ANALYSES ET COMPTES RENDUS Presses Universitaires de France | « Revue philosoph

ANALYSES ET COMPTES RENDUS Presses Universitaires de France | « Revue philosophique de la France et de l'étranger » 2017/1 Tome 142 | pages 93 à 148 ISSN 0035-3833 ISBN 9782130788539 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-philosophique-2017-1-page-93.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « Analyses et Comptes rendus », Revue philosophique de la France et de l'étranger 2017/1 (Tome 142), p. 93-148. DOI 10.3917/rphi.171.0093 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 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Cette communication représente pour l’auteur le point d’orgue d’une « vie en partie consacrée à l’étude, au dialogue et à la rencontre entre bouddhisme et christianisme » (p. 13). Ce sont les implications de la pen- sée d’Abe à ce propos qu’il s’agit d’examiner et notamment à propos de la spiritualité du « pur amour ». Le Père Galland souligne avec justesse les quelques points suivants. Quoiqu’ayant été élevé dans le contexte du fidéisme amidiste, Abe Masao trouve son ancrage dans l’athéisme et le volontarisme du zen soto, que lui a enseigné Hisamatsu Shin-ichi, et que l’École de Kyōto a partiellement thématisé à l’aide de la conceptualité philosophique occidentale. Après avoir noté qu’Abe « luttait avec l’appel bouddhiste à la compas- sion » (p. 14), l’auteur souligne à maintes reprises, et comme un reproche, son apparent désintérêt pour tout ce qui touche au sentiment et aux émo- tions, mais aussi à la morale. La source créatrice de sa recherche résiderait dans une position métaphysique, dans le fait de « se tenir à l’endroit où il n’y a nulle part où se tenir » (p. 17), à savoir la vacuité, telle qu’elle a pu être enseignée par Nâgârjuna comme sûnyatâ, elle-même désignation de la réalité dynamique de la coproduction condtionnée, pratîtya-samutpâda. Voir les choses ainsi, telles qu’elles sont, dans leur spontanéité libre, tel est précisément l’objet de l’Éveil. Ayant ainsi présenté le fond sur lequel se découpe la recherche d’Abe, le Père Galland expose la thèse du philosophe japonais concernant le croise- ment entre kénose et vacuité. Commentant Philippiens 2:5-11, surtout 2:6-8, Abe Masao souligne que le mouvement de kénose du Christ, extrapolée au Père, est la révélation de Dieu lui-même : amour inconditionnel jusqu’au Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Lyon 3 - - 193.52.199.24 - 09/02/2017 21h26. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Lyon 3 - - 193.52.199.24 - 09/02/2017 21h26. © Presses Universitaires de France 94 Analyses et Comptes rendus Revue philosophique, n° 1/2017, p. 93 à p. 148 sacrifice de soi. Ce dépouillement complet et intemporel de sa nature divine, ce processus (et non essence) du « se vider », cet évidement de Dieu (qui fait aussi sa gloire), rapprocherait ce dernier de l’inobjectivable vacuité, sûnyatâ ; mieux, de l’auto-évidement lui-même de la vacuité. D’autant que vivre en Christ, dans la kénose, c’est mourir à l’ego, comme dans la tradition bouddhique la plus constante. Car dans la vacuité toute chose – Dieu, les étants, l’homme – est vide, sans substance (svabhâva), sans permanence, elle ne tient que par son interdépendance muable avec les autres. La kénose confirme la mort de la substance égotique. Le rapprochement de la vacuité et de la kénose est-il légitime ? Non, répond le Père Galland, car la kénose a toujours une signification essentielle- ment éthique, tandis qu’Abe ne l’interprète que de manière ontologique. Et le terrain véritable de la rencontre que prône Abe résiderait au niveau de la théologie naturelle, « où l’on cherche à énoncer une vérité concernant la réa- lité ultime […] dans la cadre de facultés naturelles humaines » (p. 25), et non dans la théologie révélée, ni dans le commentaire biblique. Or la rencontre ne peut en vérité se produire, car l’opposition théologico-métaphysique, ici entre un Dieu créateur et une vacuité universelle et sans cause, est irréduc- tible. En outre, le commentaire biblique d’Abe est incorrect, car la kénose ne s’applique qu’au Fils, pas au Père. Cependant, de manière assez originale, le Père Galland entrevoit une rencontre possible ailleurs, dans la perspective de la vie spirituelle, celle du « sujet qui s’étudie et qui découvre en lui-même les critères du vrai en matière spirituelle ». Le couple ego/non-ego entre ici en résonance avec l’opposition égoïsme-amour dans les débats à popos du « pur amour » (autour du XVIIe siècle, avec Alexandre Puny, saint François de Sales, Fénelon…). Le non-soi d’Abe sera perçu moins en termes mystiques, dans la résolution de la scission sujet-objet, qu’en termes existentiels de vérité ontologique du moi empirique. Et tel serait le lieu d’un possible dialogue avec Abe. Tout cela, l’auteur le présente en un style limpide, animé par un souci de réelle clarification, cherchant, en somme, à contribuer lui-même au dialogue entre le bouddhisme et le christianisme. Le texte, instructif, bien construit et bien écrit, se lit de manière aisée. La démonstration soulève toutefois certaines questions et remarques. 1. Si Alex Galland reprend plutôt correctement les grandes lignes de la doctrine mahâyâna et mâdhyamika, le lecteur pourra être un peu sur- pris qu’il ne présente pas davantage la philosophie de l’École de Kyōto, dont est issue la pensée d’Abe, plus que de l’œuvre, moins académique, de Suzuki par exemple, sur lequel l’auteur s’attarde pourtant longuement. Il présente en somme la pensée d’Abe Masao sur kénose et vacuité comme si celui-ci en était pleinement l’auteur. Or notre conviction est que cette inter- prétation de la kénose remonte à Nishida et a été développée par Nishitani, également sur fond d’une vision nihiliste-nietzschéenne de notre époque. C’est même une des constantes de la pensée de Kyōto. Le rapprochement kénose-vacuité constitue ainsi la pièce maîtresse d’une conception de Dieu comme « personnelle impersonnalité » que Nishitani développe notamment dans le chapitre 2 de Qu’est-ce que la religion? Le se-vider de Dieu (Fils et Père) y est clairement décrit comme une modalité du non-ego, lequel rend possible la compassion universelle, l’amour indifférencié pour les justes et les injustes. Si le motif kénose/vacuité nous paraît donc avoir été repris par Abe à Nishitani, d’autres motifs semblent avoir été perdus au cours du transfert : par exemple la préoccupation morale dont l’auteur déplore l’absence chez Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Lyon 3 - - 193.52.199.24 - 09/02/2017 21h26. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Lyon 3 - - 193.52.199.24 - 09/02/2017 21h26. © Presses Universitaires de France 95 Philosophie japonaise Revue philosophique, n° 1/2017, p. 93 à p. 148 Abe, et qui, déjà au cœur des préoccupations de Nishida dans les Recherches sur le bien, est davantage présente chez Nishitani, notamment à l’occasion d’une méditation sur le mal et le péché (toujours dans Qu’est-ce que la religion?). Par ailleurs, cette dernière n’est pas décrite par Nishitani comme une « réalité ultime », mais comme la dynamique d’un évidement de l’ego, le rendant capable d’aimer également amis et ennemis. Il y a chez Abe comme une absolutisation de la vacuité qui n’est plus en accord ni avec la pensée de l’École de Kyōto, ni avec celle du mâdhyamika en général. D’autres notions, présentes chez Abe, ont connu des dévelopements chez d’autres philosophes de Kyōto. Nous pensons en particulier à l’usage de la notion de jinen (自然), « libre spontanéité », qui a été abondamment déve- loppée par Kimura Bin, lequel a sans doute également inspiré Abe Masao. En somme, la pensée d’Abe apparaît comme une reprise de la philosophie de l’École de Kyōto, celle de Nishitani en particulier, mais plus soucieuse encore du dialogue avec les Chrétiens. 2. L’auteur décrit Abe comme un « missionnaire bouddhiste » (p. 19) alors qu’il a maintes fois plaidé pour l’enrichissement mutuel du bouddhisme et du christianisme, ou même pour uploads/Litterature/ revue-de-philosophie-du-neant-et-de-l-am.pdf

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