Brèche absurdiste dans le répertoire du théâtre de jeunesse américain: Etude de

Brèche absurdiste dans le répertoire du théâtre de jeunesse américain: Etude de cas clés Anne Cirella-Urrutia Cette étude s'attachera à l'analyse d'une esthétique théâtrale née au sein de l'histoire du théâtre de jeunesse américain dans les années 1960. Plus particulièrement, elle montrera comment les techniques propres au répertoire du Théâtre de l'Absurde français, trouvent une sorte de rallonge dans le théâtre de jeunesse aux Etats-Unis. En effet, certaines tentatives d'innovations théâtrales apparues dans certaines pièces du répertoire américain dès les années 1920 amorcent une tendance absurdiste; tendance il semblerait en continuité avec son homologue dans le théâtre adulte qui vit son apogée dès les années 1880 avec la création d'Ubu par le père de l'absurde Alfred Jarry. Aussi je tenterai de décrire le développement de ce courant qui vise un public de 12- 15 ans d'une façon chronologique à travers quelques exemples clés du répertoire américain. Quatre pièces seront tour à tour discutées autour de cette innovation absurdiste The Tingalary Bird (1964) de la dramaturge britannique Mary Melwood; Noodle Doodle Box (1972) de l'allemand Paul Maar; la deuxième adaptation de Birthday of the Infanta de Oscar Wilde en 1984 des dramaturges américains Rod Caspers et Gretta Berghammer; et enfin In A Room Somewhere (1985) de l'américaine Suzan Zeder. Ces quatre pièces de théâtre majeures fondent une nouvelle esthétique dans le théâtre de jeunesse américain et informent d'une avant-garde dans ce domaine. C'est en 1961 que l'historien britannique du théâtre d’avant-garde Martin Esslin se penche sur l'étude d'un mouvement qu’il nomme le Théâtre de l 'Absurde. Il y inclut Jarry, Beckett, Adamov, Ionesco et Genet. Dans son étude Reflections: Essays on Modern Theatre, Esslin nous donne une définition très succincte pour décrire cette expérience avant-garde. En effet sa définition résume les intentions de ces dramaturges de l'absurde selon ces termes: 1 Pour qu’une pièce de théâtre soit absurde elle doit, au minimum, montrer son rejet de tout naturalisme, l'abandon d'une narration linéaire, un manque d'intérêt en psychologie et une conception du personnage abstraite ou fragmentée. De plus, (...), ce théâtre présente certains traits positifs. En résumé, ils incluent une pression des idées derrière le langage et une fusion du langage et de l'action où aucun d'entre eux n'est illustratif de l'autre mais plutôt où la parole constitue une « action » en soi et où les actions sont des extensions de la parole. Et enfin, ce théâtre doit nous suggérer que l'expérience n'est pas réductible à des formules, qu'il résiste notre logique et nos modèles de signification consciente, qu'il ne se divise pas clairement entre comique et tragique, ou bien entre le dérisoire et l'important, qu'il est, en bref, absurde dans un sens métaphysique et pas seulement au sens physique.1 Né de l'abandon de la scène naturaliste, le Théâtre de l’Absurde s'insurge contre toute tentative de représentation réaliste aussi bien sur la scène qu'au niveau du personnage joué par l'acteur.2 En revanche, ce nouveau type d'expérience dramatique se distingue par l'utilisation d'un langage qu’Esslin qualifie de « poétique. » De pair avec cette notion de langage devenu poétique, ces dramaturges optent pour des techniques dramatiques propres à la farce en tant que source d'innovation. En fait, Esslin préfère parler d'anti-farce voire d'anti-théâtre en général lorsqu'il décrit le Théâtre de l’Absurde; et pour cause ces pseudo-farces souvent appelées farces tragiques mêlant les techniques de la farce à celles de la tragédie dans un univers apocalyptique et (méta) physique à la fois. La farce qui souvent consiste en des épisodes de bouffonneries tourne autour des vicissitudes du mariage et de la famille; des thèmes que les dramaturges de l'absurde tels que Jarry ou Ionesco utilisent puisqu'ils visent la classe bourgeoise essentiellement. En général la farce démarre son action par la victime elle-même. Son décor, spécialement les portes et les fenêtres, est au service de l'imprévisible et dans lequel un personnage peut faire irruption à tout instant. Introduisant des personnages dans un univers de parloir, elle est dépourvue de tout 2 sentimentalisme (contrairement à la comédie qui suscite la sympathie du public).3 Ce décor propre à la farce nous le retrouvons chez Ionesco par exemple, en l'occurrence dans sa pièce Les chaises ou bien dans La cantatrice chauve. Poussé jusqu'à un espace clos, ce décor de la farce devient chez Sartre le reflet d'un lieu où le langage n'est plus social mais au contraire aliéné, de même que chez la dramaturge de jeunesse Suzan Zeder. Le langage de la farce semble celui qui coïncide le mieux à leurs intentions. Basé sur des apartés, des quiproquos et des calembours qui créent un univers sans dessus dessous, le langage de la farce est selon les auteurs Dina et Joël Sherzer: Une exploration et en effet une célébration de la gamme totale des formes de jeux de locution et d'humour verbal. Ceci inclut des jeux de mots, des devinettes, des proverbes, des inepties, un langage scatologique, des répétitions sans fin, des répliques verbales et des déviations grammaticales conflictuelles, des manipulations interactionnelles, la violation des normes sociales, et la satire. (...) Chaque aspect du langage, des sons jusqu'aux structures sociolinguistiques, est affecté.4 La tendance absurdiste dans le répertoire du théâtre de jeunesse américain utilise ces mêmes innovations. Amalgamées aux ingrédients qui constituent le théâtre de jeunesse, la farce ou plutôt l'anti-farce est une des expressions stylistiques que les dramaturges de l'absurde convoitent. C'est en 1969 que la pièce de la dramaturge britannique Mary Melwood intitulée The Tingalary Bird fut représentée pour la première fois aux Etats-Unis. Elle marque une véritable naissance de cette brèche absurdiste dans le répertoire du théâtre américain.5 En effet, en dépit de la tentative anticipée de Stuart Walker et de sa compagnie théâtrale The Portemanteau Theatre en 1917, Mary Melwood reste celle qui réellement marque cette tendance dans le répertoire américain. Comme nous l'explique l'historien américain Roger L. Bedard, cette pièce est celle qui a semblé faire pointer le répertoire vers une nouvelle direction car « le succès de cette pièce, (...), est une des grandes influences qui a stimulé la diversité dans le domaine. Bien qu'au départ elle 3 fut accueillie avec scepticisme par la communauté du théâtre de jeunesse, la pièce assume désormais une position de proéminence dans le répertoire. »6 Dans son introduction à la pièce, il affirme que les techniques développées par Melwood sont parfaitement adaptées à cette entité du public parce que un monde sans dessus dessous [qui ] est mieux perçu et compris par un public d'enfants -- un public qui n'est pas encore contraint à des expectatives de forme et de structure et qui suspend volontiers l'incrédulité pour accompagner Melwood dans son univers de fantaisie (a topsy-turvy world [which] is best perceived and understood by a child audience - one that is not yet constrained by expectations of form and structure, and one that willingly suspends disbelief to follow Melwood through this fantasy." (Bedard 495)7 Comparable à la pièce d’Eugène Ionesco intitulée Les chaises, cette anti-farce présente l'homme prisonnier de son matérialisme quotidien et où tout acte social perd toute signification.8 Comme dans un décor typique de la farce, The Tingalary Bird s'ouvre sur l'intérieur d'une auberge où les objets deviennent en quelque sorte les agents malfaisants de cette anti-farce: la plupart d' entre eux sont d'ailleurs intentionnellement grossis par Melwood. Prisonnier de ce milieu où le temps semble être en suspens (durant toute la pièce le son insistant d'une horloge est volontairement amplifié), le couple de Melwood, constitué de la vieille méchante dame (the Mean Old Woman) et du vieux monsieur (the Old Man), semble être prisonnier de ce quotidien où rien ne se passe et où l'un devient la proie de l'autre. Aussi c'est dans cette atmosphère absurde qu'une série d'actions absurdes vont avoir lieu -- notamment dans la scène du fer à repasser où la vieille dame décide de repasser avec un fer froid parce que « le genre de repassage que je vais faire peut être fait avec un fer froid...et parce que tout le monde repasse avec un fer chaud (The kind of ironing I'm going to do can be done with a cold iron...and anybody can iron with a hot iron) » (TB, Acte I, 504) Dans cette situation où le temps semble à l'arrêt, l'arrivée dans l'acte II de l'oiseau 4 magique Tingalary (une sorte de Godot) fait basculer cette anti-farce dans un univers de pantomime. Alors que le premier acte montrait le conflit entre le couple, le deuxième acte révèle la métamorphose de leur relation. En effet, la vieille dame et le vieux monsieur dansent un ballet féerique au son de la harpe de Tingalary et semblent être réconciliés dans un univers devenu immatériel, hors des limites physiques de l'auberge. Ainsi le monde féerique devient le lieu de la transformation. Le langage qui était jusqu' à lors dépourvu de signification sociale devient poétique, unifiant: le vieux couple chante en duo et communique pour la première fois à travers un langage amoureux. Alors que la plupart des pièces absurdes du répertoire adulte proposent une vision négative de la société, Melwood uploads/Litterature/ anne-cirella-urrutia-breche-absurdiste-dans-le-repertoire-du-theatre-de-jeunesse-americain.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager