W. Deonna L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des gre

W. Deonna L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des grenouilles (second et dernier article) In: Revue de l'histoire des religions, tome 140 n°1, 1951. pp. 5-58. Citer ce document / Cite this document : Deonna W. L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des grenouilles (second et dernier article). In: Revue de l'histoire des religions, tome 140 n°1, 1951. pp. 5-58. doi : 10.3406/rhr.1951.5816 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1951_num_140_1_5816 L'ex-voto de Cypsélos à Delphes le symbolisme du palmier et des grenouilles (Suite)1 9. Le symbolisme du palmier. L'arbre de la destinée des cités, des individus, des dynasties Partout l'homme, sa vie individuelle et sociale, est comparé à une plante, un arbre, qui naissent, grandissent et meurent comme lui2. La mentalité primitive va plus loin, en associant étroitement par des liens mystiques la vie de l'un à celle des 1) Cf. RHR, CXXXIX, 2, p. 163-208. 2) Ex. en Grèce : Homère, //., VI, 145, cité par Plutarque, Consolations à Apollonius {Œuvres morales, trad. Bétolaud, I, 1870, 253) : « II existe vra iment beaucoup de ressemblance entre le sort de l'homme et les feuilles. Tu vois que des unes le vent jonche en hiver les bois, tandis que du printemps la sève réveillée des arbres, qu'il ravive, épaissit la feuillée. Hommes, feuilles, ainsi nous passons tour à tour » ; Id., Sur ce que la Pythie ne rend plus ses oracles en vers (ibid., II, 342) : « Platon a dit de l'homme que c'est une plante céleste, parce que sa tête se lève droite, comme sortant d'une racine » ; Id., De l'exil (chap. 5 (ibid., Ill, 129), même citation de Platon; Id., Des opinions adoptées par les philosophes, V, n° XXIV (ibid., IV, 96) : Heraclite et les Stoïciens disent que l'homme commence à atteindre son plein développement vers 14 ans, à la puberté. « En effet, les arbres commencent à réaliser le leur lorsqu'ils donnent leurs pre mières semences » ; Id., Sur ceux que la divinité punit tardivement, chap. 7 (ibid., Ill, 15) : « De même qu'un cultivateur n'arrache une plante épineuse qu'après en avoir détaché le fruit, de même que les Libyens ne brûlent pas le branchage du ladanum avant d'avoir retiré la gomme de cet arbuste, de même, lorsqu'une race illustre et royale doit naître d'une tige mauvaise et criminelle, Dieu ne détruit pas cette dernière avant qu'elle n'ait donné le fruit qu'elle devait produire » ; Id., Si les vieillards doivent prendre part au gouvernement, chap. 25 (ibid., Ill, 622) : l'homme vieilli et misonéiste, comparé à une vieille souche qui arrête la végétation et le développement des arbres autour d'elle. Comparaison universelle, à laquelle on revient toujours. Pour Swift, « l'homme est un balai », il est fait d'un arbre, mais « qui se présente maintenant d'une façon inverse, ses 6 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS autres1, que ceux-ci soient des végétaux naturels ou artificiels, réels ou mythiques. Tel arbre devient ainsi le symbole de l'individu, de sa lignée, de son groupe social, celui de sa cité2 : «puxov fxucmxov, cni|i.6oXov tou (3íou xcà . tou SavdcTou3. Par sa haute et droite stature, qui l'élève au-dessus des autres arbres, par le rôle qu'il joue dans la vie sociale, par les notions qu'on y rattache, le palmier se prête plus que tout autre à cette comparaison avec l'être humain. La beauté et la noblesse de Nausicaa évoquent à Ulysse le palmier qu'il vit à Délos. Les justes, dit le Psaume, floriront comme le palmier4 ; il est l'arbre de la sagesse5. Il est aussi l'arbre des grands, des puissants. Dans le livre sacré des Iraniens, le Bundehesh, Ormuzd place le palmier-dattier à la tête de tous les arbres ; des textes cunéiformes le comparent au roi ; de nos jours les Arabes le désignent fréquemment comme le « roi des oasis », et Littré lui a appliqué l'épithète si souvent répétée de princeps arborum6. Roi des arbres, il est aussi l'arbre des rois, pareil ainsi à l'arbre sacré d'Éridu, « nourriture des dieux, ornement des rois »7. L'une de ses variétés était dite « royale », то (3a<uXtxov xaXoú[xsvov yévoç, uniquement réservée aux rois de Perse8. branches sur la terre et la tige en l'air... La nature l'a créé vigoureux et robuste... avec des cheveux sur la tête, comme les branches véritables de cette plante ra isonnable »... il est « l'image d'un arbre qui se tient sur la tête », etc. Cf. M. Epuy, Anthologie des humoristes anglais et américains, 1910, 24. Méditation sur un balai. 1) Les ex. sont nombreux et universels, depuis le conte égyptien des deux frères où la vie de Bitiou est attachée à celle de l'acacia, Maspéro, Contes popul aires de VÉgyple ancienne, 1882, 5 ; Cosquin, Rev. quest, hist., 1877 ; Id., Contes populaires de Lorraine, 1877, I, LXVII sq. ; Hartland, The Legend of Perseus, II, 33 ; Sébillot, Le Folklore de France, III, 432 sq. ; Frazer, Le rameau ďor, trad. Stiebel-Toutain, III, 536 sq. ; Hoffmann-Krayer, Handwô'rterbuch d. deutsch. Aberglaubens, s. v. Baum, 955, 2, B. als Seelensitze ; 956, 4, Wesen- gleichheit von Mensch und Baum. 2) L'arbre en relation avec la vie sociale, Frazer, III, 1 sq. ; Bôtticher, Baumkultus d. Hellenen, 165 sq., 170, « Schicksalsbaum ». 3) Cf. Kerenyi, Hermes, 66, 1931, 429, réf. 4) Psaume, 92, 13 ; cf. ci-dessus g. 5) Sur ces différents passages, Westphal, Encyclopédie de la Bible, II, s. v. Palmier. 6) Danthine, Le palmier-dattier, 8, réf. 7) Ibid., 149-150, 160, réf. 8) Thêophr., H. Plant, 2, 6, 7 ; Pline, HN, XIII, chap. IX : « Les plus célèbres sont ceux qu'on nommait royaux, parce qu'ils étaient uniquement réser- L EX-VOTO DE CYPSELOS A DELPHES 7 a) Palmier et cité. — La vie d'une cité dépend de celle d'un arbre sacré1. Mégare de son olivier2, la destinée de Rome du ficus ruminalis3. Le palmier évoque la majesté des enfants d'Aaron ; il est l'emblème national de la Judée ; il la repré sente victorieuse sur les premières monnaies macchabéennes, vaincue sur les monnaies de Vespasien. Les Juifs en placent l'image sculptée dans leurs synagogues4 ; à ce titre, la palme reparaît, comme la vigne, sur les monnaies du nouvel État d'Israël5. En regardant le palmier de Cypsélos à Delphes, Plutarque remarque que ce n'est pas une plante de marais, et que les grenouilles n'ont rien de commun avec les Corinthiens, qu'on ne saurait reconnaître là un symbole ou un emblème de leur cité, cocrre crófx6oXov xoù TOxpácnqjxov sívat ttjç 7ioXécoç, comme le sont d'autres végétaux, par exemple le sélinon des Sélinontins. Ce palmier est, avant tout, nous le dirons plus loin, le symbole de Cypsélos lui-même,, mais il peut être aussi celui de Corinthe dont Cypsélos est devenu le chef. Le palmier de l'Eurymédon rappelle la victoire des Athéniens, il est aussi l'image de la cité, et il en annoncera la destinée par les ravages que les corbeaux y apporteront. N'en serait-il pas de même du palmier de l'Érechthéion ? Il abrite la lampe dont la lumière éternelle représente la vie de la cité et doit en assurer la perpétuité, si bien que son extinction présage le déclin d'Athènes. Palmier et feu sont associés6. On allume des lampes dans le culte des arbres7. Le feu perpétuel assure la vés aux rois de Perse ; il n'y en avait qu'à Babylone, dans le seul jardin de Bagoas... Ce jardin s'est toujours trouvé dans l'enceinte du palais du souverain. » Cf. Bôt- ticher, 422 ; PW, s. v. Phoinix, 392, 399 ; Hubaux et Leroy, Le mythe du phénix, 103. Les fidèles juifs offraient des palmes d'or à leurs rois, 1 Macch., 13, 27; 2 Macch., 14, 4 ; cf. Westphal, Encyclopédie de la Bible, II, s. v. Palmier. 1) Bôtticher, 165 sq. 2) Ibid., 167, réf. 3) PW, s. v. Feige, 2145, 2146-8 ; Bôtticher, 166 ; cf. plus loin с 4) Sur ces ex. Wetsphal, Encyclopédie de la Bible, II, s. v. Palmier, flg. 5) Cf. mon article Sacra Vitis, pour paraître dans Les cahiers techniques de Vart. 6) Cf. plus haut, 8 b. 7) Bôtticher, 49, n° 6, Heilige Lampen bei der Baumverherung. Sur ce feu perpétuel et sa signification, cf. Frazer, Les origines magiques de la royauté, trad. Loyson, 1920, 14, 242 sq., 246, etc. 8 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS durée de ce qu'il symbolise, et une lampe perpétuelle devant l'autel de Némi maintient le salut de l'empereur Claude et de sa famille1. Le palmier de Nicias n'est pas seulement un ex-voto à Apollon Délien, mais l'image de la cité qui l'a consacré. b) Palmier et individu, famille. — La destinée d'un chef puissant, de sa famille, de son genos, de sa dynastie, est de même liée à celle d'un arbre2. Il en était ainsi pour le platane et la vigne d'or des rois achéménides3. La vigne d'or de Thoas est un a\)\x&okov tou yevouç, et un signe de reconnaissance familiale4. Celle du roi uploads/Litterature/ article-rhr-0035-1423-1951-num-140-1-5816-pdf.pdf

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