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RHE_2013_3-4_001-BarnabeBurnet 595 / 625 CULTURA • WETTEREN 21/10/2013 10:13:34 BARNABÉ ET LES PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE LA LÉGITIMITÉ APOSTOLIQUE Étrange destin que celui de l’apôtre Barnabé ! Si l’on en croit les Actes des Apôtres et les épîtres pauliniennes, il était l’un des principaux personnages de la communauté primitive de Jérusa- lem, puis l’un des dirigeants de l’Église d’Antioche. Il est celui qui s’adjoint Paul de Tarse et il devient même son mentor. Lors de l’assemblée de Jérusalem, il joue encore un rôle éminent. Et puis, plus rien… Supplanté par son élève tarsiote, occulté par l’imposante figure pétrinienne à Antioche, il s’efface peu à peu des mémoires, au point de ne devenir qu’un personnage secondaire pendant plusieurs siècles. Mais cet oubli relatif ne dure pas : arrai- sonné par Chypre, il sert à légitimer les revendications de l’Église locale, ce qui fait naître une littérature hagiographique. Comment expliquer cet étrange destin à la fois anthume et posthume ? Que ce soit lors de sa disparition ou de sa réapparition, Barnabé four- nit un cas intéressant pour l’étude des processus d’autorité et de légitimité dans les premiers siècles chrétiens. Barnabé ou comment s’en débarrasser : la disparition progressive d’un personnage important Malgré le biais adopté par les Actes des Apôtres favorisant Pierre et Paul au détriment d’autres personnages de l’Église primitive (comme Jacques frère du Seigneur, par exemple), cer- tains indices montrent que Barnabé était une figure importante de l’Église primitive. En utilisant le critère d’embarras cher à la méthode historico-critique, on a même l’impression que son impor- tance était tellement considérable que l’auteur de Luc-Actes n’a pas osé le passer sous silence1. 1 On trouve un bon résumé de l’histoire de la figure de Barnabé dans les textes canoniques dans B. Kollmann, Joseph Barnabas : His Life and Lega- cy, Collegeville (Minn.), 2004 ; M. Öhler, Barnabas die historische Person und ihre Rezeption in der Apostelgeschichte (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament, 156), Tübingen, 2003. Voir également : O. Braunsberger, DOI : 10.1484/J.RHE.1.xxxxxx Ö RHE_2013_3-4_001-BarnabeBurnet 596 / 625 CULTURA • WETTEREN 21/10/2013 10:13:34 r. burnet 596 Un notable dans la communauté Joseph alias Barnabé apparaît dans les Actes à l’occasion de la vente d’un champ dont il donna le produit à la communauté primitive (Ac 4,36-37). Les éléments dont on dispose à son propos sont assez minces : « Joseph, appelé Barnabé par les apôtres, ce qui peut s’interpréter fils d’encouragement, lévite, Chypriote d’origine, possédait un champ. Il le vendit, en porta l’argent et le déposa aux pieds des apôtres2 ». 1. Son nom. – Si Joseph est un nom plutôt fréquent (on connaît au moins 523 personnages différents portant ce nom3) car il est celui du fils du patriarche Jacob, Barnabé est sans équivalent. En effet, l’habitude de porter un double nom parmi les Judéens de la dias- pora est bien connue, mais il s’agit toujours d’un nom grec associé à un nom sémitique. Or, ici, Barnabas est le nom sémitique. En outre, le texte dit qu’il s’agit d’un surnom, inventé par les apôtres. Joseph s’inscrit donc dans la lignée de ceux que la rencontre avec le divin fait changer de nom : Abraham, Jacob, Pierre4… Le nom Βαρναβᾶς est lui aussi un petit mystère5. Bar peut bien si- gnifier « fils », mais nabas ne signifie pas « encouragement ». Le terme le plus approchant, nebuha, signifie « prophétie ». Barnabé serait-il Der Apostel Barnabas : Sein Leben und der ihm beigelegte Brief, wissenschaftlich gewürdigt, Mainz, 1876. 2 Ἰωσὴφ δὲ ὁ ἐπικληθεὶς Βαρναβᾶς ἀπὸ τῶν ἀποστόλων, ὅ ἐστιν μεθερμη- νευόμενον υἱὸς παρακλήσεως, Λευίτης, Κύπριος τῷ γένει, ὑπάρχοντος αὐτῷ ἀγροῦ πωλήσας ἤνεγκεν τὸ χρῆμα καὶ ἔθηκεν πρὸς τοὺς πόδας τῶν ἀποστό- λων. 3 On en compte 231 en Palestine avant 200, ce qui en fait le 2e nom don- né : T. Ilan, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity I : Palestine (Texts and Studies in Ancient Judaism, 91), Tübingen, 2002, p. 56. 130 en Palestine après 200 : Ilan, Lexicon… [voir plus haut]. Part II, Palestine, p. 118. 117 dans la Diaspora occidentale : Ilan, Lexicon… [voir plus haut]. III : The West- ern diaspora 330 BCE-650 CE (Texts and Studies in Ancient Judaism, 126), Tübingen, 2008, p. 115. 45 dans la diaspora orientale : Ilan, Lexicon… [voir plus haut]. IV : The Eastern Diaspora 330 BCE-650 CE (Texte und Studien zum antiken Judentum, 141), Tübingen, 2011, p. 90. 4 La pratique se retrouve également dans les Églises pauliniennes : F. Ri- chard, Renaming in Paul’s Churches : The Case of Crispus-Sosthenes Revisited, dans Tyndale Bulletin, 56 (2005), p. 111-130. 5 Pour une revue de toutes les hypothèses : Öhler, Barnabas… [voir n. 1], p. 139-167. Öhler finit par se ranger à une étrange étymologie : Barnabé serait fils du Nébo (le mont Nébo), ce que viendrait confirmer son origine lévitique. Ö RHE_2013_3-4_001-BarnabeBurnet 597 / 625 CULTURA • WETTEREN 21/10/2013 10:13:34 barnabé et les processus de construction 597 fils de la prophétie comme le pensait déjà Jérôme6 ? Les hypothèses sont nombreuses pour expliquer ce qui demeure une énigme7. (1) le vrai nom de Joseph est Βαρνεβοῦς, « fils de Nabu », un nom théo- phore palmyrénien apparaissant dans une inscription de Nicopolis8 rappelée par Deißmann9 mais aussi dans une inscription de Syrie du Nord découverte dans les années 199010. (2) l’étymologie du nom viendrait d’une confusion avec la liste des leaders de la commu- nauté d’Antioche qui mentionne un certain Manaen (Μαναήν, Ac 13,1), dont le nom signifie, lui, l’encourageur11. (3) il y aurait un jeu de mot au sein de la communauté de Jérusalem entre Joseph Bar- nabas et le Joseph Barsabbas d’Ac 1,2312. (4) l’encouragement en question décrit le geste financier que Barnabé vient de faire envers la communauté13. 2. Un lévite possédant la terre. – Si l’origine des lévites est des plus débattues (s’agit-il d’un corps de prêtres à l’origine concurrents de ceux d’Adonaï14, s’agit-il de représentants d’une tendance différente du culte d’Adonaï15, s’agit-il à l’origine d’un mouvement pieux qui 6 Jérôme, Liber interpretationis hebraicorum nominum 23, éd. par P. de La- garde (CCSL, 72), 1959, p. 67 : barnabas filius prophetæ uel filius uenientis aut (ut plerique putant) filius consolationis. 7 Voir, entre autres, S. Brock, Βαρναβᾶς : υἱὸς παρακλήσεως, dans Journal of Theological Studies, 25 (1974), p. 93-98. 8 O. Puchstein et C. Humann, Reisen in Kleinasien und Nordsyrien, aus- geführt im Auftrage der kgl. preussischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1890, p. 398. 9 A. Deissmann, Bibelstudien, Marburg, 1895, p. 175-178. 10 J. Jarry, Nouvelles inscriptions de Syrie du Nord (Suite), dans Zeit- schrift für Papyrologie und Epigraphik, 90 (1992), p. 103-112. 11 E. Haenchen, Die Apostelgeschichte (Kritisch-exegetischer Kommentar über das Neue Testament, 3), Göttingen, 1956, p. 336-338. 12 Kollmann, Joseph Barnabas… [voir n. 1], p. 14. 13 Öhler, Barnabas… [voir n. 1], p. 141-167. 14 R. Nurmela, The Levites. Their Emergence as a Second-Class Priesthood (South Florida Studies in the History of Judaism, 193), Atlanta (Ga.), 1998. M.A. Christian, Priestly Power that Empowers : Michel Foucault, Middle-Tier Levites, and the Sociology of “Popular Religious Groups” in Israel, dans Journal of Hebrew Scriptures, 9 (2009), p. 2-79 ; M.A. Christian, Middle-Tier Levites and the Plenary Reception of Revelation, dans J. M. Hutton et M. Leuchter (éd.), Levites and Priests in Biblical History and Tradition (Ancient Israel and Its Literature), Atlanta, 2011, p. 173-197. 15 G.N. Knoppers, Hierodules, Priests, or Janitors ? : The Levites in Chron- icles and the History of the Israelite Priesthood, dans Journal of Biblical Litera- ture, 118 (1999), p. 49-72. RHE_2013_3-4_001-BarnabeBurnet 598 / 625 CULTURA • WETTEREN 21/10/2013 10:13:34 r. burnet 598 refuse la propriété16 ?), il est certain qu’à l’époque du judaïsme du Second Temple les lévites constituaient une sorte de sacerdoce de second rang, confinés dans des tâches subalternes dans le Temple de Jérusalem. Pour autant, comme nous l’apprend Flavius Josèphe, ils jouissaient d’une sorte de statut social privilégié, qu’ils cherchaient d’ailleurs à améliorer, entrant parfois en réalité avec la classe des cohanim17. Le Livre des Jubilés et le Testament de Lévi nous ré- vèlent ainsi des revendications à exercer le sacerdoce18. Ils consti- tuaient donc une sorte de « classe moyenne » (même si ce terme est parfaitement anachronique) vivant souvent dans la campagne, maî- trisant parfois l’écriture, et élaborant une forte critique du pouvoir en place19, au point de s’associer avec la « Quatrième philosophie », les mouvements sicaires20. Il faut donc imaginer Barnabé jouissant d’un certain statut so- cial, ce que confirme sa position de propriétaire foncier. On sait que les lois du Pentateuque interdisant aux prêtres et aux lévites de posséder une terre (Nb 18,20 ; Dt 10,9 ; 18,1-2) semblent être deve- nues lettre morte à l’époque post-exilique puisque des membres de familles sacerdotales comme Jérémie (Jr 32,6-15) et Flavius Josèphe (Autobiographie 422) en possédaient21. 3. L’origine chypriote. – Κύπριος τῷ γένει, « Chypriote d’origine » ne permet pas de se prononcer sur son lieu de naissance contraire- ment à la tradition de l’Église locale qui le fait naître soit à uploads/Litterature/ barnabe-et-les-processus-de-construction 2 .pdf
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- Publié le Jui 28, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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