Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article [s.a.] Inter : art actuel, n° 58, 1993, p. 20-49. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/46682ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 14 août 2013 10:38 « L’événement Artaud » 20 Suite aux Journées interna- tionales Antonin ARTAUD qui ont eu lieu en mai et juin 1993 à Montréal, nous avons voulu recréer en ces pages une suite, une continuité, une sorte de mise en relief afin d'échapper aux célébrations d'individus qui se terminent soudainement et qui nous laissent dans l'ina- chèvement. Or tout au long de ce colloque nous avons senti des besoins souvent fulgurants de circonscrire cet être, de mettre le doigt sur sa maladie, de le coucher sur un divan afin de jus- tifier sa propre science, de vouloir à tout prix comprendre ARTAUD. C'est à ce moment-là que nous aurions aimé entendre son cri percer l'espace et le temps. ARTAUD avait pourtant écrit: « Tous ceux qui ont des points de repère dans l'esprit, je veux dire d'un certain côté de la tête, sur des emplacements bien localisés de leur cerveau, tous ceux qui sont maître de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens, tous ceux pour qui il existe des altitudes dans l'âme, et des courants dans la pensée, ceux qui sont esprit de l'époque, et qui ont nommé ces courants de pensée, je pense à leurs besognes précises, et à ce grincement d'automate que rend à tous vents leur esprit, sont des cochons. » ' Nous aurons cependant retenu deux noms qui participaient au colloque et dont les points de vue à la fois s'opposaient et se complétaient. Il s'agit de Sylvère LOTRINGER et de Serge OUAKNINE que nous avons interviewé. Nous retenons particulièrement ce dernier pour son cri bienvenu qui a réussi à percer les murs de l'université. SP-BS 1. ARTAUD, Antonin, l'Ombilic des limbes, Gallimard, Paris, 1968, p. 106. Photo: Georges PASTIER/ D R 21 Serge OUAKNINE interviewé par Sonia PELLETIER. S.P. Serge OUAKNINE, j'aime- rais d'abord vous interroger sur une intervention ou plutôt une «- rétorque » faite au début de votre communication à Sylvère LO- TRINGER sur la question juive chez ARTAUD. Vous avez dit : ARTAUD n'est certainement pas juif, s'il l'avait été, il aurait chan- té et n'aurait jamais renié son sexe. Pouvez-vous élaborer ? S.O. Oui. LOTRINGER a récupéré ARTAUD dans la partie tragique dti destin juif. C'est-à-dire là où on pfcut dire ARTAUD vit l'exil, vit 1' nquisition de son corps, vit la suspicion de son identité, vit la déportation physique et morale de son être. ARTAUD vit dans une quête permanente, dans une espè- ce d'exil intérieur dans lequel il est à la recherche d'une terre promise; idéale qui serait le lieu de la vérité et le lieu du sacré. Il y a une dimension juive chez ARTAUD qui est celle de l'homme, errant. L'homme advenant au sens : qui refuse en quelque sorte de thésau- riser les choses, de les enfermer. D'enfermer le sens dans le chef- d'œuvre. De fermer la langue. Être dans la réinterprétation perma- nente est une attitude profondé- ment juive, celle qui fonde l'iden- tité sur la recreation permanente de son propre destin, celle qui réinterroge et réinterprète, au fil des siècles, des textes dont te sens n'est jamais clos. Les textes juifs sont des balises ouvertes sur le fH de l'histoire. Ce qui est vraiment sacré c'est letravail de relecture, la multiplicité des points de vue. MalheureusernenC ce n'est pas l'- aspect que LOTRINGER a déve- loppé. Si on m'avait dit oui je reconnais dans ARTAUD cette dimension-là, j'aurais dit oui : 1 * " * condition de l'artiste est analogue à la condition juive. Et la cofîdiuon humaine c'est la condition juive. Les outils sont là. Entre le peintre des grottes préhistoriques de Lascaux et un peintre moderne, les gestes sont quasiment les mêmes, seMle la perspective é changé, la conscience du temps. Les concepts par lesquels à des gestes semblables sont attribués des sens différents. L'artiste d'hier comme celui d'- aujourd'hui doit traverser la même appropriation du réel et en même temps la même déposses- sion deîson «te. La dépossession du geste va à la rencontre de soi, ce que nous avons de plus intime c'est ce dont nous sommes dépos- sédés. Le divin lui-même ne se possède pas. Dieu pour les juifs est une métaphore, quatre lettres qu'on ne peut pas prononcer, n'est pas nommable. Au cœur de la transcendance, un vide qui parle. Un écart. Un retrait. Un silence qui permet à l'homme de parler. Quatre lettres qu'on ne peut pas dire. Le silence est dans les mots, dans le projet vivant des mots. Cette dépossession du bruit, du plein, du surcroît de matière, du sens figé, du cliché, est le projet vivant de l'acte de réinterprétation et par lequel on peut recommen- cer les choses : vivre une histoire à la fois immobile et pourtant en mouvement... Les artistes, les scientifiques comprennent ce paradoxe. Il est au plus intime secret de tout discours'iet de tout destin. ARTAUD savait cela. Il ne cessa de le dire. De le crier. Je n'ai pas aimé que LOTRIN- GER ait récupéré ARTAUD dans l'- aspect douloureux du destin juif. Il n'a compris de l'histoire d'- ARTAUD que celle d'un sacrifice. La dépossession dont je parle concerne l'acte créateur et non la barbarie ! La douleur de la créa- tion n'est pas identifiable à celle de la mentalité tribale qui détruit l'espace d'autrui ! Le peuple juif a été « crucifié » urie deuxième fois par le monde occidental chrétien. Certes ARTAUD, a vécu sa vie dans le creuset de la douleur comme un « christ poète ». Il faut regarder un poète comme un être, c'est-à-dire du côté de sa lumiè- re... Aussi, je n'accepte pas de réduire l'identité juive ou celle d'- ARTAUD aux uniques avatarsde sa victimisation, même et surtout s'il ne faut jamais oublier. Il y a une forme d'indécence à réduire un destin à sa tragédie. Un man- que grave de réflexion sur les pré- jugés confortables dont se justifie l'histoire. Même si lé peuple juif détient un funeste « prix d'excel- lence » en matière d'exil et de déportation, depuis 2000 ans... il n'est pas pas le seul sur ce tableau d'horreurs... S.P. Oui, on peut dire la même chose des Arméniens, des Cam- bodgiens... S.O. Oui, donc si on identifie ARTAUD au destin douloureux du peuple juif c'est qu'on ne le recon- naît que par son opprobre subi dans le monde chrétien. Moi je ne veux pas me définir dans le regard négatif que la chrétienté a jeté sur moi. Le poète pour moi est au- delà du christianisme et au-delà du judaïsme. C'est pour cela que je dis qu'ARTAUD n'est pas juif. Le peuple jujf ne détient aucun monopole de la douleur et la voca- tion d'ARTAUD est plus grande que sa souffrance... S.P. Oui et vous avez fait remar- quer que si ARTAUD avait été juif, il aurait chanté. S.O. Bien sûr, il aurait chanté et en même temps il n'aurait pas sexe. Parce que si la sexualité est contrainte dans le judaisme, elle n'est pas un tabou. Elle n'est pas vue de manière négative. Elle n'est pas le mal, elle n'est pas le péché. Au contraire la relation à la chair est sanctifiée, la terre est donnée à l'homme pour être vécue. On lit souvent dans la Bible : « Et il mourut rassasié de jours. » C'est-à-dire qu'il aurait bien rempli sa vie. Il n'y a donc pas de discrédit sur la dimension charnelle de la vie. Et deuxième- ment, un enfant juif est circoncis huit jours après sa naissance, pour marquer son alliance à Dieu, inscrire sa chair dans la dimension intemporelle et abstraite qui transcende la vie. Et dont dans la trace de sa sexualité, da^is son sexe, le juif est marqué poufc qu'il sache que la sexualité n'est pas simplement pour le plaisitam pour la seule reproduction, fiais pour maintenir la vie et lalvie comme projet sacré. Un juif ne peut pas faire la négation de sa sexualité* ARTAUD, qui jeta un discrédit « littéraire » sur son seiif. de ce point de vue n'est pas juif. H n'y a pas de|vœux d'abstinence* chez le peuple juif. Mais les pério- des de deuil ou les cycles de la femme suspendent l'acte sexuel. La sexualité nfest pas réprimée. Au contraire, il uploads/Litterature/ artaud-le-cri-sous-la-langue.pdf

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