrette, vouée à subir le pharisaïsme de la bourgeoisie et à satisfaire les pulsions charnelles de ses maîtres. La loi de la « domesticité » règne et le faible obéit. On constate qu’il s’agit de la petite bourgeoisie provinciale omniprésente dans les romans réalistes. D’autre part, Mirbeau fait tomber les masques de la bourgeoisie en dénonçant sa cruauté invétérée par le truchement de la domesticité : il dévoile leurs tares, en observant et analysant leurs attitudes à travers la domesticité. Mirbeau met en lumière l’essence de ce mal inné qui régit la conduite des bourgeois, sans pouvoir l’expliquer. À travers sa plume incisive, son style expressif, le choix des personnages, Mirbeau tend à démystifier la bourgeoisie. Le récit se présente sous forme d’un journal intime afin d’élargir les formes littéraires de son texte, à travers l’absence d’illusions et d’imagination, de fantastique et de surnaturel ; l’utilisation de l’accent provincial, les onomatopées, les indicateurs de temps et de lieux participent d’une manière très intime aux réflexions, pensées et états d’âme du sujet. Tous ces détails nous révèlent que le personnage choisi par Mirbeau raconte ses péripéties de façon naturelle, sans aspirer à émettre une explication savante, affectionnée particulièrement par les écrivains réalistes et naturalistes. La description de cette composante sociale, dans ses revers les plus sombres, met en relief la germination d’un naturalisme typiquement mirbellien. L’écrivain s’inspire de la réalité et d’événements historiques : « la bourgeoisie », « l’esclavage », « la domesticité », « l’antisémitisme », les prêtres tartuffes qui ne parlent que de la politique et ne cherchent qu’à triompher par leur pouvoir... tous ces thèmes sont abordés à travers ses personnages. La conception romanesque de Mirbeau diffère de celle des écrivains classiques : ses écrits se caractérisent par la déconstruction du récit, l’absence 1 Colette, Becker. Lire le Réalisme et le Naturalisme. Ed: Nathan/Her, Paris, 2000, p. 85. 1 structurelle de l’intrigue du point de vue de la narratologie, ainsi que le rejet des conventions traditionnelles du genre romanesque. La beauté et l’intelligence : une arme à double tranchant La beauté et l’intelligence de Célestine se conjuguent en trois points: la beauté physique, la beauté spirituelle et l’intelligence innée. Célestine utilise ces trois composantes comme des armes afin de survivre. Mirbeau imagine comme personnage principal une jeune soubrette et diariste, afin de peindre la misère humaine à travers Célestine. Célestine est enviée par ses maitresses. Elle symbolise l’antagonisme entre une chambrière pauvre et une société privée de valeurs humaines. Elle fascine son entourage par sa joliesse et son raffinement. De surcroît, l’auteur souligne la conduite inexplicable de Célestine à travers le vol d’objets précieux avec la complicité de Joseph. Célestine use de sa beauté pour se venger de ses maîtres. Elle se compare à eux en mettant en exergue leurs imperfections, bien qu’elle ne soit qu’une chambrière. Son élégance, sa propreté lui étaient enviées par ses maîtresses, riches et revêches. Sa position inférieure était un avantage et un plaisir : elle profitait de son métier de chambrière afin de mettre à nu l’ignominie bourgeoise et dénoncer leurs turpitudes morales et physiques : « C’est là qu’on surprend ses maîtres dans toute la saleté, dans toute la bassesse de leur nature intime. Prudents, d’abord, et se surveillant l’un l’autre, ils en arrivent, peu à peu, à se révéler, à s’étaler tels qu’ils sont, sans fard et sans voiles, oubliant qu’il y a autour d’eux quelqu’un qui rôde et qui écoute et qui note leurs tares, leurs bosses morales, les plaies secrètes de leur existence, tout ce que peut contenir d’infamies et de rêves ignobles le cerveau respectable des honnêtes gens. Ramasser ces aveux, les classer, les étiqueter dans notre mémoire, en attendant de s’en faire une arme terrible, au jour des comptes à rendre, c’est une des grandes et fortes joies du métier, et c’est la revanche la plus précieuse de nos humiliations2. ». La beauté de Célestine est une fatalité. On peut le découvrir à travers un aperçu de sa vie. Elle est issue d’une famille pauvre et misérable : une maman poivrote, une enfance terrible ; le rappel permanent de ses souvenirs d’enfance lui a permis de se forger un esprit de battante. Avec le temps, la petite fille grandit et acquiert une aptitude à la réflexion. Ces conséquences ont, d’une part, octroyé à Célestine les facultés intellectuelles qui lui ont permis de démontrer la cruauté bourgeoise ; d’autre part, elle livre un combat de survie en refusant les propositions charnelles de ses maîtres et surmonte les obstacles de la vie. 2 Octave Mirbeau. Le Journal d’une gemme de chambre. Ed : du Boucher - Société d’Octave Mirbeau, France, 2003, p. 296. 2 Une âme généreuse en proie à une société cruelle Célestine nous raconte sa passion pour Monsieur Georges, qu’elle a soutenu jusqu’à son dernier souffle et, nonobstant son état de santé, elle accepte de satisfaire son dernier désir par amour. Elle éprouve une souffrance à la mort de George : « … J’eus l’envie impérieuse de me confesser, de m’accuser, de lui dire tout ce que j’avais de trop pesant à l’âme et qui souvent, m’étouffait […] et ce remords inexpiable que, sans moi, son cher enfant ne serait peut être pas mort »3 Une femme de chambre est pareille à une esclave qui n’a droit à rien, qui ne peut se permettre de réclamer et qui doit répondre aux ordres de ses maîtres. Une nouvelle forme et appellation de l’esclavagisme des domestiques est « la domesticité » : « On prétend qu’il n’y a plus d’esclavage...Ah ! Voilà une bonne blague, par exemple..., écrit Célestine. Et les domestiques, que sont-ils donc, eux, sinon des esclaves ? [...] Esclave, vous descendez de l'état d'homme à celui d'être insensible et brute, classé, parqué, étiqueté comme un tronc d'arbre arraché à la forêt, et placé à son rang dans le bûcher du maître4 ». Elle nous raconte des péripéties pleines de malheur et de mépris, où « chaque mot vous méprise, chaque geste vous ravale plus bas qu’une bête... [...] On n’a point le temps d’être malade, on n’a pas le droit de souffrir..., se plaint-elle. La souffrance, c’est un luxe de maître... Nous, nous devons marcher, et vite, et toujours... marcher, au risque de tomber… 5 » Chaque famille se distingue de l’autre par la diversification des formes de la maltraitance humaine, mais s‘entendent sur la manie de ne jamais appeler les domestiques par leurs prénoms. Ainsi, le malheur, le dégoût, la maladie et la fatigue ne doivent pas affecter l’ouvrage des domestiques. Elle doit cacher ses souffrances, assumer et dessiner un sourire, en acceptant cette maltraitance inexpiable : « Vous pouvez manger cette poire, elle est pourrie... Finissez ce poulet à la cuisine, il sent mauvais... ”. “ … il fait un froid de loup. Le vent y souffle, l’eau y pénètre par les fentes du toit6… » Les domestiques ne disposent d’aucune indépendance ou autonomie. Ils acceptent les conditions inhumaines du travail car ils font partie de la classe des pauvres : « On rage, on se 3 Ibid., p. 160. 4 Louis-Auguste Martin ; Esprit moral du XIXe siècle (1855). 5 Ibid, p.428 6 Ibid, p. 468 3 révolte, et, finalement, on se dit que mieux vaut encore être volée que de crever, comme des chiens, dans la rue7… » Célestine décrit et analyse les comportements et attitudes de ses maîtres, ainsi que leur psychologie. Elle met l’accent sur la cruauté d’une bourgeoisie implacable envers la classe ouvrière en nous relate l’histoire de la petite Claire, violée et assassinée par un inconnu. Une façon de dire que les pauvres sont tués comme des bêtes sauvages dans la rue et que l’enquête est inutile. «Mirbeau, une fois de plus, parle en connaissance de cause par ce que, doté d’une sensibilité d’écorché vif, il n’a jamais pu supporter la souffrance des hommes8 » Rappelons que Mirbeau est un journaliste et romancier très curieux. À travers sa plume incisive, il peint et démasque la cruauté des bourgeois et lutte contre la misère en utilisant une phraséologie étoffée et intense contre la misère sociale et les conflits politiques. La conception de Mirbeau est humaniste car les thématiques qu’il aborde sont : l’indifférence, l’inégalité, la maltraitance humaine, la domesticité. Selon le Petit Robert de 1993 « Humanisme (1845 philo.) : « Théorie, doctrine qui prend pour fin la personne humaine et son épanouissement ». (1877 hist.): « Mouvement intellectuel européen de la uploads/Litterature/ amel-abderrahmane-le-naturalisme-mirbellien-dans-quot-le-journal-d-x27-une-femme-de-chambre-quot.pdf

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