L’ANGLE DE CONTINGENCE CHEZ PLATON ET PROTAGORAS Thomas Auffret Presses Univers
L’ANGLE DE CONTINGENCE CHEZ PLATON ET PROTAGORAS Thomas Auffret Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques » 2018/1 N° 181 | pages 139 à 162 ISSN 0014-2166 ISBN 9782130802228 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.inforevue-les-etudes-philosophiques-2018-1-page-139.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La conjecture de Taylor est demeurée inaperçue des érudits, qui n’ont guère entrepris d’examiner les difficultés touchant la préhistoire de la constitution de l’axiome d’Eudoxe-Archimède à la lumière des dialogues de Platon2. On se propose de revenir sur cette question, qui regarde l’histoire de la philosophie comme des mathématiques, en reconsti- tuant le contexte qui rend raison de cette décision de Platon. L’étude des angles mixtilignes, en particulier de contingence, fournit en effet un cas d’école de ces situations « où le décalage et l’inadéquation entre le phé- nomène étudié et les moyens mathématiques disponibles exigent, et non seulement suscitent, une élucidation philosophique de la part du mathéma- ticien lui-même et aussi de la part de certains philosophes3 ». L’absence de procédés opératoires suffisamment puissants pour mesurer les courbures ou maîtriser l’infiniment petit, l’incapacité à théoriser rigoureusement la nature du contact entre les courbes ainsi qu’une axiomatisation encore imparfaite des fondements mathématiques constituèrent autant d’obstacles auxquels se heurtèrent mathématiciens et philosophes lorsqu’ils furent confrontés à ces grandeurs non-archimédiennes. Cette difficulté est parfaitement identifiée à l’âge classique, en particulier arabe4 ; elle est également au cœur, on le verra, * Je remercie Marwan Rashed pour son aide précieuse. Toutes les erreurs sont miennes. 1. A. E. Taylor, « An unexplained passage of the Republic of Plato (VI, 510 C) », Annali della reale Scuola normale superiore di Pisa. Lettere, Storia e filosofia, t. IV, 1935, pp. 149-155 ; voir la traduction de cet article ici-même, pp. 91-99. Une version abrégée avait paru l’année pré- cédente : A. E. Taylor, « Note on Plato’s Republic, VI 510 c 2-5 », Mind, 43, 1934, pp. 81-84. 2. J. Vuillemin, « Aristote, débiteur de Zénon », in O. K. Wiegand et al. (dir.), Phenomenology on Kant, German Idealism, Hermeneutics and Logic, Dordrecht, 2000, pp. 209- 222 a, seul, identifié la présence des angles corniculaires au cœur du Théétète : voir infra. 3. R. Rashed, Angles et grandeur d’Euclide à Kamāl al-Dīn al-Fārisī, Boston/ Berlin, 2015, p. 2. 4. Comme l’a montré Roshdi Rashed dans sa magistrale étude citée n. 3. L’ANGLE DE CONTINGENCE CHEZ PLATON ET PROTAGORAS* Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 213.49.223.150 - 24/10/2019 18:16 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 213.49.223.150 - 24/10/2019 18:16 - © Presses Universitaires de France 140 Thomas Auffret des débats épistémologiques de cet autre âge classique de la pensée, celui ouvert par Zénon d’Elée et clos par Platon. On rappellera d’abord les conditions axiomatiques permettant l’appa- rition du problème des grandeurs non-archimédiennes. Délaissant l’ordre logique pour celui de l’histoire, on s’attachera ensuite à montrer que philo- sophes et mathématiciens disposaient dès le cinquième siècle d’un substitut, faible mais consistant, de l’axiome d’Eudoxe-Archimède attribué à Zénon. L’étude du Théétète suggère que Protagoras fit précisément usage des apories métriques caractéristiques de l’angle de contingence dans le contexte d’une critique des éléates : on reconstruit ce débat comme la réponse platonicienne qu’il suscita. * Il convient de distinguer, au sein du continu, différents ordres dont la confusion engendra les difficultés à l’origine de la crise des fondements de la mathématique ancienne. Une présentation axiomatique de la théorie moderne du continu, due à Jean Itard, permettra d’introduire commodé- ment aux problèmes liés à la mesure des grandeurs : restituons son analyse5. Un ensemble d’éléments quelconques est dit ordonnable si nous pou- vons y définir les relations « égale » (=) et « plus petit que » (<). Étant donnés deux éléments a et b de l’ensemble, ces deux relations fondamentales sont seulement soumises aux quatre axiomes suivants : 1. a = a ; si a = b, alors b = a ; a = b et b = c impliquent a = c. 2. Si a < b et si b ≤ c, alors a < c ; si a < b et si c ≤ a, alors c < b. Ajoutons à ces axiomes de l’égalité et de l’inégalité celui de non- contradiction : 3. Deux éléments de l’ensemble satisfont à une, et une seule, des trois relations a = b, a < b ou a > b. Il arrive souvent que, dans un ensemble, il existe un élément ε tel que, quel que soit a, ε < a. Cet élément est le premier élément de l’ensemble. On définit symétriquement un dernier élément ζ tel que, quel que soit a, a < ζ. ε et ζ définissent les bornes respectivement inférieures et supérieures d’un ensemble fermé. 4. Un élément a de l’ensemble étant donné, il existe toujours deux autres éléments b et c tels que b < a < c. Cependant, b n’existe pas si a = ε ; de même, c n’existe pas si a = ζ. Un ensemble soumis aux axiomes 1-4 est dit simplement ordonné. 5. Un tel ensemble est dit dense si, deux éléments a et b étant donnés tels que a < b, il existe toujours un élément c tel que a < c < b. 5. J. Itard, « Quelques remarques historiques sur l’axiomatique du concept de gran- deur », La Revue scientifique, 91, 1953, pp. 3-14, repris sous le titre « L’Axiomatique du concept de grandeur », in J. Itard, Essais d’histoire des mathématiques. Réunis et introduits par R. Rashed, Paris, 1984, pp. 61-72. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 213.49.223.150 - 24/10/2019 18:16 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 213.49.223.150 - 24/10/2019 18:16 - © Presses Universitaires de France 141 L’angle de contingence chez Platon et Protagoras Quels ensembles de grandeurs satisfont à tout ou partie de ces axiomes ? Définissons les grandeurs en ajoutant aux ensembles ordonnés au moins selon les axiomes (1-4) une loi de composition interne : l’addition. Nous postulons donc : (I) Deux grandeurs a et b en déterminent une troisième c, leur somme. On a donc : a + b = c ; a + b = b + a ; a + (b + d) = (a + b) + d. (II) a + b > a et a + b > b, sauf lorsque b = 0 ; dans ce cas, et dans ce cas seulement, a + b = a. (III) Si d > a, il existe une grandeur b telle que a + b = d ; b = d – a. L’ensemble ℕ des nombres naturels satisfait aux axiomes d’ordre (1-4), sans satisfaire à celui de densité (5) : entre deux entiers successifs a et b tels que b = a + 1, il n’existe pas de c tel que a < c < b. C’est un ensemble infini simplement ordonné. L’ensemble ℚ+ des nombres rationnels positifs satisfait en revanche aux axiomes 1-5. C’est un ensemble infini ordonné partout dense, première forme historiquement attestée de continu6. Il ne l’épuise pas cependant. Distinguons, avec Poincaré7, différents ordres du continu mathé- matique : on dira que l’ensemble ℚ+ fournit le modèle du continu du premier ordre, défini comme « tout ensemble de termes formés d’après la même loi que l’échelle des nombres commensurables8 ». 6. Un ensemble ordonné forme un continu au sens de Dedekind si, une coupure9 arbitraire y étant pratiquée, il existe un élément f tel que tout a < f soit de la classe I, et tout b > f soit de la classe S. On montre par un simple exemple que, s’il satisfait aux axiomes d’ordre et de densité, l’ensemble ℚ+ ne satisfait cependant pas à uploads/Litterature/ aufret-l-x27-angle-de-contingence-chez-platon 1 .pdf
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- Publié le Fev 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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