T exte de présentation Films, photos, détails : le cinéma burlesque tient dans

T exte de présentation Films, photos, détails : le cinéma burlesque tient dans ce livre la plus grande place. Ce cinéma a été, en Europe, réservé aux enfants. Monde violent, sans règles de sentiments, véritablement impitoyable, cet enfer goguenard des marginaux sociaux, cet univers sans expression de sentiments était-il un monde pour rire ? Sans doute ces enfants-là ont-ils appris une cause à ces châtiments incessants. Les grands nigauds maladroits, chas- sieux, fil de fer, obèses, sales, vagabonds avaient gardé, pour nous, l’âge des châtiments, non celui des désirs. Quelle école, quelle initiation ? Ces films-là ont sans doute été tout le réalisme du cinéma : les seules caricatures de notre vie. Tout autre cinéma a été une féerie de senti- ments. Monde de pure violence sans équivalent sentimental (l’amour y est toujours une gaffe) : il a suffi de nous en montrer le chaos : l’arche de Noé en train de couler. La réalité mécanique des choses humaines ; les burlesques étaient tout simplement le déchet de cette machine. La seule vision réelle de l’histoire qu’ait produite le cinéma. T out le reste, sans doute, s’apparente à une féerie senti- mentale. IMAGES MOBILES DU MÊME AUTEUR chez le même éditeur Cinématographies, 1998 Figures peintes, 1998 Main courante, 1998 Choses écrites, 1998 Origine du crime, 1998 Paolo Uccello, le Déluge, 1999 Sommeil du Greco, 1999 L'Art paléolithique, 1999 Lumière du Corrège, 1999 chez d'autres éditeurs Scénographie d'un tableau, Le Seuil, coll. « Tel Quel », 1969 L'Invention du corps chrétien, Galilée, 1975 L'Homme ordinaire du cinéma, Cahiers du cinéma / Gallimard, 1980, Petite bibliothèque des Cahiers, 1997 Gilles Aillaud, Hazan, 1987 8, rue Juiverie, photographies de Jacqueline Salmon, Comp'Act, 1989 La Lumière et la Table, Maeght éditeur, 1995 Question de style, L'Harmattan, 1995 The Enigmatic Body, Cambridge University Press, 1995 Du monde et du mouvement des images, Cahiers du cinéma, 1997 Goya, la dernière hypothèse, Maeght éditeur, 1998 Jean Louis Schefer Images mobiles Récits, visages, flocons P.O.L 33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e © P.O.L éditeur, 1999 ISBN : 2-86744-675-9 www.centrenationaldulivre.fr 978-2-8180-1083-9 PRÉFACE C'est sous cette dénomination, la plus générale possible et à son sens la seule pertinente, que Fernand Léger définissait le cinéma à l'époque du Ballet mécanique. Plus qu'au cinéma, c'est à une réalité de la définition optique des images que pensait Léger ou au principe de leur défilement ; c'est plutôt par l'ensemble des sug- gestions qui composent en elles du sens que cette mobilité est ici envisagée. Plusieurs des textes qui suivent commentent des images ou des scénarios burlesques. Ceci n'est pas véritablement mon goût de cinéma, tout juste un compte rendu tardif des premiers films qui ont marqué nos mémoires d'enfants et parfois, plus que les films, les conditions de leur projection. L'éternelle guerre incompréhensible, que nous mesurions tout juste à cette destinée de jeunes fantômes où nous avons passé, à ce soudain agrandissement du monde par lequel les bêtises d'enfants (chutes d'objets, bris de verre, trébuchements, chutes ou coups) détruisaient des villes, réduisaient des populations en esclavage ; il nous en est resté le ridicule d'une culpabilité de Lilliputiens que tous les burlesques nous ont plus tard expliqué par un mime de jeux d'enfants refait dans des corps d'adultes. Qu'étaient au juste les burlesques ? La raison même pour laquelle je ne m'y amusais pas : la représentation des vaincus par les vainqueurs. Mais aussi l'entrée dans un autre monde dans lequel le théâtre avait perdu son pouvoir d'éducation ou d'intimidation. La pauvreté (de physionomie, de costume, de gestuelle, de parole) des acteurs burlesques s'est presque immédiatement convertie à nos yeux en un avertissement : c'est de tels enfants attardés dans leurs maladresses que nous risquions de demeurer nous aussi puisque les rôles du grand théâtre du monde avaient désormais disparu ; ou que les décors du théâtre ayant été détruits, notre avenir réel (ce cinéma était le seul cinéma réaliste) était représenté par ces enfants idiots, grandis dans leurs culottes de collégiens, pataugeant à l'âge adulte dans des barboteuses ou des habits de premiers communiants. Une définition générique du « cinéma » (globale, unitaire) est tout juste celle de son fantasme ; celui d'un art à travers lequel se serait constituée ou consacrée la modernité. La pratique des films (non seulement la fréquentation des salles ou la lecture plus libre de films enregistrés sur cassette) constitue des modes très différents de réalité des films ou du cinéma lui- même. Voilà même le seul art constitué finalement par son desti- nataire et ainsi caractérisé par une variété d'usages. Étant donné leur matière, leur poétique, les conditions de durée d'une projection (un film « actuel », si l'on peut dire, a toujours une existence éphémère qui est strictement celle de son spectacle), les films sont l'objet, le support réel et fantasmatique d'une des- truction de leur contenu, de leurs images, d'une série de montages aléatoires par lesquels la mémoire de chacun intègre des corps, des durées, des images, de la morale en bref, étrangers non à son savoir mais à sa biographie. La motion de cette intégration et de ce mon- tage incessant (c'est la mémoire augustinienne) n'est pas la culture mais (plaisir, ennui, effroi) l'affect par lequel l'image prise dans un récit constitue un relief dans ce récit, c'est-à-dire quelque chose qui en excède la continuité ou la logique : ce sont les motifs de passion d'image (physionomie, décors, effets de montage) que la mémoire intègre parce que la logique du récit ou la grammaticalité de l'his- toire les porte comme des corps anomiques dans son ordre. C'est, par exemple, la grande intelligence d'Orson Welles d'avoir montré que tout récit exemplaire - comme une tragédie - ne fait parler et agir que des monstres, c'est-à-dire des exceptions à l'ordre du récit moyen ; qu'un spectacle ne fait jouer que des exceptions humaines. Mais qu'est-ce qu'un récit moyen ? C'est une fable ou un conte moral guère différent de ce qu'étaient les Mystères médiévaux. Les acteurs et les figurants (quelques centaines) jouaient avec un réa- lisme tout allégorique des scènes de la vie communautaire, des conflits de quartier, d'intérêt ou de voisinage. Cette humanité de vue courte était, en fin d'acte, reclassée, répartie selon des degrés de mérite et, par anticipation de la fin du monde, jugée par une manifestation divine qui venait « dire le droit » ou reformuler les exigences et les conséquences d'une instauration de la Loi nouvelle. A peu près ce que proposent les feuilletons sanitaires et policiers, les sagas familiales-industrielles, les épopées bibliques ou les wes- terns anémiques. S'il y a un fond moral immortel du cinéma (Les Deux orphelines ont trouvé, à travers le nouveau réalisme, un regain de force morale) ce n'est pas qu'il obéirait à des interdits de représentation des mœurs mais à une finalité éthique du discours social (peu, à part Tati, y ont échappé) bêtement clérical, idiotement laïc, stupidement poli- tique : il a toujours fallu faire excuse de l'esthétique. (Cette paren- thèse est hors de propos : mais ne peut-on enfin dire que l'on préfère pour la lumière, la composition des plans, les caractères, l'étrangeté du récit, l'obscurité des passions, la jouissance érotique du pouvoir L'Impératrice rouge de Sternberg à l'intouchable Ivan le Terrible d'Eisenstein ? une seule passion s'y expose, sans autre matière que des victimes : celle du pouvoir.) Car enfin, dans le spectacle de « l'homme visible » que rêvait Balâzs, lequel de ces deux films ment effrontément sur l'histoire, lequel fait odieusement l'éloge de la tyrannie, lequel flatte de façon primaire l'impérialisme de désir chez un enfant qui n'a de jouissance qu'à briser son jouet ? Dans un essai précédent {L'Homme ordinaire du cinéma) j'ai proposé ceci, que le cinéma avait un destinataire et qu'il était réel- lement fait par ce destinataire : la conséquence poétique ou anthro- pologique est que ce destinataire n'est pas un homme spécial mais une partie de l'œuvre (ce que n'ont pu, à ce degré, revendiquer ni les arts musicaux ni les arts plastiques). La proposition d'aujourd'hui, par une série d'exemples de for- mes et de contenus différents, apporte un point de vue de complé- ment ou de correction : le destinataire est non seulement le lieu calculé des effets d'image (la « victime » comme le nommait Strind- berg), il est l'auteur d'un second montage dont il est le dispositif. Ce second montage est sans fin ; il ne cesse d'intégrer et de déplacer des éléments très divers qu'il dote de contenus variables. Ce film en incessant remontage (ses parties entrent dans des niveaux de connexion presque infinis : c'est toute l'activité de la mémoire qui intègre du savoir au vécu) a pour premier effet de dé-moraliser toute la légende, et toute l'origine narrative autre qu'affective qui faisaient un film réel. Les images subsistantes sont exactement des reliefs de mémoire qui désignent des points de contact avec la « vie » de leur destinataire : elles conservent le lieu, le motif et la date de naissance d'affects aux causes inconnues - quelque chose comme un uploads/Litterature/ images-mobiles-jean-louis-schefer.pdf

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