B I B L I O T H È Q U E D ' H I S T O I R E D E LA P H I L O S O P H I E LEIBNI
B I B L I O T H È Q U E D ' H I S T O I R E D E LA P H I L O S O P H I E LEIBNIZ INITIATION A SA PHILOSOPHIE Yvon BELAVAL Professeur à la Sorbonne Troisième édition P A R I S L I B R A I R I E P H I L O S O P H I Q U E J . V R I N 6, PLACE DE LA SORBONNE, V E 1 9 6 9 La première édition de cet ouvrage a été effectuée en 1952, sous le titre : Pour connaître la pensée de Leibniz, aux Editions Bordas qui ont bien voulu nous permettre de le reprendre dans la présente collection : nous les en remercions. Y. B. © Librairie Philosophique J. VRIN, 1962 Troisième édition, 1969 PRÉFACE A LA TROISIÈME ÉDITION Au sous-titre de cet ouvrage le terme d'Initiation n'est pas un mot, plus ou moins sincère, de modestie: s'il prévient, s'il doit prévenir que tout ne sera pas ici développé avec l'étendue désirable dans une recherche exhaustive, il ne promet pas, pour autant, quant aux questions traitées, les facilités complaisantes dont un maître se joue devant un auditoire naïf. Il s'-agit véritablement d'une initiation, non d'un maître, mais d'un élève qui, la plume à la main, s'est efforcé à suivre le philosophe de Hanovre. J'ignore le travail sur fiches. Plus me plaît de tenter une compréhension continuée. La lecture n'y suffirait pas sans la plume. Cet ouvrage est l'Introduction au Leibniz critique de Descartes pour lequel je me préparais, et que j'espère compléter par de nouvelles Études leibniziennes. Dans quel esprit, cette Initiation? On peut vouloir interpréter un auteur ou, pour parler avec la mode, en procurer une « lecture ». Sans condamner ce genre d'entreprise, pourvu que l'on n'y confonde pas le libre avec l'arbitraire, tel n'a pas été mon projet. Bien entendu — et comment l'oublier? Leibniz le dit à chaque page — l'on a toujours un point de vue et l'on interprète toujours ce que l'on croit seulement constater. Néanmoins, les contraintes, pour qui choisit d'interpréter en constatant du mieux possible, ne sont pas celles que s'impose celui qui, fidèle au thème d'un penseur, préfère en composer des variations ou, si l'on aime mieux, préfère en réinventer la compréhension. Au cours de cette Initiation, j'ai voulu m'en tenir au plus près de l'histoire, au plus près du sens littéral; je voulais d'abord déchiffrer, mettre la partition au propre pour que d'autres, peut-être, en fissent plus facilement valoir l'harmonie et les harmonies. L'auouerai-je? Cet ouvrage, écrit voilà bientôt vingt ans, je n'avais jamais trouvé l'occasion de le lire d'un bout à l'autre. Je n'ai pas à le renier. A coup sûr, les exigences de la collection dans laquelle il a été primitivement publié, m'ont amené à borner à quelques remarques, dans l'exposé systématique, ce que j'avais analysé dans la genèse du système, et, réciproquement, à passer presque sous silence, dans celte genèse, des doctrines qui, rendues accessibles par cette première partie, devaient ensuite, pour ne pas fausser l'équilibre, prendre un certain poids dans l'exposé : il en résulte quelque disparate dans la vue d'en- semble du leibnizianisme, qui réclame parfois du lecteur un effort de mémoire. Il ne m'échappe pas non plus que l'explication que je donne du Vinculum substantiale n'aurait pas été proposée de la même manière par un théologien : cela ne m'empêche pas d'y tenir, parce que je la crois vraie aussi el, même, éclairante sur des points obscurs du système. Bref, mon projet artisanal de constater et de lier semble me permettre aujourd'hui de ne pas prolester, comme on est générale- ment obligé de le faire, que si j'avais à récrire cet ouvrage, je le récrirais autrement; et, s'il doit être complété par Leibniz critique de Descartes, inversement il le complète en suivant dans l'histoire la formation des principaux concepts du leibnizianisme. La présente réédition corrige des erreurs de typographie qui m'avaient encore échappé dans la précédente; rectifie des lapsus, ajoute un complément de bibliographie, que le temps rendait nécessaire. 11 mars 1969. AVANT-PROPOS Aux difficultés bien connues de la compréhension d'un homme ou d'une doctrine — on ne compterait plus tous les ((Systèmes de Descartes », dont chacun se donne pour vrai — la pensée de Leibniz ajoute ses difficultés particulières. D'abord, l'œuvre est immense. Après, bientôt, deux siècles et demi, quelque 35o éditeurs n'ont pu venir à bout de la masse de manuscrits laissée à la Bibliothèque de Hanovre. Les il volumes que constituent les éditions Gerhardt (Philo- sophie, Mathématiques) et Klopp (Histoire et Politique) n'offrent qu'une partie de l'édition complète entreprise, de- puis 1923, par l'Académie Prussienne des Sciences, et dont aucun de nous ne verra l'achèvement. On ne cesse de publier de nouveaux inédits. Scripsi innumera et de innumeris sed edidi pauca et de paucis, confiait notre philosophe à Jacques Bernoulli. On peut affirmer que personne n'a lu intégrale- ment ses écrits. D'autre part, Leibniz déconcerte par l'étendue de son savoir. Il faudrait tout connaître pour le lire : théologie, métaphy- sique, logique, mathématique, physique, chimie, paléontolo- gie, biologie, histoire religieuse, civile, politique, jurispru- dence, linguistique, etc.-.. Nulle science ne lui est étrangère. Il passe, en se jouant, du calcul différentiel au Slavon, de la syllogistique au poème latin, de la controverse juridique aux mines du Harz, des lois de choc à l'Histoire de la Maison de Brunschwick, de la casuistique à la machine à calculer, d'expériences sur le phosphore à l'art militaire, de problèmes 8 POUR CONNAITRE LA PENSEE DE LEIBNIZ monétaires au microscope du biologiste. Une activité inlassa- ble. Il rêve d'Encyclopédie. Il parcourt l'Europe en tous sens. Il voit tout. Il écrit partout. Il a pluo de six cents correspon- dants. Si vaste son savoir, si multiples ses points de vue, qu'on hésite où placer le centre. Son intuition centrale est-elle reli- gieuse, comme le veulent Baruzi et Friedmann, ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un panlogisme, comme l'affirment Couturat et Russel ? Préférerons-nous parler, avec Brunschwicg, d'un panmathématisme ? Quoi encore ? Les commentateurs le ré- pètent : rien de plus monadologique que ce système. Tous les points de vue s'y répondent. La moindre phrase semble l'ex- primer tout entier. Nulle doctrine n'impose davantage le sen- timent de l'unité ; en nulle le foyer de cette unité n'est plus insaisissable. A quelque point de vue que l'on se place, les textes aussitôt convergent. Enfin, on suspecte la bonne foi de notre philosophe. L'habi- leté, l'onction, la prudence de ce politique, toujours un peu agent secret et toujours un peu courtisan, n'ont jamais laissé d'inquiéter. Leibniz glaubt nichts. Les amis de Newton l'ac- cusent de larcin. Spinoza reste sur ses gardes. Les Jésuites, à la Cour de Vienne, finissent par se méfier. Leibniz meurt dans l'isolement Lachelier le méprisera. V. Delbos refusera de le faire figurer dans sa galerie des grands philosophes. Ses défenseurs les plus ardents, comme Foucher de Careil, doivent pourtant, parfois, avouer sa duplicité. Quelles leçons tirer de ces difficultés ? D'abord, qu'il importe particulièrement, pour mieux en saisir la pensée, de connaître la vie, le caractère, le milieu de f ce philosophe « engagé ». Nous perdrions moins à ignorer tout \ d'un Descartes ou à nous contenter de ce qu'il nous confie \ sur ses années d'apprentissage dans le Discours de la Méthode, i qu'à ignorer tout d'un Leibniz, mêlé aux affaires publiques, ou à nous contenter des autobiographies, quelque peu complai- santes, par lesquelles il se présente à ses correspondants. Et, certes, le portrait d'un homme disparu, le récit d'événements passés, la reconstitution d'un milieu qui n'est plus le nôtre, restent abstraits et fciunaires : ils dépendent de documents que nous ne pouvons tous consulter, de l'intelligence des tex- tes, de préjugés et d'à priori affectifs dont aucun soin ne AVANT-PROPOS 9 garde entièrement. Toutefois, ce serait pécher contre la ri- gueur même dont on voudrait se réclamer, que d'exiger une certitude mathématique en un domaine qui ne la comporte pas. Pas plus que nous ne saurions repenser le leibnizianisme comme Leibniz lui-même le pensait, nous ne saurions revivre ce qu'il a vécu : mais le scepticisme a des bornes, la vraisem- blance ne va pas sans vérité. L'œuvre est immense ? Mais Leibniz répète beaucoup. Pu- bliant peu, il est amené à reprendre ses exposés, et souvent dans les mêmes termes, pour maint nouveau correspondant. Les inédits n'ont toujours enrichi notre connaissance que par intégrations, par saturations successives, et non par brusques mutations : ils ont seulement obligé à reculer de plus en plus haut vers l'enfance l'apparition des grandes idées directrices. Aujourd'hui, nous avons assez de textes convergents pour ne plus craindre de surprise bouleversante, assez de textes se répétant pour parler de Leibniz sans avoir lu jusqu'au dernier feuillet de la Bibliothèque de Hanovre. De même, s'il n'est pas possible d'avoir lu tout ce qu'il a lu, Leibniz, le plus souvent fidèle aux habitudes scolastiques hé- ritées d'Aristote, uploads/Litterature/ belaval-leibniz.pdf
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- Publié le Oct 30, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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