Dossier / Apprendre : tous ensemble ! N’AUTRE école, n° 18, printemps 2008 30 H

Dossier / Apprendre : tous ensemble ! N’AUTRE école, n° 18, printemps 2008 30 H APPÉ PERSONNELLEMENT par l’école dès l’âge de 4 ans, en ayant souffert tout au long d’une scolarité interminable puisque 5 années dans les « Écoles Normales » de l’État devaient me permettre enfin de passer de « l’autre côté de la barrière », offrant au fils d’ouvrier que j’é- tais un enviable mais tout relatif déclassement « par le haut » : commencer une « carrière » d’enseignant de français dans un CEG du Nord de la France, j’ai très vite éprouvé le malaise de cette condition dans l’appareil d’Etat. J’ai cru pouvoir y échapper en par- tant au Maroc où s’est imposée l’option FLE. De retour à Paris, on m’a proposé en 1977 une petite classe de 15 à 18 élèves dans une petite salle d’un « bon collège » dans un quartier assez favorisé, la classe des « non-francophones ». La première partie de cette aventure a duré 12 ans. Il résultait de cette localisation une certaine « mixité sociale » dans la classe (une expression qui, dans les faits, est aujourd’hui pratiquement tombée en désuétude !) ; des enfants favorisés européens, nord et sud-américains côtoyant de petits pauvres originaires du Sud-est asiatique, d’Afrique sub-saharienne ou du Maghreb. Ce fut la période la plus heureuse de cette « carrière ». La difficulté pédagogique résultant de l’hétérogénéité des âges (12 à 16 ans), des niveaux scolaires, des langues et des cultures ne m’effrayait pas. J’en ai au contraire relevé le défi. Ce fut notamment le point de départ d’un PAE (Projet d’Action Educative) : « Ouverture sur les cultures du monde » qui déboucha sur plusieurs réalisations : entre autres une exposition de mots-images en lan- gues d’origine et en français, dans l’espace jeunes du 2 e salon Expo-Langues en 1984 au Grand Palais, inauguré par le ministre Alain Savary avec qui j’eus l’occasion de m’entretenir quelques instants, et la production de 4 petits sujets télévisés insérés dans Récré A2 : « Ton pays c’est quoi ? ». Je me rendais souvent au collège le cœur joyeux car j’éprouvais un vrai plaisir à enseigner à ces enfants très motivés, sympathiques et attachants. À l’époque l’administration me laissait en paix et ces jeunes étrangers qui se mettaient à parler, lire et écri- re le français en quelques mois impressionnaient relativement les collègues qui les voyaient arriver en face d’eux par la suite. Il faut dire aussi qu’alors je pouvais garder 2 ans ceux qui éprouvaient le plus de difficultés. Cependant la classe devait se tenir tran- quille dans ce coin du collège où elle était reléguée, le PAE ayant été la seule opportunité de lui assurer un certain rayonnement. Dès cette époque j’ai eu recours à ce qu’il est convenu d’appeler des « méthodes actives », intro- duisant notamment l’usage d’un matériel didactique Freinet conçu pour des élèves francophones à l’éco- le élémentaire, en organisant des ateliers d’autodi- daxie et/ou d’apprentissage mutuel pour les élèves les plus avancés linguistiquement qui, parallèlement au cours de FLE audiovisuel avec le groupe des débutants complets, s’installaient dans le fond de la classe, prenaient dans l’armoire le fichier d’orthogra- phe ou de lecture Freinet qui s’inscrivait dans leur plan de travail pour, comme ils disaient, « faire des fiches ». Ce matériel autocorrectif leur permettait notamment d’apprendre les bases de l’orthographe et de la syntaxe mais aussi du vocabulaire car l’usage du dictionnaire bilingue était autorisé et même recommandé. J’en avais d’ailleurs fait acheter par le collège une panoplie dans plusieurs langues : anglais, arabe, chinois, polonais, portugais, serbo- croate, russe, tamoul, turc..., ainsi qu’un ensemble de livres de différents niveaux de lecture en français et dans toutes ces langues, pour constituer une petite bibliothèque internationale de classe. Ce type de travail échappant au contrôle direct du maître, le pli de malhonnêteté souvent acquis dans l’enseignement traditionnel poussait parfois certains Traverses vives Apprendre le français et après ? J'ai enseigné le français au long cours dans les collèges, dont 22 années dans des classes d'accueil pour enfants « étrangers non-francophones, primo-arrivants ». Ce type de classes inévitablement marginalisées plongeaient l'administration et nombre de collègues dans un certain embarras pédagogique que l'enseignant « spécialiste » de FLE (Français Langue Etrangère) était censé réduire, dès lors qu'il avait pour mission d'adapter le plus rapidement possible ces enfants à la structure éducative traditionnelle, et d’en faire des élèves lambdas intégrables à la classique « montée pédagogique ». „ LIONEL CAYET, Ex-prof de français Auteur du projet d'éducation libertaire et transculturelle : Traverses Vives 31 N’AUTRE école, n° 18, printemps 2008 Dossier / Apprendre : tous ensemble ! 1. Je ne mettais d’ailleurs pas de notes chiffrées. Pour satisfaire à l’exigence d’évaluation trimestrielle du collège j’appliquais une lettre niveau de A à E en trois rubriques : oral, lecture, écrit, ce qui me permettait d’échapper à l’informatisation des bulletins (lorsqu’elle s’est imposée au milieu des années 90), bulletins dont j’avais d’ailleurs réalisé moi-même le prototype car l’ordinateur n’acceptait que deux lettres en terme d’évaluation pour l’éducation physique et sportive : A comme absent et D comme dispensé... 2. Le dispositif académique d’accueil a depuis lors évolué, semble-t-il. d’entre eux à compléter la fiche exercice en recopiant directement les réponses de la fiche correction. Une tendance qui cependant s’in- versait rapidement en investissement sérieux et profitable dès lors que, ayant constaté la tri- cherie, l’élève voyait que je n’appliquais aucune sanction, que ces travaux n’étaient pas notés 1, comprenant que le but n’était d’ailleurs pas de réussir pour gagner des points ou plaire au maître mais d’apprendre pour soi et avec les autres. Car bien évidem- ment la coopération et l’entraide étaient éga- lement encouragées ; les élèves travaillant souvent en binôme sur une boîte de fiches, le plus avancé, celui qui avait compris se char- geait de l’expliquer à l’autre. Bien sûr cela pouvait conduire à des chuchotements sus- ceptibles de parasiter la leçon audio-visuelle mais tous en prenaient vite conscience et le niveau en était toujours acceptable. Ils savaient aussi qu’ils pouvaient m’interrompre s’ils avaient un motif sérieux de le faire, s’ils butaient sur un item indépassable ; je fournis- sais alors l’explication nécessaire et ils n’abu- saient pas de ces interruptions. Ils aimaient ce type d’atelier qui leur don- nait une relative autonomie, au point que les débutants, dès qu’ils avaient acquis une cer- taine compétence en terme de compréhension communication, me demandaient à leur tour quand ils pourraient « faire des fiches ». Douze ans ayant passé, et pour des motifs qui lui furent propres, l’administration acadé- mique ferma la petite « classe d’étrangers » de ce « bon collège » d’un joli quartier de Paris. J’acceptais alors, pour continuer ce type d’enseignement et de relation aux élèves un poste en zone sensible dans un environne- ment bien moins favorisé. La classe dite offi- ciellement d’accueil recevait maintenant 24 puis 26 et même 27 élèves, dont le temps d’apprentissage du FLE ne pouvait désormais excéder une année scolaire ! Rapidement, en début d’année, je faisais le constat qu’un petit groupe de 5 ou 6 élèves étaient analphabètes ou illettrés dans leur langue d’origine et que là encore il fallait diversifier, leur apprendre à lire tout simplement. Ils avaient 12, 13 ou 14 ans... Je leur consacrais 2 ou 3 heures hebdo, cependant que parallèlement, l’atelier fiches tournait pour les autres. Je confectionnais par ailleurs pour les plus avancés des emplois du temps individualisés et évolutifs en les affectant ponctuellement dans les différentes classes du collège, selon leur niveau, leur âge et leur progression, dans des disciplines comme l’anglais, les maths, l’histoire-géo, etc., tout en leur ménageant un cours de FLE niveau 2 en classe d’accueil. Je quittais souvent le collège tardivement car pour ce faire toute la documentation nécessai- re était sur place et c’est parfois à 19 ou 20 heures que je sortais de l’établissement par l’issue de secours. C’était ainsi de plus en plus lourd, de plus en plus complexe. L’administration n’en avait cure. Alors que le seul souci du rectorat était d’asseoir ces élèves « primo arrivants » quelque part dans une classe d’accueil exis- tante 2, je fis valoir un jour à la direction de ce collège sensible que surcharger l’effectif de la classe, imposer des débutants complets à tout moment de l’année, ce n’était plus seulement me demander de maîtriser la différenciation et la complexité, mais que cela obérait mon tra- vail, confinait à l’absurde. On s’efforça alors de me réconforter : je pouvais juger en toute indépendance ce qui m’était possible de faire et m’en tenir là. Cela ne libéra pas pour autant ma conscience, m’incitant au contraire à m’investir davantage auprès de ces enfants. L’enseignant libertaire que j’étais viscérale- ment et sans le savoir, dans un contexte où tout s’y opposait (je ne l’ai compris que beau- coup plus tard lorsque le temps de la retraite étant venu j’ai découvert l’œuvre fondamen- tale de Faure, Ferrer et Robin), l’enseignant libertaire que je suis uploads/Litterature/ apprendre 1 .pdf

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