4 AÏKIDO jutsu et do Le cheminement de l’Aïkido dans l’esprit de son fondateur

4 AÏKIDO jutsu et do Le cheminement de l’Aïkido dans l’esprit de son fondateur Morihei Ueshiba est passé par différentes étapes avant d’aboutir à la voie d’harmonie que nous pratiquons aujourd’hui. Gillles Rettel, 5 e dan, BE 2 e degré, évoque l’évolution fondamentale du jutsu vers le do. B Budo, une mémoire fixée O sensei Morihei Ueshiba n’a laissé de sa propre initia- tive qu’un seul témoignage fixé sur sa discipline. Il s’agit de Budo, livre édité en 1938 à une centaine d’exem- plaires et distribué de la main à la main à certains de ses élèves. Morihei Ueshiba y démontre lui-même les tech- niques qui sont fixées sur le papier. Le mot « fixé » est utilisé à dessein car il s’agit d’une mémoire matérielle. Le seul fait que ce témoignage fixé existe n’est pas neutre. Il ne s’agissait pas pour Morihei Ueshiba de rendre accessible au grand public la discipline qu’il pra- tiquait à l’époque, mais une impulsion était donnée et illustrait le passage du jutsu au do. Le terme « Aïkido» ne sera utilisé qu’à partir de 1942. Avant cette date, les noms utilisés par O sensei pour désigner sa disci- pline varient et sont représentatifs de son évolution , par exemple Aïki bujutsu. Dans le monde des arts martiaux, ce rapport à la publi- cité est toujours d’actualité. En 1997, un responsable Daito-ryu rappelait que le soke Tokimune Takeda (fils de Sokaku Takeda) était globalement opposé aux démonstrations publiques. La discipline devait donc rester secrète. D’une manière plus générale, l’invention de l’écriture et donc la fixation matérielle de la pensée exprimée par le langage a changé le rapport des hommes à leur mémoire : tradition orale/mémoire humaine, tradition écrite/mémoire matérielle. À moins de susciter une forme d’expression originale comme la littérature, le livre en tant que mémoire n’est qu’une trace, une ombre d’une connaissance plus vaste. « Ce que n’ont pu trans- mettre oralement les anciens est bien mort et les livres ne sont que leurs déjections. » Tchouang-tseu (philo- sophe chinois du IVe siècle avant J.-C.). Ce type de réflexions n’est pas réservé à l’Orient. « (L’écriture) […] ne peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoi- re. […] Ainsi donc, celui qui croit transmettre un art en le consignant dans un livre, comme celui qui pense, en recueillant cet écrit, acquérir un enseignement clair et solide, est vraiment plein de grande simplicité. » Socrate (philosophe grec du Ve siècle avant J.-C.). Tous les pratiquants d’arts martiaux, même débutants, savent qu’un livre ne représente pas la connaissance de la discipline. Si c’était le cas, il serait possible d’ap- prendre l’Aïkido par correspondance. C’est ce que rap- pelle, par écrit, Yagyu Munenori (1571-1646), un des plus grands escrimeurs japonais : « Ne lisez pas les mots couchés sur le papier en pensant : ici réside la Voie ». Un budo (voie martiale) ne saurait donc être intégralement transmis par le truchement d’un livre. Mais par cette décision assumée de publication, O Sensei Morihei Ueshiba prend acte de l’évolution des « condi- tions sociales ». le passage du jutsu au do dans l’enseignement de Morihei Ueshiba 1ère partie : une mémoire fixée Morihei Ueshiba en 1936. Jutsu et do 1- Un modèle Pour tenter d’analyser l’évolution du jutsu au do, uti- lisons un modèle comme outil. La discipline peut être vue comme un tétraèdre. Le sommet Le sommet représente le propos de la discipline. De quoi s’agit-il ? De quoi parle-t-on ? Il s’agit de la réso- lution de conflits, du traitement de la rivalité. C’est le cas de tous les arts martiaux japonais mais aussi de la boxe, de l’escrime, etc. Le triangle de base avec ses trois sommets — Les techniques, l’ensemble des schémas techniques. Que fait le pratiquant concrètement ? Que voit un spectateur sur le bord du tapis ? Le propos de la dis- cipline s’exprime extérieurement par des mouvements, des techniques : projections, immobilisations. Elles for- ment, à l’intérieur d’une discipline, un corpus général qui prend sens et cohérence par rapport aux autres sommets. — Le cadre général, la situation, le mode opératoire. Comment cela se passe-t-il ? Comment fait-on cela ? Comment est mise en scène l’expression des tech- niques ? Il s’agit d’un affrontement très ritualisé dans le cadre d’exercices démontrés par un enseignant dans un dojo. Le fait que la situation d’étude soit celle d’un conflit dans laquelle la vie est en jeu est une des carac- téristiques des arts martiaux. C’est ce que rappelle Morihei Ueshiba : « De plus, dans l’entraînement, on reproduit chaque fois un moment périlleux comme une grande épreuve et un grand entraînement ascé- tique. Donc en effectuant bien un aller et retour entre le domaine de la mort et de la vie et en développant une vision transcendante de la mort et de la vie, le principe est d’acquérir le chemin qui s’ouvre pour faire face tranquillement et clairement à n’importe quel moment difficile même si vous êtes en danger de mort, comme si vous viviez dans la vie quotidienne. » — Les principes, les valeurs. Pourquoi fait-on cela ? À quoi cela sert-il ? Qu’attend le pratiquant de la dis- cipline ? Quel est l’objectif, le but ? Il s’agit de déve- lopper et d’expérimenter des principes et des valeurs qui sont exprimés par et dans les techniques à l’inté- rieur du cadre général. Ce sont essentiellement les prin- cipes et les valeurs qui vont donner son sens à la disci- pline et la différencier par rapport à une autre : — distance, vigilance, attitude, etc. Ils sont communs aux arts martiaux ; — plus spécifiques à l’Aïkido : la non-violence, l’ab- sence de compétition, l’accent mis sur la relation entre les deux partenaires, la préservation de l’intégrité, etc. C’est le tétraèdre tout entier qui représente la disci- pline. Aucun des sommets n’a de sens sans les trois autres. Il existe une autre dimension à prendre en compte pour analyser l’intégralité de la discipline, c’est la transmis- sion. Cette dimension pourrait sans doute être intégrée dans le sommet « cadre général » mais il me semble qu’elle est trop importante pour être contingentée dans le modèle. La transmission, de toutes façons, doit être en cohérence avec l’ensemble des sommets du tétraèdre. 2- Du jutsu au do Dans le jutsu et le do, le propos est le même ; il s’agit de la résolution de conflits, du traitement de la rivali- té, du règlement d’un affrontement ou de la gestion d’une confrontation. Historiquement, les jutsu sont les techniques utilisées sur le champ de bataille. L’objectif est clair, c'est l’ef- ficacité qui est recherchée : assurer sa propre préser- vation et la destruction de l’adversaire. La conséquence directe est qu’il y a un vainqueur et un vaincu. « Dans cet art martial, seule une personne gagne et l’autre perd » rappelle Yagyu Munenori. S’agissant d’une ques- tion de vie ou de mort pour l’individu et de victoire ou de défaite pour l’armée, elles ont fait l’objet de recherches et d’expérimentations pour une plus gran- de efficacité et une meilleure transmission. Elles se sont structurées et ont été enseignées dans des ryu (écoles). Le combat sur un champ de bataille impliquait d’avoir une connaissance assez large pour faire face au plus de situations possibles. Comme de ces techniques maî- trisées dépendaient la vie ou la mort, les écoles gar- daient jalousement secrètes leurs techniques. Certaines existent encore de nos jours mais dans un contexte de paix, leurs pratiquants ne peuvent pas utiliser ces tech- niques jusqu’à leur terme : la destruction. La situation était identique dans toutes les civilisations. L’escrime occidentale possédait également ses écoles et ses techniques secrètes. Qui ne se souvient de la fameuse « botte de Nevers » de Lagardère ? Pour résumer, disons que dans le cas du jutsu, l’ob- jectif principal est l’efficacité, la mise hors de combat de l’opposant. Les techniques sont une fin en soi. Aujourd’hui, on parle plus des disciplines relevant du do que du jutsu. Une des explications de cette différence a déjà été avancée : le secret est inhérent aux jutsu. Mais ce n’est pas la seule. Sur le site internet de l’Aïkikaï de Tokyo on lit cet objectif : « […] améliorer notre capaci- té à s’harmoniser avec les lois de la nature ». Il n’est pas question ici de destruction ou d’efficacité dans un combat. Il s’agit d’un objectif de développement de l’individu comme faisant partie intégrante du monde. Cette capacité est expérimentée à partir d’une situa- tion de travail qui est un combat ritualisé. C’est en résolvant ce conflit selon des principes aïki que le pra- tiquant va progresser et donc « s’harmoniser avec les lois de la nature ». L’efficacité en terme de destruction 5 suwari waza kokyu nage. Exemple de technique sur double étranglement quelque peu délaissé aujourd'hui. physique n’est plus l’objectif principal. Cela ne signi- fie pas que l’Aïkido ne doit pas être efficace mais cet objectif est uploads/Litterature/ aikido-mag-0812-article.pdf

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