« Le point de vue psychanalytique », in Lecture politique du roman : La Jalousi
« Le point de vue psychanalytique », in Lecture politique du roman : La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, de J. Leenhardt Florian-Pierre Zanardi Washington University in St. Louis, French 421, 26 novembre 2012 Introduction L’article de Leenhardt s’articule autour de la pertinence d’une analyse psychanalytique de La Jalousie de Robbe-Grillet. Nous allons le voir, sa thèse porte plus spécifiquement sur la présence d’un processus d’érotisation à travers le roman, ainsi que ses représentations au sein de la narration. Nous pouvons dé- gager cinq parties de cet article. La première s’appuie sur les recherches du psy- chanalyste Didier Anzieu concernant le discours de l’obsessionnel dans l’œuvre de Robbe-Grillet. Cette recherche a surtout pour vocation d’amorcer la discus- sion sur la légitimité, et les limites, d’une analyse de type psychanalytique, dont Leenhardt souligne les faiblesses et lacunes. Cette introduction mène à un glis- sement du champ d’étude : il n’est plus question de considérer le roman comme engendré par une conscience malade individuelle (le mari ne conditionne plus uniquement la trame narrative), mais comme univers où évoluent des groupes distincts fonctionnant en opposition. Dans un troisième temps, Leenhardt dé- veloppe la notion d’agressivité et, paradoxalement, d’absence d’agressivité dans ce roman. Cette notion permet d’établir la thèse générale de cet article, à sa- voir la présence d’un processus d’érotisation au sein des instances narratives. En conclusion, Leenhardt analyse certaines de ces instances et établit au sein de ce processus d’érotisation un système d’angoisses/objets érotisant ; la che- velure de A. . ., longuement commentée, forme le modèle de cette opposition angoisse/contrepartie érotique. 1 Légitimité et limites d’une analyse psychanalytique Le propos s’ouvre sur une constatation générale : la place de l’incons- cient en littérature fait l’objet de maintes controverses, et il ne saurait y avoir d’avis définitifs sur les interprétations d’ordre psychanalytique formulées par la critique. Une fois ce topos évacué, Leenhardt note tout de même qu’une rigueur méthodologique fondée sur une analyse scrupuleuse du texte permettrait de for- muler des thèses objectives sur les œuvres considérées. Le problème, comme le 1 1 Légitimité et limites d’une analyse psychanalytique 2 note l’article, est de s’y tenir. Leenhardt amorce la discussion avec les travaux de Didier Anzieu, et notamment son article « Le Discours de l’obsessionnel dans les romans de Robbe-Grillet. » Il note préalablement une division tripartite des agents discursifs po- tentiels chez Anzieu, lesquels peuvent mener à différents types d’analyse : – Le discours de l’obsession, produit indépendamment de l’écrivain. – Le discours de l’obsessionnalité, dont l’influence de l’écrivain n’est pas à négliger. – Le discours obsessionnel, produit par l’écrivain, et équivalent à un matériau psychique. Leenhardt disqualifie en partie l’analyse d’Anzieu, car celui-ci tente de rattacher le discours obsessionnel à un agent discursif précis. Ce « quelqu’un » auquel Leenhardt attribue la « fonction génitive » du discours désactive par essence une approche neutre du discours obsessionnel (p. 118, dernier §). Rattacher La Jalousie à une instance narrative définie, c’est faire l’analyse de son géniteur (savoir implicitement Robbe-Grillet), et non produire une analyse du discours obsessionnel. On pressent déjà la double portée du processus d’érotisation qu’il théorise au terme de son article : l’une individuelle, l’autre groupale. Bien qu’une analyse de Robbe-Grillet écrivain puisse avoir un intérêt que nous ne négligeons pas, l’objet de cet article est autre. Il s’agit de considérer, d’un point de vue psychanalytique, comment le discours de l’obsessionnel se développe dans La Jalousie. Nous passons très rapidement sur ce point puisque, comme le fait re- marquer l’auteur, la thèse d’Anzieu contient quelques faiblesses argumentatives qui grèvent la force de sa démonstration. Le fait qu’il ait recours à des notions littéraires inappropriées à l’œuvre de Robbet-Grillet (la notion de héros issue du roman bourgeois) en est une. Cet argument aboutit à une « assimilation héros-narrateur-auteur » qui ne convient pas, selon Leenhardt, à une analyse de La Jalousie. Anzieu note toutefois qu’un système de défenses/fantasmes est à l’œuvre dans le roman. La défense de l’obsessionnel s’affirmerait à travers le style selon deux mécanismes, la construction et la transposition (construction en ce que La Jalousie aurait une organisation de la pensée sous forme de raies ou lamelles, ce qu’on peut assez bien discerner, et transposition, car « la réalité extérieure est infiltrée par le fantasme » du, c’est-à-dire qu’il ne perçoit pas la réalité comme fantasmée ). Les fantasmes seraient rattachés à trois éléments de l’intrigue, le dédoublement des scènes, l’isolement (« absence de liaison logique entre les faits ») et le figement de la narration (« les personnages deviennent sujets peints ou sculptés »). Dans un second temps, Leenhard commente l’ana- lyse des fantasmes de l’obsessionnel qu’Anzieu rattache à un complexe d’Œdipe. L’absence d’indications concernant tout lien de parenté entre le mari et son père, mais également entre Franck et le sien, rend cependant cette interprétation peu crédible (p. 125, avant-dernier §). Leenhardt expose alors clairement son projet : il va s’agir d’analyser « le système de défense obsessionnelle » à la lumière non pas d’un complexe d’Œdipe, dont on a perçu les limites, mais d’une « situation historico-sociologique ». 2 D’une conscience malade individuelle à une conscience de groupe 3 2 D’une conscience malade individuelle à une conscience de groupe La pierre d’achoppement de l’article d’Anzieu est, selon Leenhardt, qu’il ne considéra pas les différents personnages du roman comme membres de groupes bien distincts fonctionnant en termes de puissance/impuissance, mais comme individus détachés de toute structure groupale (p. 127, 1er §). En effet, Leenhardt distingue deux groupes fonctionnant en opposition : l’un est consti- tué des cellules familiales (A. . . et son mari, Franck, Christiane, et leur enfant, formant des groupes sociaux), l’autre des deux groupes raciaux (schéma Blancs et Noirs). Leenhardt rejette alors une analyse individualisante du discours ob- sessionnel (certes fort commode à une analyse psychanalytique, mais ne prenant pas en compte les discours des autres personnages). Conscient qu’une analyse psychanalytique n’est possible qu’au niveau individuel, mais ne pouvant nier l’existence de groupes clairement définis dans La Jalousie, Leenhardt propose une analyse « où les individus sont véritablement intégrés à leurs groupes », c’est donc dire qu’il faut considérer le roman en termes de groupes sociaux (cellules familiales, cellules raciales). Motivé par le fait qu’une analyse se fondant uniquement sur le pur dé- ploiement d’un Moi central n’est plus envisageable, l’article ne propose plus une analyse psychanalytique, mais une analyse sur la façon dont la psychanalyse se déploie. Il semble que Robbe-Grillet joue avec les effets de sens (psychanaly- tiques) plus qu’il n’en fut la victime inconsciente (p. 129, dernier §). Ainsi le héros du Nouveau Roman ne conditionne-t-il plus tel ou tel aspect de la struc- ture narrative. Au contraire, la disparition de la notion de héros place cette structure au centre de l’analyse. La structure n’est plus conditionnée par le tempérament du héros, elle l’induit. Leenhardt cite comme exemple La Modi- fication. Nous pourrions ajouter Une Voix, ou encore La Mise en scène. À un autre niveau, mais d’une façon tout aussi remarquable, citons L’Opoponax. La structure perd donc sa soumission mimétique, il n’y a plus de lien causal entre héros et narration. 3 Angoisse de la narration, absence d’agressivité Afin de comprendre pourquoi l’absence d’agressivité est surprenante, l’article pose les bases psychologiques de l’angoisse : il s’agit d’une réaction pri- mitive de haine face à une perte ou à la menace d’une perte (p. 132). Une angoisse qui serait de sucroît jalouse comporte un sentiment d’humiliation. L’agressivité est une réaction à cette angoisse. La position obsessionnelle du narrateur serait alors une réponse à cette angoisse, et l’article tente d’analyser les raisons pour lesquelles les agents anxiogènes, « objets de haine », ne peuvent devenir objets d’agressivité. À partir de ce constat, Leenhardt propose une ana- lyse coloniale de La Jalousie. La raison pour laquelle il n’y a plus de rapports d’agressivité entre les deux groupes sociaux que nous avons évoqués plus haut, c’est la perte « d’impérialité » des Blancs. Le roman est alors perçu comme une 4 Processus d’érotisation 4 preuve du « déclin irrémédiable de l’idéologie coloniale. » Cette opposition agressivité/angoisse est le fondement de l’argument de Leenhardt car elle induit une autre opposition : relations sexuelles/érotisation. L’article souligne une absence de relation affective entre les personnages du roman, une « impossibilité d’accomplir une relation sexuelle » (cela est flagrant entre le mari et A. . ., et entre Franck et Christiane, personnage complètement déréalisé par la narration). Cette absence serait le signe d’une « disparition de l’Autre en tant que partenaire ». Selon cette lecture, La Jalousie représenterait la déréalisation du lien social et affectif entre les individus. 4 Processus d’érotisation Cette nouvelle hypothèse amène un recentrage de ce qui doit être consi- déré comme important dans le roman. On l’a compris, analyser le sentiment de la jalousie d’un seul individu n’a plus beaucoup de sens. Les personnages ne sont d’ailleurs plus en conflits directs (cf. la déréalisation de leurs sentiments). Leenhardt propose alors de voir le conflit sous sa forme sociale, c’est-à-dire entre l’univers des Blancs, et l’univers uploads/Litterature/ le-point-de-vue-psychanalytique-in-lecture-politique-du-roman-la-jalousie-d-x27-alain-robbe-grillet-de-j-leenhardt.pdf
Documents similaires










-
35
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0698MB