Au théâtre la pièce est un livret1 Gert Mattenklott p. 104-123 TEXTE NOTES AUTE
Au théâtre la pièce est un livret1 Gert Mattenklott p. 104-123 TEXTE NOTES AUTEUR TEXTE INTÉGRAL • 1 D’après Georg Hensel : « Fluchtwege des Theaters aus der Sprache. Beobachtungen beim Theater der Na (...) 1L’International Visual Theatre, théâtre de sourds, joue actuellement à Paris. Un linge agité avec violence met en scène une tempête mugissante : c’est la mer fouettée par l’ouragan, sans bruit. Le calme est représenté par une perle immergée dans les vagues. Les spectateurs sourds la suivent des yeux. La draperie qui la fait enfin disparaître signifie pour eux le silence. Pour une faible part seulement, ils peuvent déchiffrer, aux mouvements de leurs lèvres, les paroles prononcées par les acteurs sourds. Ceux-ci emploient American Sign Language, qui est actuellement la langue véhiculaire des sourds. • 2 D’après Georg Hensel : « Fluchtwege des Theaters aus der Sprache. Beobachtungen beim Theater der Na (...) 2Que resterait-il de notre communication si le texte dit était effacé ? Alfredo Corrado, directeur artistique de l’International Visual Theatre, propose la conséquence suivante : « Lorsque nous observons la conversation de personnes qui entendent, cela nous paraît très étrange : nous avons l’impression que deux personnes communiquent avec la seule partie du corps qui se trouve au- dessus du cou »2. 3De fait, surtout entre gens cultivés, les relations sont naturellement axées sur l’acte de parole. L’impératif culturel de la verbalisation est si fortement ancré dans l’habitus que la différence entre l’acte de parole et le contexte pragmatique, telle que la linguistique récente l’assume, a encore maintenant la valeur d’une construction théorique. Elle permet au moins de décrire comment les choses se sont passées : la subordination de la communication cultivée à la loi de la rationalité, où la compréhension d’une langue de type verbal et rationnel règle le commerce des hommes. Ainsi le contexte pragmatique lui-même est touché par les moyens de la rhétorique verbale et transformé en texte. Il semble que l’attention que nous accordons à la langue de type non verbal décroisse avec un accroissement de culture. • 3 Cf. Georg Hensel (voir la note précédente). • 4 Rainer Warning : « Das geistliche Spiel zwischen Kerygma und Mythes » (« Le drame spirituel entre K (...) 4L’évolution du théâtre lors de ces dernières années montre une forte affinité avec le jeu gestuel pratiqué sur la scène des sourds. A l’occasion d’une rencontre théâtrale à Hambourg, qui réunissait des petites troupes expérimentales, on a parlé récemment de « l’évasion du théâtre hors de la langue »3. C’est défier, au moins sur le plan méthodique, non seulement la critique théâtrale, mais précisément aussi la description et l’analyse scientifiques du drame. Car celle-ci, pour une autre raison, s’est toujours concentrée sur la communication « limitée à la seule partie du corps qui se trouve au-dessus du cou ». L’objet de la philologie est le texte en tant que somme de toutes les possibilités d’interprétation, mais aussi leur limite. La philologie doit faire preuve de toutes ses facultés, devant les manques de la tradition, quand l’histoire de la littérature nous a seulement transmis les textes, sans le contexte institutionnellement complexe de leur mise en scène théâtrale. Mais quelque sagaces que soient les procédés qu’elle a employés, elle n’aura jamais affaire qu’à de la littérature. Au fond, elle ne peut donc pas du tout disposer de son objet ; à la rigueur peut-être le déduire de ce résidu textuel qui lui reste. Rainer Warning dernièrement a été confronté également à cet état de fait à propos de quelques réflexions sur le théâtre religieux au Moyen-Age : « On peut décrire en peu de mots cette indisponibilité : nous ne détenons que des textes, là où il s’agissait d’institutions, et les frontières qui s’opposent à une reconstruction de ces institutions à partir des textes conservés sont infranchissables. Nous savons que ces textes ne représentent que des restes de mises en scène, qui avaient une fonction institutionnelle, et qu’il serait donc inadéquat de les traiter de la même manière que ce que nous entendons par littérature. Mais c’est précisément à ce concept de littérature que sont liés tous les discours scientifiques, depuis qu’il existe une science de la littérature. Dilthey admettait sans réserve que la manifestation parfaite de l’esprit a toujours été linguistique, et pour éloigné que soit le structuralisme moderne de la métaphysique romantique de l’esprit objectif, la confiance dans le « texte » reste égale. Mais ce texte – on s’en est aperçu de mieux en mieux à une époque très récente – n’est que la manifestation linguistique d’une parole qui, en tant qu’acte, est prise dans le réseau des actions institutionnelles, et dont la théorisation par conséquent implique l’inclusion de tels contextes pragmatiques »4. • 5 Julius Bab l’avait déjà remarqué, lorsqu’il décrit la part que la langue corporelle prend dans la t (...) 5La conversion du drame en littérature, comme la pratique la philologie, est fondamentalement inappropriée, même si l’on ne prend pas en compte l’évolution actuelle du théâtre vers un théâtre gestuel ou d’action. Elle l’est déjà aussi en regard des formes historiques de la dramaturgie, car le texte parlé ne fixe qu’une faible partie des couches de signification qui interfèrent dans le jeu dramaturgique5. Le drame est mal défini par le terme de littérature. Le texte est le canevas du drame, abstrait en faveur de ses éléments littéraires, et, ce qui est encore plus regrettable, il menace de réduire le drame au littéraire. Seule l’évidence tacite de notre culture où prédomine le littéraire fait que ce phénomène nous échappe. L’anoblissement, l’arrogance du mot parlé, élevé au statut de langue proprement dite, qui, lié à l’intériorisation de l’expression, fait partie du processus que l’on a décrit comme embourgeoisement de la culture, s’accomplit aux dépens de l’action, de la gestique, de la chorégraphie, de la modulation de la voix, bref, de tous les porteurs de signification qui ne relèvent pas du littéraire et ne sont pas déterminés – ils y sont tout au plus indiqués – dans le livret. • 6 Ferrucio Rossi-Landi : Azione sociale e procedimento dialettico nel teatro (1968). Traduction allem (...) 6Aucun point de vue qui ne trouve dans la mise en scène, la régie, la décoration, les costumes, l’éclairage que les conditions qui donnent vie à la littérature ne rendra justice au théâtre. Le théâtre est une institution culturelle qui a sa propre dynamique, et naît de la dialectique engendrée par l’action concordante du public, des instances politico-culturelles, des auteurs et de nombreux autres artistes, ayant chaque fois des revendications idéologiques ou esthétiques en ce qui concerne cette institution également. C’est en cela que le théâtre doit être distingué des autres « genres », parmi lesquels on a l’habitude de le nommer dans un même souffle en adoptant le point de vue des genres poétiques, c’est en cela qu’il se différencie qualitativement de la poésie lyrique et de l’épopée. Le roman se réalise dans la lecture, c’est-à-dire comme littérature ; de même la poésie lyrique, bien que l’on puisse encore, dans quelques unes de ses formes, discerner des empreintes d’époques éloignées où les vers étaient chantés ; de façon analogue, cela peut valoir pour des formes originairement narratives du roman moderne, qui continuent d’y exister comme des formes résiduelles. La poésie lyrique et l’épopée sont de la littérature, mais le drame, au sens strict, n’en est pas, ou seulement dans des formes historiquement retardataires, comme ce qu’on appelle le théâtre à lire. Il semble que ce soit ici qu’apparaissent le mieux les limites de la philologie qui ne tient compte que des seuls aspects littéraires, voire de la simple théorie des genres poétiques. Le romancier et le poète lyrique écrivent pour le lecteur, le dramaturge écrit pour le théâtre. Je suis d’accord avec Ferruccio Rossi-Landi, quand il écrit6 : « Le théâtre n’est absolument pas un genre littéraire. La synthèse complexe qu’est le théâtre se réalise en tant que déroulement d’une action collective, en tant qu’action de la société ». 7La Théorie du drame moderne, qui est aussi le premier travail scientifique de Szondi, est parue en 1956. L’environnement théorique dans lequel nous nous mouvons pour traiter de ce livre, après plus de vingt ans, s’est modifié, principalement sous l’effet de l’accroissement des connaissances historico-sociologiques et sémiotiques. Cet ouvrage doit actuellement nous choquer, surtout pour une raison : il émet la prétention d’expliquer la sémantique sociale de l’évolution du drame depuis la Renaissance, donc de présenter l’objet esthétique dans sa signification sociale. Mais le nœud théorique de cette explication est l’hypothèse d’un « drame absolu », que Szondi définit selon des points de vue strictement littéraires et en récusant expressément tous les traits caractéristiques qui, selon Rossi-Landi, déterminent l’essence sociale du drame. C’est l’arrière-plan de la dramaturgie classique qui donne son relief aux affirmations de Szondi sur le drame moderne. C’est en elle que le type du « drame absolu », qui se caractérise essentiellement par le fait que sa signification se réaliserait dans le dialogue et uniquement là, a pris naissance et corps, et la uploads/Litterature/ au-theatre-la-piece-est-un-livret04-pdf.pdf
Documents similaires










-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 11, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2537MB