Guy Beaujouan Le symbolisme des nombres à l'époque romane In: Cahiers de civili
Guy Beaujouan Le symbolisme des nombres à l'époque romane In: Cahiers de civilisation médiévale. 4e année (n°14), Avril-juin 1961. pp. 159-169. Citer ce document / Cite this document : Beaujouan Guy. Le symbolisme des nombres à l'époque romane. In: Cahiers de civilisation médiévale. 4e année (n°14), Avril- juin 1961. pp. 159-169. doi : 10.3406/ccmed.1961.1186 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1961_num_4_14_1186 Guy BEAUJOUAN Le symbolisme des nombres à l'époque romane1 I/arithmétique de Boèce et son influence lorsqu'il apparaît dans le catalogue d'une bibliothèque médiévale ou sous la plume d'un auteur des XIe et xne siècles, le mot « arithmétique » ne désigne pour ainsi dire jamais l'art de Y « abaque » ou de 1' « algorisme », c'est-à-dire la technique du calcul : il se réfère seulement à la science des nombres telle qu'elle est enseignée par le De institutione arithmetica de Boèce2. I*es nombres y sont d'abord répartis en « pairs » et « impairs ». I^es pairs peuvent être « pairement pairs » (2P), « pairement impairs » (2W+1) 2 ou « impairement pairs » (2w+i) 2P. I^es impairs à leur tour sont « premiers » ou « composés ». D'après leur composition, les nombres sont parfaits s'ils sont égaux à la somme de leurs parties aliquotes, surabondants (superflui) s'ils lui sont supérieurs, déficients (diminuti) s'ils lui sont inférieurs. 28 est parfait car égal à 1+2+4+7+ 14. Considérées maintenant dans leurs relations réciproques, deux quantités peuvent être égales ou inégales. Il y a cinq espèces d'inégalités : — le multiple ; — le « superparticulier » — — — , par exemple le sesquialter — ou le sesquitertius — ; — le « superpartient » a a-\-m a — le « multiple superparticulier » — le multiple « superpartient » , quand m>i ; na-\-i a na-\-m a L,es nombres peuvent aussi être envisagés en fonction des figures géométriques 10 est triangulaire, 9 carré, 12 rectangulaire, 10 pyramidal, etc. 1. Conférence présentée à Poitiers, le 16 juillet i960, au Centre d'études supérieures de Civilisation médiévale. Je tiens à remercier tout particulièrement de sa bienveillante gentillesse M. André Vernet, professeur à l'École des Chartes : le présent exposé doit beaucoup à ses suggestions et à ses notes. 2. Ed. G. Friedlein, I<eipzig, 1867, et P.I,., I^XIII, 1079-1168. 159 GUY BEAUJOUAN On appelle « circulaire » ou « sphérique » un nombre qui, multiplié indéfiniment par lui-même, se termine toujours de la même manière, tels sont le 5 et le 6. Iy'ouvrage de Boèce s'achemine vers le bouquet final avec l'étude de la proportionnalité qui peut / Q Q A\ être arithmétique, géométrique ou harmonique ( — = ] . I^e cube obéit à cette dernière puisqu'il \ a b—a) To 12 8 a 6 faces, 8 angles et 12 arêtes et que — = — — -. Je parlais du bouquet qui clôture ce feu d'artifice 0 8 — 0 d'ingéniosité : il est constitué par la maxima perfectaque harmonia dont les trois intervalles réalisent simultanément une proportionnalité arithmétique, géométrique et harmonique. Dans la suite 6, 8, 9, 12, par exemple, 6 — 9 — 12 est arithmétique de raison 3 ; 6 - 8 - 12 est harmonique, car — =-^ — -p ', 6 8 — 6 12 8 l'ensemble constitue enfin une proportion géométrique, car — = — . Cette harmonie parfaite 9 6 comprend les intervalles musicaux fondamentaux : « diapason » (double) : 6/12 « diapente » {sesquialter) : 9/6 « diatesseron » {sesquitertius) : — ou — 6 9 « ton simple » : 9/8. Ces considérations ne sont pas dépourvues d'une certaine poésie, elles montrent bien le sens profond d'un livre qui recherche, dans la simplicité, des concepts mathématiques selon lesquels a été créé l'Univers, la vraie beauté et l'essence même de la réalité 3. Influencés qu'ils étaient par Macrobe, Chalcidius et Martianus Capella, les commentateurs médié vaux de l'arithmétique n'en trahissent pas l'esprit lorsqu'ils s'adonnent aux divagations du néo-platonisme 4. Ivimité à la terre et au feu qui l'éclairé, le monde eût manqué d'harmonie : une proportionnalité d'ordre géométrique devait donc s'introduire entre ces deux éléments extrêmes : elle ne peut être du type a2 — ab — ô2 puisque le monde a trois dimensions, de là la nécessité des quatre éléments dont l'enchaînement peut être comparé à celui des nombres 8, 12, 18, 27 6. De même, les sphères sur lesquelles sont piqués les astres et dont le centre est la terre avaient, au dire des Pythagoriciens, des rayons proportionnels à 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27 (c'est-à-dire 1, 2, 3, 22, 32, 23, 33), la distance de la terre à la lune étant prise comme unité. Il existe entre ces nombres des proportions simples (double, sesquialter, sesquitertius) génératrices des intervalles musicaux fonda mentaux (« diapason », « diapente », « diatesseron », ton simple). I^e mouvement des sphères produit 3. Sur les antécédents grecs de l'arithmologie professée par Nicomaque de Gérasa et Boèce, P. H. Michel, De Pythagore à Euclide, Paris, 1950. — Je ne puis aborder ici le problème du symbolisme des nombres chez les gnostiques et les manichéens. Solides éléments dans F. Sagnard, La gnose valentinienne et le témoignage de saint Irénée, Paris, 1947, en. x, p. 358-386, l'arithmologie de Marc le Mage ; I,. Troje, Die Dreizehn und die Zwôlf im Traktat Pelliot..., ein Beitrag zu den Grundlagen des Manicheismus, I^eipzig, 1925. — Sur l'i mportance des nombres 3 et 4 à l'époque mérovingienne : É. Salin, La civilisation mérovingienne, t. IV : Les croyances, Paris, 1959, p. 119- 121. 4. Sur les gloses de l'arithmétique de Boèce (celles de la Bibl. Nat. de Paris en particulier), voir G. Schepss, Zu den mathematisch- musikalischen Werken des Boethius, dans « Abhandl. aus d. Geb. d. klass. Altertum-Wissensch. », 1891, p. 107-113 ; Gesckichtlisches aus Boethius Handschriften dans « Neues Archiv », t. XI, 1885, p. 123-140. 5. P. Duhem, Le système du monde, t. I, p. 28-32. Voir Paris, B. N., lat. 7184, fol. 92 ; lat. 7359, fol. 1. IÔO I,E SYMBOLISME DES NOMBRES A i/ÉPOQUE ROMANE donc une ineffable symphonie, que nous ne percevons pas parce que nous y sommes habitués ou parce qu'elle est trop puissante pour la faiblesse de notre ouïe6. Gloses étymologiques à la manière d'Isidore, commentaires philosophiques inspirés de Macrobe, de Chalcidius et de Martianus Capella, là ne se limitent pas les réflexions qu'inspire, au début du moyen âge, l'étude de l'arithmétique spéculative. Est-il exact que toutes les espèces d'inégalités (multiples et sous-multiples, superpartients, superp articuliers, multiples superpartients et multiples superparticuliers) procèdent de l'égalité ? Étant donné l'une quelconque d'entre elles, peut-on toujours trouver la voie qui la ramène à l'unité ? Ces questions, à nos yeux assez saugrenues, constituent peut-être le problème central que pose et prétend résoudre le livre de Boèce. Son importance philosophique est grande, car si l'inégalité pro cède de l'égalité, le péché au contraire ne vient pas de Dieu 7. Les commentaires sont donc nombreux sur le dernier chapitre du livre I et le début du livre II : rappelons ceux de Gerbert8, Abbon de Fleury fl, Notger le Bègue10, Bernard d'Hildesheim u... Le ms. latin 14064 de la Bibliothèque Nationale renferme, au fol. 37, une importante scolie de ce passage transcrite en notes tironiennes. Le ms. 498 de Chartres contenait également, au fol. 144, une Explicatio cuiusdam dicti Boetii circa finem primi capituli secundi libri arithmeiice. II Les données numériques des saintes Écritures Inséparable de la cosmologie néo-platonicienne, l'arithmétique spéculative va trouver, avec l'essor du christianisme, un nouveau terrain d'application u. Déjà saint Augustin avait admis que les spéculations sur les nombres ne sont pas inutiles pour comprendre certains passages obscurs des saintes Écritures, car ce n'est pas sans raison qu'il est dit à la louange de Dieu dans la Sagesse (XI, 21) : omnia in mensura et numéro et pondère disposuisti. Sept siècles plus tard, Abélard ira beaucoup plus loin lorsqu'il affirmera, en dépit de son nomina- lisme, que parmi les sciences du quadrivium les deux plus indispensables au théologien sont la dialectique et l'arithmétique. Ceci n'empêche pas que le symbolisme des nombres reste un domaine étranger aux médiévistes. Le travail classique de Hopper utilise essentiellement les textes publiés dans la Patrologie, sans savoir que le plus important (celui d'Isidore) est apocryphe, sans soupçonner surtout que les traités fondamentaux du xne siècle sont encore inédits. Cette ignorance se retrouve dans plusieurs études récentes sur le symbolisme roman u. Il n'y a pas lieu de s'en étonner car, comme l'a judicieu- 6. Paris, B. N., lat. 7359, fol. 84 (belle figure du xme siècle d'après un modèle plus ancien). — F. Eyssenhardt, Macrobii commen- tarium in Somnium Scipionis, Iydpzig, 1868 ou 1893, p. 112 ; Duhem, op. cit., t. II, p. 10. 7. Schepss, Zu den mathematisch-tnusikalischen Werken des Boethius (supra, n. 4), p. ni. 8. N. Bubnov, Gerberti opéra mathetnatica, Berlin, 1899, p. 32-35 ; H. Silvestre, Une copie de la scolie de Gerbert à l'Arithmétique de Boèce II, 1, dans « Scriptorium », t. III, 1949, p. uploads/Litterature/ beaujouan-le-symbolisme-des-nombres-a-l-x27-e-poque-romane 1 .pdf
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- Publié le Jul 27, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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