UNIVERSITÉ PARIS SORBONNE-PARIS IV ISLAM D’INTERDITS, ISLAM DE JOUISSANCES La r

UNIVERSITÉ PARIS SORBONNE-PARIS IV ISLAM D’INTERDITS, ISLAM DE JOUISSANCES La recherche face aux représentations courantes de la sexualité dans les cultures musulmanes Recherche inédite en vue de l’Habilitation à Diriger la Recherche (H.D.R.) présentée par : Frédéric LAGRANGE Directeur de recherche : Abdallah CHEIKH-MOUSSA Jury composé de : Abdallah CHEIKH-MOUSSA (Professeur des Universités, Paris Sorbonne-Paris IV) Jocelyne DAKHLIA (Directeur d’études, EHESS) Luc-Willy DEHEUVELS (Professeur des Universités, INALCO) Ludvik KALUS (Professeur des Universités, Paris Sorbonne-Paris IV) Everett K. ROWSON (Associate Professor, New York University) Katia ZAKHARIA (Professeur des Universités, Lyon 2) Année universitaire 2007-2008 Introduction ------------------------------------------------------------------------------------------------------- 3 1- Les corps et la foi 1-1 L’institution des genres ------------------------------------------------------------------------------------ 21 1-2 Plaisirs de l’au-delà ----------------------------------------------------------------------------------------- 29 1-3 La police des corps : masculinité et féminité ----------------------------------------------------------- 41 1-4 Failles du genre : efféminés, travesti(e)s et eunuques ------------------------------------------------ 80 2- La gestion des désirs : lois, transgressions et pratiques sociales ----------------------------------- 98 2-1 Plaisirs licites d’ici-bas : mariage, polygamie, concubinage --------------------------------------- 102 2-2 Sexualité illicite : adultère et fornication -------------------------------------------------------------- 127 2-3 Le crime du peuple de Loth ------------------------------------------------------------------------------ 135 2-4 La sexualité féminine source de désordre ? ----------------------------------------------------------- 144 2-5 La séparation des sexes: voile, réclusion, harem ----------------------------------------------------- 153 2-6 Deux enjeux de la «modernité islamique» : visibilité de la femme et hétéronormalisation -- 175 3- Discours alternatifs de l’Islam : médecine, littérature savante, expressions populaires ----- 195 3-1 Médecine et sexualité ------------------------------------------------------------------------------------- 196 3-2 Le modèle littéraire de la passion ----------------------------------------------------------------------- 201 3-3 La littérature comme espace de transgression -------------------------------------------------------- 215 3-4 La littérature moderne et le tabou de la sexualité ---------------------------------------------------- 230 Epilogue --------------------------------------------------------------------------------------------------------- 237 Bibliographie --------------------------------------------------------------------------------------------------- 242 1 translittération : Arabe : consonnes et glides : ', b, t, th, j (sauf dans les noms propres égyptiens du XIXe et XXe siècle, g), ḥ, kh, d, dh, r, z, s, sh, ṣ, ḍ, ṭ, ẓ, ‘, gh, f, q, k, l, m, n, h, w, y. voyelles longues et brèves : â, û, î ; a, u, i. ê et ô pour les dialectes utilisant ces phonèmes. Turc et persan : les translittérations suivent les sources consultées et sont standardisées pour les noms propres à partir de l’Encyclopédie de l’Islam. Quand des sources en caractères arabes ont été consultées, les voyelles longues ont été marquées. traductions : Les traductions de l’arabe et de l’anglais sont toutes de l’auteur, sauf indication contraire. Les traductions du turc et du persan sont indirectes, effectuées à partir des traductions anglaises consultées. Les formules pieuses suivant la mention de Dieu, d’un prophète, ou des compagnons de Muḥammad, de type Sur lui la prière et le salut, ont été retirées des traductions du ḥadîth afin d’alléger le texte. références bibliographiques : - sources primaires classiques : L’édition de référence est indiquée en bibliographie. Seul le titre est signalé (ex. Aghânî = Abû l-Faraj al-Iṣfahânî, Kitâb al-Aghânî) pour certains ouvrages courants. Quand l’édition consultée est la version électronique du site internet http://www.alwaraq.com, la référence est indiquée comme suit : [alwaraq XX], XX représentant la page. Pour les ouvrages de tafsîr coranique et les six collections canoniques de ḥadîth, une version électronique a été systématiquement utilisée, en raison de la sûreté de ces versions et de l’uniformité des références ; seule la mention de sourate et de verset est indiquée pour l’exégèse, seul l’ouvrage, le numéro de la tradition et le chapitre est indiqué pour le ḥadîth. - sources modernes : l’édition de référence figure en bibliographie. Pour les sources souvent citées, seuls l’auteur et la date sont mentionnés. - Encyclopédie de l’Islam : l’édition utilisée est la version sur CD-ROM ainsi que l’édition en ligne de Encyclopaedia of Islam, [seconde édition] Leiden, Brill, 2003-2007. Le texte anglais est traduit en français par l’auteur. Les références suivent ce modèle : Auteur(s) de l’article, “titre de l’article”, EI2. Les articles actuellement en ligne de la troisième édition n’ont pas été utilisés. Mes plus profonds remerciements sont adressés à A. Cheikh-Moussa et J. Dakhlia pour l’aide permanente apportée au cours de la rédaction de ce travail. 2 «C’est cela que les musulmans n’osent clamer : que pour l’Islam, l’individu ne peut pas disposer de son corps comme il veut, manger ce qu’il veut, faire ce qu’il veut»1. «Comme l’Islam détermine toutes les facettes de la vie sociale et personnelle du musulman, du moins en théorie, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’Islam donne aussi des instructions sexuelles au vrai croyant. Ces instructions se fondent sur le Coran, ainsi que des propos et des comportements que l’on prête au prophète Mahomet, les Hadiths. En Europe, dès le 17e siècle, on décrivait l’Islam comme une religion pornographique. Une association d'idée qui s’explique non seulement par l’hédonisme de Mahomet – à qui l'on doit ces paroles célèbres: "Pour ce qui est des affaires terrestres, j’aime les femmes et le parfum" – ainsi que par la sensualité des descriptions coraniques du paradis, mais aussi par l’intérêt accordé à la sexualité (masculine). Pour Mahomet, le sexe ne sert pas uniquement à la reproduction, mais on peut en jouir à part entière – il autorisait d’ailleurs le coït interrompu comme mode de contraception. Le 11 septembre 2001, de religion pornographique, l'Islam est d'un coup devenu une religion terroriste. C'est un changement évidemment regrettable»2 Les normes sexuelles des cultures musulmanes, à travers le temps et l’espace, sont actuellement perçues, dans le discours généraliste de l’Occident tel qu’il se reflète dans la presse et les ouvrages de vulgarisation, selon deux axes, à la fois antagonistes et complémentaires, mais tous deux également essentialistes, statiques et totalisants. D’une part, un courant éditorial animé par une intention de «réhabilitation» des cultures musulmanes, généralement représenté dans l’édition, dans la littérature et le cinéma, dans un moindre degré dans la recherche académique. Ce courant affirme une forte différence entre islam et christianisme : d’un côté exaltation des voluptés sexuelles, «constitutives des conditions mondaines de la vie», sachant que la concupiscence qui accompagne l’amour est «une manière de réaliser l’harmonique cosmique»3 et d’assurer la survivance de la race humaine. La jouissance en islam serait donc à la foi plaisir et devoir, à condition qu’elle se réalise dans les limites de l’union licite. De l’autre côté, dans le christianisme, on ne trouverait que péché originel et haine de la chair, exaltation du modèle monacal, valorisation de l’abstinence, et une moderne liberté sexuelle conquise contre les Eglises. On construit donc le topos d’un «islam de jouissance», libéral en matière de sexualité, non répressif, généralement situé en amont de l’histoire. Les tenants de ce courant se basent sur une relecture contemporaine des textes classiques des littératures arabe, persane et ottomane, et particulièrement sur l’érotologie et la poésie amoureuse ou transgressive, lectures parfois hâtivement projetées sur le présent. Il s’agit de donner sa place à la civilisation musulmane dans ce que ce courant perçoit comme d’universelles valeurs humanistes et libérales, en privilégiant dans le legs millénaire de cette civilisation une image supposée attirante pour le public occidental post- moderne. Ce courant répond implicitement ou explicitement, par son entreprise de «banalisation» de l’islam par le plaisir, à une autre tendance, illustrée le plus souvent par la presse mais aussi par des essais polémiques, qui souligne, dénonce ou exemplifie quant à elle, tout à l’inverse, le puritanisme forcené et l’enfermement identitaire que défendent aujourd'hui les courants activistes islamistes, les Etats 1. Anne-Marie Delcambre, L’Islam des interdits, Paris, Desclée de Brouwer, 2003, p. 80. 2. Hafid Bouazza, DENG (Anvers), traduit dans Courrier International 738-9, 23 décembre 2004. Hafid Bouazza est un romancier néerlandais d’origine marocaine, salué par la critique de son pays, et qui dans certains de ses écrits de presse s’applique à illustrer par ses traductions de l’arabe la face érotique de la civilisation arabo-musulmane. Dans le débat national hollandais, où la tolérance et la permissivité dans le domaine des moeurs sont des valeurs senties comme constitutives de l’identité nationale, «l’islam érotique» est clairement une stratégie d’intégration, H. Bouazza représentant une face souriante et rassurante de l’immigration marocaine dans un pays frappé par l’assassinat de Theo Van Gogh (02/11/2004). 3. Les deux citations sont tirées d’Abdelwahab Bouhdiba, La sexualité en Islam, Paris, PUF, 1975, p. 110. 3 autoritaires et les médias arabes ou des pays musulmans. Ces derniers sont effectivement souvent prompts à réclamer une censure protégeant les «traditions» culturelles contre la «corruption morale» importée d’Occident. Ce second courant éditorial, qui n’est pas nécessairement animé d’une intention de dénigrement mais reflète parfois ses propres enjeux (presse féminine, presse homosexuelle), fait de l’islam le lieu même de l’intolérance. Ces deux visions sont bien évidemment les héritières des deux faces de l’altérité arabo-musulmane construites à l’ère pré-coloniale, «face Galland4» ou peut-être plus exactement face Mardrus ou Burton, d’après les deux principaux traducteurs respectivement français et anglais des Mille et une nuits au XIXe siècle, contre «face Voltaire» ou «face Renan», qui voyait dans l’islamisme5 «la chaîne la plus lourde que l’humanité ait jamais portée». Renan ne parlait certes pas de rapport au corps, mais de place de la raison et de système politique ; or, il est frappant de uploads/Litterature/ islam-d-x27-interdites.pdf

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