1 Farid Zahi Les métamorphoses de l’image 2 PREMIERE PARTIE 3 Image et pensée d
1 Farid Zahi Les métamorphoses de l’image 2 PREMIERE PARTIE 3 Image et pensée de l’image dans le monde arabe : Paradoxes d’un état des lieux Savoir, mais aussi penser le non-savoir lorsqu’il se détresse des rets du savoir. Dialectiser. Au-delà du savoir lui-même, s’engager dans l’épreuve paradoxale de ne pas savoir …, de penser l’élément du non savoir qui nous éblouit chaque fois que nous posons notre regard sur une image… Georges-Didier Huberman, devant l’image, Minuit, 1990, p. 15 Je me permets, ici, de parler d’une absence ou plus exactement d’un champ quasi vide, dans le monde arabe, celui des études sur l’image, d’une possible pensée ou d’une simple réflexion sur un phénomène qui a connu, pendant longtemps, sinon l’anathème, du moins l’exclusion et l’avilissement satanique. Je vais donc vous entretenir plus précisément d’un paradoxe, d’un hiatus entre la réalité actuelle de l’image dans le monde arabe, ses modes de présence et de socialité, et l’interrogation lourde qui pèse sur le travail intellectuel et d’investigation susceptible d’en cerner les contours et les modes d’infiltration dans une société qui, il y a juste un siècle, était fortement hostile à sa légitimité. L’iconoclasme d’antan, s’il laisse la place à un flot incontrôlé des images, ne s’est pas pour autant éteint face à cette omniprésence. Il en dénie le statut mais y approuve l’usage : telle est la position des « islamistes » qui traduit cette peur de l’image artistique (à titre d’exemple) mais en tire le plus grand profit en l’adaptant à ses fins et en exploitant les mécanismes et les potentialités techniques1. L’image fait encore peur dans le monde arabe2. Une peur qui n’émane pas seulement de ce qu’on appelle communément l’interdit de l’image en islam, mais surtout des effets historiques et sociaux de cet interdit, lequel prend une dimension collective politique et éthique dans le cas de la représentation des figures sacrées (notamment le prophète) ou de la caricature d’un personnage de la famille régnante, ou d’une quelconque image captée à l’insu d’un personnage politique ou public. Cependant, si 4 l’image fait encore peur, elle demeure néanmoins l’impensé de nos sociétés modernes du monde arabe parce qu’on l’accuse de violence. C’est dans ce sens que Marie José Mondzain (spécialiste de l’image antique) écrit : «Penser l’image, c’est répondre du destin de la violence. Accuser l’image de violence au moment où le marché du visible prend effet contre la liberté, c’est faire violence à l’invisible, c’est- à-dire abolir la place de l’autre dans la construction d’un « voir ensemble » »3. Faire violence à l’image revient à l’interdire, et donc à faire violence à l’invisible, puisque l’image est le médium entre le visible et l’invisible. Rappelons que le caractère ambigu, fascinant et visible, fait de l’image l’insaisissable d’une pratique intellectuelle qui ne voit en elle que son côté usuel. Réduire l’image à son usage a été (avec la photographie à titre d’exemple) le moyen d’en faire une trace, un témoignage et donc de la rendre également un outil de communication et une mémoire qui présentifie l’absent (le portrait et la carte postale comme souvenir)4. Cependant c’est avec le cinéma et la télévision que l’image-fiction a révélé son pouvoir pour se transformer en un refuge imaginaire pour populations arabes. Revisiter Laroui et Khatibi Nous n’hésiterons pas à revisiter ici, pour rendre hommage à un grand penseur marocain quasi oublié, la triade de Abdellah Laroui, dont les catégories semblent encore actuelles : Le Cheikh (revendicateur d’une société musulmane), le politicien libéral fasciné par les acquis de l’Occident et le techniciste qui n’a foi qu’aux progrès techniques5. A mon sens, s’il avait été donné à Laroui, à quelques nuances près, de reformuler cette taxinomie à l’aube du 21e siècle, il aurait ajouté une quatrième figure porteuse d’un projet relatif aux mass-médias. Laroui référait effectivement à des figures intellectuelles réelles (notamment Mohamed Abdou et Salameh Moussa). Or, l’ère de l’image dans le monde arabe n’a pas donné lieu à une figure intellectuelle à la hauteur de la teneur de la situation, comme cela a été le cas pour les trois autres figures, dont l’une a été emblématique de ce qu’on appelle par métaphore historique la renaissance arabe (la nahda). Une autre proposition nous vient d’un des intellectuels les plus éveillés aux problèmes actuels de son temps. En effet, Abdelkébir Khatibi, dont nous célébrons implicitement, ici, dans ce lieu, la mémoire et la présence active pendant plus de 40 ans, a été l’un des rares penseurs arabes à avoir tenté de poser le problème de l’image dans le monde arabe. Paradoxe de l’intellectuel et du sociologue, il nous aura appris à penser davantage le signe que l’image. Sa passion pour la langue qui s’est 5 traduite par le fameux récit Amour bilingue6, ne s’est orientée que vers le signe qui fait image et qui s’incorpore dans une traductibilité du lisible et de l’illisible. La civilisation de l’image chez Khatibi est pensée dans ce qu’il appelle « civilisation de l’intersigne », titre d’un petit livre qui reprend différemment avec une ouverture calculée la notion de civilisation du signe7. Lisons ce que Khatibi écrit de la télévision : « Ainsi, la télévision provoque des joies, des étincelles d’identification et de fascination, qui, à leur tour, suscitent des effets de pathologie, dus à cette mémoire artificielle : hypnose, symptômes d’absence, d’aphasie et de cécité : voir, entendre sans entendre, solitude du spectateur ébloui. Peut-être revient-on à la vie comme un fantôme sorti d’un rêve, d’un cauchemar »8. Décrypter ce passage sans être sensible à son ton ironique, c’est passer à côté de cet attachement viscéral chez Khatibi à l’écriture et au signe comme enjeux inéluctables de l’être du penseur. Car, rappelons- le, Khatibi parle ici de la télévision à partir de l’expérience fictive d’un personnage de son roman (que j’ai eu le plaisir de traduire en arabe), Un été à Stockholm 9. Et voici comment il pense le cinéma : « Imaginez maintenant un homme assis dans l’obscurité d’une salle de cinéma en train d’écrire sur son carnet de bord, en utilisant une pile professionnelle. Tantôt il regarde le film, tantôt il prend des notes. Que cherche-t-il à capter ? à enchaîner de l’image au signe ? Est-il à la quête d’un souvenir singulier qu’il a oublié ? D’un récit qu’il est en train de former avant de le transcrire ? Ou s’applique-t-il à un simple exercice d’écriture cursive en vue d’entrainer, d’éduquer sa vie ? »10. Effet de traduction du visible au lisible, le regard se transforme en aveuglement et le voir en vision… C’est en effet ce qui explique la démarche oblique d’un grand penseur arabe moderne : l’image n’est pensée (et ne peut-être pensée) qu’à travers la langue. Dans le meilleur des cas, elle est aliénante (la télévision) ou considérée comme écriture et support visuel à l’écriture (Khatibi, dans une salle de cinéma, en train de regarder les films de Bergman pour s’en inspirer dans son écriture). Position étrange de l’écrivain dans son désir logo-centrique : il se crée une distanciation presque brechtienne avec l’image et ses pouvoirs. L’écran ne crée-t-il pas une invisibilité de l’image qu’il transmet ? Elle est là mais elle défile pour échapper à une captation rationnelle. Contrairement au langage, elle tisse l’imaginaire pour l’élaborer à l’insu du regardeur. Nous ne récusons pas ici le rapport de la parole (signe ou écriture) à l’image. Car celle-ci ne se pense pas. Elle a besoin du langage pour la penser, la qualifier. Une pensée de l’image n’est possible que dans l’interprétation langagière, comme l’explique si bien Marié José Mondzain : « l’image n’existe qu’au fil des gestes et des mots qui la qualifient, la construisent, comme ceux qui la disqualifient et la 6 détruisent »11. Cependant, la langue dans son pouvoir crée de l’image mais ne peut faire image. L’image mentale est vécue intérieurement, l’image visuelle, elle, se laisse vivre dans la sensation vécue. Elle est affect et projection, miroir et persona. C’est pour cela que le langage a été, en terre d’Islam, le pire ennemi de l’image, parce qu’il est souffle, alors que l’image ne pouvait être acceptée qu’en tant que cadavre12! Le texte intitulé « de l’héritage au contemporain » (1989)13 est une étude historique et critique qui, à mon sens, propose pour la première fois les éléments d’une histoire globale de l’art au Maroc et nous livre un travail remarquable quant aux diverses tendances qui commençaient à s’élaborer nettement dans le paysage visuel marocain. Il fait également l’éloge de l’art populaire ainsi que de l’art naïf marginalisé par l’école de Casablanca. Un texte très documenté, devenu une référence pour les amateurs d’art. Quant à L’Art contemporain arabe, notons dès l’abord que la version arabe (faite par nos soins) a eu un vif succès auprès des lectorats arabophones. Voici ce qui peut nous interpeller dans cette approche: - Tout d’abord une critique explicite de la périodisation occidentale et de la centralité d’une histoire occidentale de l’art qui adopte un découpage historique parlant d’art classique, moderne et contemporain. Or, la question sous-jacente uploads/Litterature/ farid-zahi-livre-les-me-tamorphoses-de-limage.pdf
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- Publié le Aoû 28, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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