Application et limites de la théorie de l’équivalence dynamique en traduction b

Application et limites de la théorie de l’équivalence dynamique en traduction biblique : le cas du Cantique des cantiques. Claire Placial Université Paris Sorbonne « Application et limites de la théorie de l’équivalence dynamique en traduction biblique : le cas du Cantique des cantiques », Atti del Convegno giornate internazionali di studi sulla traduzione, Cefalù 30- 31 ottobre e I novembre 2008, voll. II, a cura di Vito Pecoraro, Studi francesi 3, Herbita, Palermo, 2009, p. 261-273. La traduction au cours du XXe siècle a connu un développement très important, en termes de nombre de publications comme de langues dans lesquelles et desquelles on traduit. La traduction biblique a quant à elle connu une progression et une diversification considérables, entre autres dans le contexte des missions en Afrique, Amérique Latine, Asie du Sud-Est. C’est d’abord dans le cadre de ces missions et au sein des Alliances Bibliques diffusant la Bible dans les mission qu’a été élaborée théorie de l’équivalence dynamique, telle qu’elle a été formulée par Eugene Nida. Comme à d’autres moments, la traduction de la Bible a été à l’origine de considérables développements théoriques sur la traduction1. Après avoir défini la théorie de l’équivalence dynamique et étudié l’influence considérable qu’elle a eu sur un certain type de traductions bibliques, j’entends montrer en quoi les traductions les plus récentes de la Bible, et notamment les traductions de livres bibliques éditées séparément, tendent à une dépassement de la théorie de l’équivalence dynamique. Je m’appuierai sur des exemples tirés du Cantique des cantiques, parce que ce texte est un bon laboratoire de l’étude des tendances traductives : c’est un texte très fréquemment traduit, de par sa brièveté, sa nature poétique, sans oublier l’attraction certaine que son contenu érotique exerce depuis toujours sur les traducteurs. Je citerai en particulier un exemple précis, le verset 6,12, qui à cause de l’extrême difficulté du texte hébreu permet de bien cerner la portée de la théorie de l’équivalence dynamique. 1 On en trouve des traces dans les paratextes accompagnant certaines des traductions les plus marquantes de la Bible, et ce dès la traduction des Septante, dans le prologue du Siracide. Jérôme s’exprime sur les principes de traduction mis en œuvre dans la Vulgate dans la lettre 57 qui contient cet adage désormais célèbre : non uerbum e uerbo sed sensum exprimere de sensu (« ne pas traduire un mot pour un mot, mais le sens à partir du sens », notre traduction). Luther rédige en 1530 le Sendbrief vom Dolmetschen, dans lequel il explique son choix de traduire après avoir écouté comment parlent « la femme dans sa maison, l’enfant dans la ruelle, l’homme au marché » (notre traduction). L’expression « équivalence dynamique » naît sous la plume d’Eugene Nida au cours des années 1940. Diplômé de linguistique grecque, spécialiste du Nouveau Testament grec, Nida a été un temps missionnaire au Mexique. Des ennuis de santé l’obligent à regagner les Etats-Unis, où il se consacre à théoriser ce qu’il a tenté de pratiquer sur le terrain : la traduction de la Bible en langue vernaculaire, en l’occurrence essentiellement africaines, andines et de l’Asie du Sud-Est, qui ne possèdent pas de littérature écrite. Il écrit d’abord dans un but pratique : il entend donner aux traducteurs un manuel qui les guide dans leur tâche. En témoigne le titre de son premier ouvrage publié en 1949 : Bible Translating. An Analysis of Principles and Procedures, with Special Reference to Aboriginal Languages2. (Traduire la Bible. Une analyse des principes et procédures, avec des références spécifiques aux langues aborigènes). En 1969, dans un nouvel ouvrage intitulé The Theory and Practice of Translation, il donne cette définition de la théorie de l’équivalence dynamique : Dynamic equivalence is therefore to be defined in terms of the degree to which the receptors of the message in the receptor language respond to it in substantially the same manner as the receptors in the source language. This response can never be identical, for the cultural and historical settings are too different, but there should be a high degree of equivalence of response, or the translation will have failed to accomplish it’s purpose3. L’équivalence dynamique doit donc être définie en termes de degré avec lequel le récepteur du message dans la langue réceptrice y répond d’une façon substantiellement identique à celle avec laquelle le récepteur y répondait dans la langue source. Cette réponse ne peut jamais être identique, parce que les contextes culturels et historiques sont trop différents, mais il doit y avoir un haut degré d’équivalence de la réponse, sans quoi la traduction a manqué son but4. On sent dans cette phrase ce que Nida doit à la linguistique behaviouriste, puisque pour lui la traduction se définit comme le passage d’un message certes d’une langue à un autre, mais au delà, d’un émetteur (l’auteur inspiré) à un récepteur (le lecteur). Plus tard, Nida reviendra sur la notion d’équivalence dynamique, lui préférant le terme d’équivalence fonctionnelle. Le traducteur doit centrer son attention sur 2 Eugene A. Nida, Bible Translating. An Analysis of Principles and Procedures, with Special Reference to Aboriginal Languages, American Bible Society, New York, 1947. 3 In The Theory and Practice of Translation, Eugene A. Nida et Charles R. Taber, published for the United Bible Society by E. J. Brill, Leiden, 1969, p. 22. 4 Notre traduction. la fonction linguistique du texte source, et produire une traduction qui la retranscrive. Les théories de Nida s’orientent ainsi au fil des années vers l’application dans le cadre de la traduction biblique des théories de la linguistique fonctionnelle. Dans son ouvrage Toward a Science of Translating, with special reference to principles and procedures involved in Bible translations 5 (vers une science de la traduction, avec des références spécifiques aux principes et procédures impliquées par les traductions de la Bible), Nida oppose dans un chapitre intitulé “Basic conflicts in translation theory” la traduction par équivalence dynamique, qu’il adopte, à la traduction littérale. Globalement, cette opposition recoupe l’opposition que l’on a désormais coutume de faire entre traduction « cibliste » et traduction « sourcière ». Ces termes ont été introduits au siècle dernier dans la langue française, mais il a toujours existé ce genre d’oppositions binaire entre deux types de traduction, l’une orientée vers le respect du texte source, et notamment de sa syntaxe, l’autre vers la lisibilité de la traduction dans la langue cible. Nida et de Waard citent Schleiermacher dans D’une langue à l’autre. Traduire : l’équivalence fonctionnelle en traduction biblique : Schleiermacher a exprimé ce dilemme en des termes maintenant classiques : « Le traducteur a le choix : laisser autant que possible l’auteur en paix et attirer le lecteur, ou laisser autant que possible le lecteur en paix et conduire l’auteur jusqu’à lui. » Pour Schleiermacher, le traducteur ne peut prouver sa compétence stylistique qu’en alliant sa propre langue à la langue étrangère (et non pas le contraire), de manière à préserver la langue source dans sa traduction6. Il me semble que la distinction opérée par Nida entre la traduction littérale (qu’il appelle parfois « traduction philologique ») et la traduction par équivalence dynamique comporte un degré supplémentaire par rapport à la distinction entre traduction sourcière et traduction cibliste. La théorie de l’équivalence dynamique prend sa source dans la traduction biblique opérée dans le cadre des missions chrétiennes. Or la Bible dans ce cadre est considérée comme le lieu où s’exprime le message divin. Ce qui fonde l’opposition entre traduction littérale ou par équivalence formelle et traduction par équivalence dynamique dépasse la question de la réception de la traduction par son lectorat : il s’agit en effet en amont de considérer la Bible comme 5 Eugene A. Nida, Toward a Science of Translating, with special reference to principles and procedures involved in Bible translations, E. J. Brill, Leiden, 1964. 6 Jan de Waard et Eugene A. Nida, In D’une langue à l’autre. Traduire : l’équivalence fonctionnelle en traduction biblique, traduit de l’anglais par Janine de Waard, Villiers-le-Bel, Allinace Biblique Universelle, 2003, p. 181. message, là où les traductions littérales la considèrent d’abord comme texte. Phil Noss, coordinateur des services de traduction de l’Alliance Biblique Universelle écrit dans la préface à l’ouvrage de Nida et Jan de Waard les mots suivants, qui résument bien les présupposés sur lesquels se fonde la traduction par équivalence dynamique : Le génie d’Eugene Nida, de Jan de Waard et de leurs collègues se manifeste dans la simplicité de leur démarche. Les mécanismes complexes de la traduction furent décomposés en principes fondamentaux. Tout ce qui pouvait être exprimé dans telle langue pouvait l’être dans telle autre – seule la forme différait. Aux traducteurs de formuler le message dans leur langue ! Cette méthode, à la fois simple et efficace, débarrassait le message de la langue source et donnait aux traducteurs la liberté de chercher les moyens permettant d’exprimer les vérités séculaires de la Parole de Dieu dans leur propre parler. Cette méthode centrée sur la communication du message a exercé une influence considérable sur toute une génération de traducteurs de la uploads/Litterature/ application-et-limites-de-l-x27-e-quivalence-dynamique.pdf

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