203 Apocalypse de saint Jean  Constitution du texte Canonicité et importance t

203 Apocalypse de saint Jean  Constitution du texte Canonicité et importance traditionnelle L’authenticité johannique de l’Apocalypse (Ap) a été âprement discutée dans l’Antiquité (cf. infra). Ces polé- miques ont joué un rôle important dans la reconnais- sance de la canonicité de l’ouvrage. À la fin du 1er s., le pape Clément semble connaître non seulement les quatre évangiles mais aussi une grande partie des épîtres et l’Apocalypse. Justin, mentionne Ap, et selon Eusèbe de Césarée, Méliton de Sardes (2e s.) aurait produit un commentaire du livre de Patmos, aujourd’hui perdu. Dans le monde latin. Au 4e s., Rufin d’Aquilée défend la canonicité du livre dans son Explication du Symbole, 35, et Jérôme (vers 347-419) partage cette opinion, comme il le précise dans une lettre adressée à Paulin de Nole ; il réaffirme même « l’autorité des anciens » comme gage de la canonicité du livre, dans une autre lettre, destinée à Dardanus (414). Quant à Augustin d’Hippone, il compte Ap au nombre des livres du NT lorsqu’il définit le « canon des Écritures » dans le De doctrina christiana (II, viii, 13). C’est lors des trois conciles pléniers des provinces d’Afrique, qui se tinrent à Hippone, en 393, et à Carthage, en 397 et 419, qu’est fixé un canon du NT comprenant Ap. Par ailleurs, dans une lettre à l’évêque Exupère de Toulouse (début du 5e s.), Innocent Ier mentionne Ap dans la liste des écrits constituant le corpus du NT. Au 6e s., le décret du Pseudo-Gélase dresse un inven- taire des apocryphes à condamner dans lequel n’appa- raît pas Ap, ce qui marque son acceptation définitive. Dans le monde grec. La réception a posé bien des difficultés. Les réticences exprimées par Denys d’Alexandrie, le rejet suscité par la réaction contre l’hérésie montaniste qui convoquait abondamment les apocalypses, et les réserves formulées par Eusèbe, ont retardé la reconnaissance de ce livre. À la suite de Denys, Eusèbe de Césarée classe Ap parmi les livres « bâtards » (nothoï). Lors du concile de Laodicée (vers 360), Ap n’est pas mentionnée, pas plus qu’au 85e canon des Constitutions apostoliques (fin du 4e s.). Cyrille de Jérusalem (Hom. Cat., IV, 36) exclut Ap du NT. Dans ses Poèmes, Grégoire de Nazianze (vers 330-390) ne sollicite pas davantage le livre, bien qu’il y fasse allusion dans ses Discours (XLII, 9, par ex.). D’autres Pères admettent en revanche son autorité : Cyrille d’Alexandrie (370/380-444) reçoit Ap comme texte canonique ; Basile de Césarée (vers 330-379) et Grégoire de Nysse (vers 335/340-après 394) la citent à plusieurs reprises. Les Pères de l’école d’Antioche s’opposent beau- coup plus catégoriquement à sa reconnaissance. Jean Chrysostome (vers 345 ou 354-407) ne cite pas Ap, mais vers la fin du 6e s., André de Césarée en rédige un commentaire, ainsi qu’Aréthas de Césarée, à la fin du 10e s. Durant ce laps de temps, le concile in Trullo convoqué par Justinien II (691-692) reconnaît Ap comme texte inspiré. Patriarche de Constantino- ple à deux reprises (843-858 et 878-886), Photius, lui, ne mentionne pas Ap dans sa refonte du Nomo- kanon. Ce n’est qu’au 14e s. que Nicéphore Calliste en fait définitivement admettre la canonicité au sein de l’Église grecque. Interprétation Genres littéraires L’en-tête du livre (1,1) précise d’emblée le genre littéraire prédominant de l’ouvrage : il s’agit d’une « apocalypse », c’est-à-dire d’une littérature de révélation. Pour la déployer, l’ouvrage met en œuvre plusieurs procédés : Tout d’abord, une grande partie du texte est for- • mée de récits faisant alterner vision et interpré- tation, par la médiation d’un ange ou d’une autre figure du monde d’en haut. Ces récits à proprement 204 Apocalypse de saint Jean parler « apocalyptiques » concernent l’organisation du cosmos (présentation de la cour céleste, de la nouvelle Jérusalem…) ainsi que le dévoilement de l’histoire à venir. Ap se présente également comme une parole prophé- • tique ; l’auteur s’inspire très largement des anciennes prophéties qu’il relit à la lumière de ce qui est pour lui la clé de lecture de toute révélation : la mort et la résurrection du Christ. Enfin, Ap emprunte ses caractéristiques au genre • épistolaire dans la section des « lettres aux Églises » (2,1-3,22). Si, des écrits relevant du genre apocalyptique, l’auteur d’Ap ne retient ni le pessimisme, ni la pseudonymie, ni même l’obscurité ésotérique, il conserve cependant – en les adaptant – des trait propres à cette littéra- ture, comme l’illustre le c.12. *gen c.12 Sources L’auteur de l’Ap connaît et exploite abondamment les Écritures (plus de 500 citations ou allusions à des textes de l’AT). Ses ouvrages préférés sont les pro- phètes (Ez, Is, Jr), Daniel et les Psaumes. L’auteur est également familier des formulations liturgiques de l’Église primitive : doxologies (1,5 ; 4,9 ; 5,13 ; 7,12), acclamations (4,11 ; 5,9s.12), actions de grâce ou louanges (12,10 ; 15,3s ; 16,5 ; 18,20 ; 19,1-8). Il puise également dans le monde dans lequel il évolue. Le recours à des sources païennes (Oracles d’Hystaspe, Oracle de Trophonius) n’est aujourd’hui évoqué qu’avec prudence. La connaissance de l’astrologie ou de la magie ne permettrait pas vraiment d’expliquer l’ouvrage. Il est possible, mais non certain, qu’un thème mythologi- que ait pu influencer la rédaction du c.12 *ptes2. En tout état de cause, l’auteur se réfère essentiellement à un univers qu’il considère comme normatif, à savoir la littérature vétéro-testamentaire, plutôt qu’à des productions d’un monde païen, considéré comme hostile et rongé par les forces du mal. Principaux types d’interprétations Deux principaux modes de lecture ont été adoptés. L’un, historique, qui appréhende le livre comme un ensemble de prophéties embrassant totalement ou en partie l’histoire de l’Église. Ce premier type de lecture a donné lieu aux dérives du système historico- chronologique en concevant Ap comme un ensemble de prédictions correspondant à la succession chrono- logique de l’histoire de l’Église, depuis sa fondation jusqu’à la fin du monde. Rendu célèbre par les Pos- tilles de N. de Lyre (e s.), mais critiqué dès le 15e s. par P. de Burgos, cette interprétation est combattue, au tournant du 16e et du 17e s., par des commenta- teurs identifiant dans Ap des événements précis qui concernent seulement les premiers temps de l’Église. On distingue alors deux écoles : les « futuristes », qui, après F. Ribera, prônent grosso modo le plan suivant : Ap 1-4 (le 1er s. de l’Église) ; Ap 5-20 (« l’état futur de l’Église, au temps de l’Antéchrist et des persécu- tions ») ; Ap 21-22 (« la béatitude des saints après le Jugement ») ; de leur côté les « prétéristes » (J. Henten, A. Salmeron et surtout L. Alcazar) découvrent dans l’Ap des allusions exclusivement liées aux conflits de l’Église naissante, face au judaïsme (Ap 6-11 : chute de la Synagogue et ruine de Jérusalem) et au paga- nisme (Ap 12-20 : destruction du paganisme et chute de Rome). L’autre, spirituel et « récapitulatif », s’efforce de comprendre « la logique de l’exposé » plutôt que le déroulement successif des faits (Victorin de Poeto- vio, In Ap. 11,5). L’adoption du principe récapitulatif énoncé par Tyconius (Reg. VI), repris par Augustin, mais formulé pour la première fois par Victorin, s’avère fécond dans la mesure où il permet de mieux comprendre certaines bizarreries du texte de Patmos. La règle en est la suivante : un événement peut don- ner lieu à plusieurs récits de visions (la victoire du Christ sur la Mort évoquée en Ap 11, 12 et 19, par ex.), ou bien un récit ponctuel renvoyer à une durée de l’histoire humaine. Est ainsi privilégiée une inter- prétation spirituelle, qui appréhende Ap comme une « révélation » s’appliquant aussi bien à l’Église du 1er s. qu’à toute son histoire. Plan d’ensemble du livre Plusieurs critères de structuration apparaissent à fleur de texte, comme l’emploi de l’expression « je fus en esprit/il me transporta en esprit » en des points- clefs du livre (1,10 ; 4,2 ; 17,3), la mention d’une ouver- ture dans le ciel (4,1 ; 11,19 ; 15,5 ; 19,11), ou les nom- breuses occurrences du septénaire. Apocalypse de saint Jean 205 La matière du livre s’articule autour de figures : aux sept Églises qui représentent l’Église universelle (c.2-3), font écho la Femme céleste (c.12) et la Jérusa- lem nouvelle, épouse de l’Agneau (c.21). À l’opposé, « Apollyôn » (9,11) et le monstre qui monte de l’abîme (11,7), le dragon rouge feu et les bêtes (12,3 ; 13,1.11), la Grande Prostituée (17,1), symbolisent le Mal à l’œuvre dans le monde et acharné à compromettre le salut de l’homme. En somme, Ap élève le lecteur à un point de vue surplombant qui, embrassant le devenir de l’humanité, met en lumière un Dieu provident qui révèle la stratégie corruptrice de l’Ennemi, exhorte le peuple fidèle à collaborer à l’avènement du Royaume, et rappelle, dans l’Incarnation et l’avènement judi- ciaire de Jésus, la promesse de la béatitude faite aux témoins fidèles et la réprobation éternelle à laquelle se vouent les sectateurs du « Serpent du commence- ment » (v.9). uploads/Litterature/ apocalypse-de-saint-jean-constitution-du-texte-canonicite-et-importance-traditionnelle.pdf

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