EXIL ET DÉPLACEMENTS CULTURELS Rajaa Stitou ERES | « Cliniques méditerranéennes
EXIL ET DÉPLACEMENTS CULTURELS Rajaa Stitou ERES | « Cliniques méditerranéennes » 2009/2 n° 80 | pages 267 à 280 ISSN 0762-7491 ISBN 9782749211497 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2009-2-page-267.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Rajaa Stitou, « Exil et déplacements culturels », Cliniques méditerranéennes 2009/2 (n° 80), p. 267-280. DOI 10.3917/cm.080.0267 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Saint-Esprit de Kaslik - - 185.219.184.8 - 03/10/2018 09h06. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Saint-Esprit de Kaslik - - 185.219.184.8 - 03/10/2018 09h06. © ERES Cliniques méditerranéennes, 80-2009 Rajaa Stitou Exil et déplacements culturels Penser l’exil à travers les déplacements suppose de prendre en compte non seulement le changement, mais aussi « les inchangés », « les revenants », maintenus en tant que trace, à travers ce qui migre, se répète, se réactualise sans cesse en de nouveaux contextes, tout en interpellant chaque sujet, au cœur de ce qui le fonde, le divise et le lie à l’Autre. Les éléments réflexifs que je propose de déplier prennent appui sur ma pratique clinique depuis plusieurs années, auprès de sujets vivant loin de l’univers qui abrite leur langue et leurs fictions. Ce travail a donné lieu à une thèse intitulée d’abord « Universalité et singularité de l’exil 1 », puis « L’exil comme épreuve de l’étranger – pour une anthropologie clinique du déplacement 2 ». Il n’est pas inutile de rappeler ce cheminement afin de mieux approcher le thème qui nous occupe. Tout d’abord je distingue exil et expatriation ou émigration. L’exil n’est pas réductible à un simple déplace- ment géographique. Il ne concerne pas seulement l’émigré mais chacun dans son rapport à l’étranger, non pas celui de la fiche d’état civil, mais celui qui renvoie à l’énigme dont est porteur tout sujet et qui le dépasse. C’est ce dont témoignent à leur façon et avec force F. Beddock 3 et plus particulièrement J. Hassoun 4. Cet exil à la fois universel et singulier, car chacun y engage sa subjectivité, est à entendre au sens où la donnée de départ pour tout être humain, parlant, mortel, sexué, quelle que soit sa différence linguistique ou culturelle, est la séparation d’avec son origine. Tout être parlant est un exilé de la plénitude, cette source inaccessible aussi loin que nous puissions remonter dans la généalogie ou dans les générations. L’indétermination Rajaa Stitou, psychanalyste, maître de conférences en psychopathologie clinique à l’université de Montpellier III ; 30 rue Foch, F- 34000 Montpellier. 1. R. Stitou, 1997. 2. Cette thèse (1999) a d’abord été présentée en 1997 d’une manière synthétique sous forme d’article dans le n° 3 de la revue Psychologie clinique. 3. F. Beddock, 1988. 4. Les travaux de J. Hassoun constituent une référence majeure concernant le thème de l’exil. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Saint-Esprit de Kaslik - - 185.219.184.8 - 03/10/2018 09h06. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Saint-Esprit de Kaslik - - 185.219.184.8 - 03/10/2018 09h06. © ERES CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 80-2009 268 de l’origine, de l’appartenance et du destin creuse un écart qui nécessite la construction de fictions, de montages symboliques permettant aux hommes de faire lien entre eux et de pallier leur déréliction. C’est de cet écart que surgit tout appel faisant d’un être exilé un non demeuré. Dans ce sens, l’exil est non seulement constitutif du sujet, mais il est aussi constitutif de la culture et du lien social 5. Cette approche nous permet de sortir de la difficile articulation du sujet et du collectif. Le lien entre sujet et culture surgit d’une séparation, elle-même issue de l’incomplétude originelle et du refoulement, dont on ne peut rien dire quant à son commencement et à sa fin si ce n’est par ses effets. C’est ainsi que le symbole se crée. C’est à partir de cet innommable que l’être parlant peut nommer les choses, se reconnaître comme sujet, s’inscrire dans une culture et un lien d’altérité. C’est par le langage que transite ce lien qui relève du nécessaire comme en témoigne la naissance prématurée de l’hu- main qui l’oblige à passer par l’autre pour sa survie. Dès la naissance, le cri de l’enfant est transformé par l’entourage en appel. Il est pris dans les rets du langage, dans ses malentendus et ses institu- tions avant même qu’il s’empare à son tour des codifications dans lesquelles il va impliquer sa voix. La dialectique pulsionnelle qui gouverne son rapport au monde n’est pas concevable en dehors de son articulation au lien social et à la culture dans laquelle il s’inscrit 6. L’exil est donc la métaphore existentielle de ce manque, de cette séparation originelle, fondatrice de la subjectivité et de l’altérité d’où son universalité. Mais chacun est marqué par lui de façon inédite en fonction de son histoire prise dans l’Histoire, dans la civilisation et ses mutations. En ce sens l’exil nous éclaire aussi sur les déplacements inhérents à la modernité 7. L’hypothèse centrale qui guide mon cheminement est que cette séparation inhérente à l’exil et qui constitue une véritable « épreuve de l’étranger » selon l’expression de A. Berman 8 se réactualise dans tout franchissement d’une frontière, tout déplacement, qu’il s’agisse d’un renoncement, d’un deuil, d’un changement de pays, d’une rupture historique. Ce déplacement nécessite un travail de métaphorisation, de reconstruction subjective, permettant la retrouvaille de cet exil structurant constitutif à la fois du sujet et du lien social. En effet, tout déplacement, quel qu’il soit, constitue une expérience d’étrangeté qui vient raviver le manque, les failles subjectives. Cette épreuve de l’inconnu, à travers laquelle se pose la question d’un « qui suis-je ? » renvoie le sujet à sa propre division. Elle exige 5. R. Stitou, 1997, p. 14. 6. Op. cit., p. 14. 7. Voir à ce propos l’ouvrage bienvenu de R. Gori et M.-J. Del Volgo, 2008. 8. A. Berman, 1984. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Saint-Esprit de Kaslik - - 185.219.184.8 - 03/10/2018 09h06. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Saint-Esprit de Kaslik - - 185.219.184.8 - 03/10/2018 09h06. © ERES EXIL ET DÉPLACEMENTS CULTURELS 269 d’être suppléée par des fictions, des repères culturels. Or qu’en est-il lorsque le sujet est amené à s’expatrier, à changer d’univers symbolique ? « Ce déplacement qui implique une rupture dans la réalité géographique concerne donc ces personnes que l’on nomme les immigrés, qui ont à un moment donné de leur vie changé de pays, de langue et de culture. Si certaines d’entre elles ont choisi d’habiter loin de la terre “natale” dans une contrée idéalisée, d’autres ont été contraintes à l’immigration pour des raisons de survie et le vivent parfois d’une façon beaucoup moins idéale. Éloignés du lieu de leurs ancrages narcissiques et de leurs repères symboliques, coupés des parfums et saveurs du pays natal, ils se retrouvent dans un contexte étranger qui n’est plus soutenu par du familier. Ce déplacement vient réactiver les blessures infantiles et rendre plus lancinante la séparation d’avec l’objet du désir ; d’où parfois, pour certains, le vécu dépressif qui les confronte à une perte du sens due au vacillement des repères 9. » Plusieurs positions subjectives peuvent être adoptés face à un monde nouveau dont les codes sont inconnus. Ainsi que je l’ai montré ailleurs à travers ce que j’appelle « les résonances subjectives de l’expatriation 10 » : – certains sujets vont transformer la souffrance de l’exil en créativité comme en témoignent de nombreux écrivains, peintres ou poètes qui ont découvert leur vocation en terre étrangère ; – parmi ceux qui vivent une expérience moins heureuse de leur émigra- tion, il y a ceux qui s’identifient d’une manière défensive à leurs traditions, et qui font de leur origine un objet de culte. On retrouve ce cas de figure chez ceux que l’on appelle les intégristes et qui n’intègrent qu’eux-mêmes. Ce repli est parfois nourri par le regard de l’autochtone qui devient persécuteur au point de faire perdre visage humain. Dominés par la toute-puissance et l’auto-comblement, ils ne peuvent s’ouvrir à nul autre. De leurs références culturelles, ils n’exhibent que des signes. Les rites traditionnels sont souvent présentifiés d’une manière caricaturale, clivés de toute signifiance. Je pense à certains enfants africains ou maghrébins qui vivent la circoncision, par exemple, non pas comme quelque chose de constructif et de structurant mais comme une violence incommensurable car la cérémonie rituelle destinée à donner du sens fait défaut en terre uploads/Litterature/ the53-ex2-exil-et-deplacements-culturels-rajaa-stitou.pdf
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- Publié le Fev 07, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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