Raymond Bellour L’Entre-Images 2 Mots, Images P.O.L 33, rue Saint-André-des-Art
Raymond Bellour L’Entre-Images 2 Mots, Images P.O.L 33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e Je remercie celles et ceux qui, par leur aide matérielle et spirituelle, ont contribué plus ou moins à la réalisation de ce livre : Jacques Aumont, Martine Béguin, Christa Blümlinger, Nicole Brenez, Françoise Calvez, Mireille Cardot, Corinne Castel, Hubert Damisch, Anne-Marie Duguet, Jean Durançon, Bernard Eisenschitz, Jean-Paul Folky, Béatrice Fraschini, Michel Frizot, Virginie Herbin, Danièle Hibon, Thierry Kuntzel, Jean-Louis Leutrat, Michel Marie, Martine Marignac, Louis Marin, Rainer Michael Mason, Dora Mourao et mes auditeurs du séminaire « Cinéma et peinture » de l’université de São Paulo, Dominique Païni, David R o d ow i c k , Patrice Rollet, Ysé Tran, Christine van Assche, Bill Viola, Henriette Zoug h e b i . © P.O.L éditeur, 1999 ISBN : 2-86744-672-4 Il y a toujours trop, il n’y a jamais assez d’images dans un livre, s’il ne s’agit pas d’illustrer, mais de les substituer au corps improbable des images animées. Un premier volume de L’Entre-Images avait fait le pari de donner beaucoup d’images. Pour tenter d’approcher aussi un rapport indécidable et fuyant entre mots et images, il a paru possible de se passer cette fois de toute image. Ce livre n’a pas d’introduction formelle : avec la part inévitable de programme attachée à ce qui fut, au moment de « Passages de l’image », parti pris d’exposition, « La double hélice » en tient lieu. « Un livre, même fragmentaire, dit Blanchot, a un centre qui l’attire ». Cela devient son lieu, plus rêvé que réel, sans doute, mais primordial pour celui qui après coup conçoit ce livre. Au risque de quelques reprises, on trouve ici ce centre incertain et mobile dans le texte intitulé « La chambre ». LA DOUBLE HÉLICE « Je souris encore ce n’est plus la peine depuis longtemps ce n’est plus la peine la langue ressort va dans la boue je reste comme ça plus soif la langue rentre la bouche se referme elle doit faire une ligne droite à présent c’est fait j’ai fait l’image » Beckett, L’Image « D’une brume à une chair, infinis les pas- sages en pays meidosem. » Michaux, La Vie dans les plis Sans doute savons-nous de moins en moins ce qu’est l’image, u n e image, ce que sont l e s images. Non pas qu’il soit simple de dire, aujourd’hui, ce qu’elles ont été, en d’autres temps, pour d’autres. Les recherches qui se sont (plus ou moins récemment) multipliées, sur tel ou tel moment tournant de l’histoire et de la conscience des images (l’inépuisable Renaissance, la crise iconoclaste, les inventions de la photogra- phie, le cinéma des premiers temps, etc.), montrent bien qu’en prêtant aux autres, c’est l’affolement concentré dans notre regard que nous cherchons à tempérer. L’impressionnant, dans ces travaux, n’est pas tant les points de vue singuliers qui en ressortent, affectés à chacun de ces moments, mais plutôt que ces points de vue se cumulent, comme autant de virtualités d’une histoire impraticable des images, faite de points d’ancrage et de flottement, ainsi devenue le symptôme de notre propre his- toire. Signes de l’accumulation d’images qui nous frappe. Pourtant ce n’est pas la saturation qui est en jeu à proprement parler. « Saturés ou pas d’images, nous n’en savons rien, nous n’en saurons jamais rien. Nous n’étions pas au temps des cavernes, où probablement les mecs étaient saturés d’images parce qu’ils avaient la gueule sur leurs graffiti et que c’était bien pire que la télé 1. » C’est plutôt la diversité 1. Pierre S c h e f f e r, « Compte rendu de la table ronde tenue à Paris le 16 j a n v i e r 1986 », dans Maurice Mourier ed., Comment vivre avec l’image, PUF, 1989, p. 340. des modes d’être de l’image qui est notre problème. Le moins d’Image(s), aussi bien, que suppose la prolifération désormais virtuellement infinie des images, caractéri- sées par les lignes de fracture et de conjugaison, d’indétermination entre leurs divers modes plutôt que par leur prégnance réelle – toujours à inférer. Voilà ce que visent à leur façon les mots : passages de l’image. Sous le d e, ambigu, on entendra d’abord un entre. C’est entre les images que s’effectuent, de plus en plus, des passages, des contaminations, d’êtres et de régimes : ils sont par- fois très nets, parfois difficiles à circonscrire et surtout à nommer. Mais il se passe ainsi entre les images tant de choses nouvelles et indécises parce que nous passons aussi, toujours plus, devant des images, et qu’elles passent toutes d’autant plus en nous, selon une circulation dont on peut essayer de cerner les effets. Enfin, le « de » peut impliquer ce qui manque à l’image : il deviendrait impropre de voir dans l’image quelque chose de sûrement localisable, une entité vraiment nommable. Passages de l’image, donc, à ce qui la contient sans s’y réduire, ce avec quoi elle compose et se compose – ce serait donc là le lieu opaque, indécidable, que ces mots laissent entendre. L’analogie, encore On pourrait presque repartir de n’importe où. De la « tavoletta » de Brunel- leschi ou de l’image de synthèse : celle-ci pourrait aussi bien se donner comme pro- gramme de calculer celle-là; et la construction du maître italien aura eu comme objet d’ouvrir à la peinture la fiction d’une première synthèse susceptible d’assurer au sujet de la vision une maîtrise mesurée de la réalité. Mais pourquoi d’un côté l’image de synthèse, de l’autre la « t a v o l e t t a » , pour cerner ces « passages de l’image » dans lesquels nous sommes saisis? C’est que l’image de synthèse oblige non seulement à interroger ce qu’elle produit ou pourrait produire en tant qu’art, mais surtout à évaluer, comme B e n j a m i n l ’ a v a i t vu pour la photographie, ce qu’il advient de l’art confronté à ce qu’elle incarne (ou désincarne), représente (ou déreprésente), construit (ou détruit). L’ a c t u a l i t é de l’image de synthèse, ce qu’elle montre, n’est rien en regard des virtualités qu’elle démontre. Elle affecte en particulier dans leur principe et leur profondeur deux des grands modes de passages qui ont présidé depuis longtemps au destin des images pour entrer aujourd’hui dans une configuration de crise et de croise- ment où ils acquièrent ensemble une force nouvelle : celui qui a trait aux rap- ports du mobile et de l’immobile; et celui qui ressort de la quantité avant tout variable d’analogie supportée par l’image – sa puissance de ressemblance et de r e p r é s e n t a t i o n . Quant à la tavoletta, trois raisons concourent à la remettre en jeu. Elle est d’abord, Hubert Damisch l’a bien montré, « le prototype » par lequel l’espace moderne de la visibilité s’est trouvé institué, de façon à la fois historique et légen- daire, au confluent de l’art et de la science, de la psychologie et de la scénographie : à « l’origine de la perspective 1 ». Cette « i n s t a l l a t i o n » a aussi le mérite de préfigurer le procédé du mélange d’images. On sait que dans le miroir tenu par le sujet dans l’expérience de B r u n e l l e s c h i viennent se composer deux plans hétérogènes : la pein- ture d’un monument conçu selon les modalités de la perspective qui s’invente; et une surface d’argent bruni, « de façon que l’air et les cieux naturels s’y reflètent et de même les nuages qui s’y laissaient voir, poussés par le vent, quand celui-ci souf- fla i t ». D’abord dans sa Théorie du nuage, puis dans son livre sur la perspective, Damisch relève la valeur d’index de ces nuages, « m o n t r é s » plutôt que « d é m o n- t r é s », échappant par la fluidité de leur matière à la rationalisation perspectiviste (elle est construite par là sur une exclusion que le prototype – et avec lui la p e i n t u r e – reconnaît mais tempère, en liant les deux plans, pour répondre de toute la n a t u r e ) 2. On est ainsi séduit par la conception d’une image faisant sa part au mou- vement, ou à sa virtualité, et ainsi à un entre-deux très contemporain : si le ciel demeure immobile, c’est plutôt la peinture ou la photographie que la situation a p p e l l e ; si les nuages passent, ce sera le cinéma ou la vidéo. Enfin le récit de M a n e t t i fait bien ressortir que dans ce dispositif, « il semblait que ce que l’on voyait était le vrai lui-même 3 ». Sans raffiner sur ce que Damisch voit dans cette conclu- sion, on uploads/Litterature/ bellour-l-x27-entre-images-ii 1 .pdf
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- Publié le Mai 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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