LA MESSE NOIRE DE CIRCÉ Les magies de Circé et son mélange de drogues ont susci
LA MESSE NOIRE DE CIRCÉ Les magies de Circé et son mélange de drogues ont suscité par milliers les dissertations des philologues . Peut-être ne sommes- nous encore qu'au printemps de cette floraison. Car le chemin, suivi par l'histoire des religions depuis un quart de siècle, con- duira t6t ou tard à découvrir dans cet épisode de l'Odyssée la première orig·ine des messes noires ou même de la messe tout court: la magie du pain et du vin n'est-elle pas clairement indi- quée en -;. 235 et 290 ? orvq., IJp<Xfl-VEtq.> ÈxUXQ: ' OCVt(J-WfE oi o+tq.> <papf1-1XXIX }uypL .. TEUÇEt -rot XIJXEW ~a:ÀtEt ô' èv cpipf1-1XXIX ai-rq.,. Pendant qu'il en est. temps encore el que l'on peut discuter ces passages sans risquer l'excommunication des uns ni la tahoutisa- tion des autres , peut- être doit -on prt>ndl'e garde que, pour èlre parfaitement clairs en eux-mèmes, pour n'av oir jamais été soup- çonnés dans l'ensemble ni critiqués dans le ùMail, ees deux Yers sont parfaitement incompréhensibles dans le contexte. * * * Le premier fait partie de l'aventure d'Euryloque (Y. 203-260), chef de la première escouade qu'a (lésignée le sort parmi les com- pagnons d'Ulysse pour monter de la plage au sanctuaire de Circé. On arrive au vallon sacré, devant la grande demeur e de pierre : LA MESSE NOIRE DE CIRCÉ 17 Le meneur des guerriers. Politès, le premier, prend la parole et dit (de Lous mes gens, c'était celui que son bon sens me faisait préférer) : « Mes amis, écoutez ce bruit de grand métier [et cette belle vojx : tout le s!)l retentit]; femme ou déesse L. allons! crt0ns sans plus tarder! " Il eut à peine·dil qu'à grands cris Lous 'llppellent. Elle accourt. Elle sort, ouvre sa porte reluisante et les invite. Et voilà tous mes fous ensemble qui la suivent! ... Euryloque, flairant le piège, était resté!. .. Elle les fait entrer. lis s'en vont prendre place aux sièges et fauteuils. Elle l,mr bat alors dans son vin de Pramnos du fromage, de la farine et du miel d'or, puis mélange à leur pain de ses droguès funestes, pour leur ôter tout souvenir de la patrie.· Elle sert ce breuvàge. lis boivent d'un seul trait. De sa baguette alors, la déesse les frappe et va les enfermer sous les tects de ses porcs : ils en avaient la tète et la voix et les ·soies, tout l'aspect; mais en eux survivait leur esprit d'autrefois .... Èv Ôt aiptv Tup&v TE X.Œt flÀ<pt't'IX x.oc\ (J-tÀt )'_ Àœpov or~ f Ilp1XtJ,Vdtp tX.UX.IX • &vlfktCTy! ~A <l't'!'<:> 235 cp!Îpfk1XX.IX Àuyp •, lvix 11:ocyx_u Àot80/1XTO 7r1XTp(Ôo, IXl'IJÇ' OCUT<lp hd ÔwX.E\I TE x.ai hmov, IXU't'{X.. t'I':Et't'Gt p&J~Btp 1mrÀ11yui« x.«-.& avq,eofotv Upyvv. C'est dans le pain que Circé a mis ses drogues funestes: ce n'est pas dans le kukeion, ce breuvage, inoffensif par lui-même, dont l' llzade connaît l'usage parmi les héros; car, en A 6t8-6t2, Nestor le sert à ses invités qui le boivent et ne s'en portent que mieux. En ce kukeion de Nestor, préparé par Hékamèdè, fromage. râpé, farine blanche et miel sont pareillement battus dans du vin de Pramnos ; mais l'opération se fait dans une coupe, oé1ta.; 'ltëpL~il!:ÀÀ:i<;, Év 'l'<t> pa. açpt xtx.11aE yuv~ ttxviix OE'flatv otv'!l IlpcttJ,Vë(t:> ••• Les invités de Nestor boivent, .ne mangent pas ; il ne leur en advient aucun mal. Les compagnons d'Ulysse; pour avoir bu pareillement, sont changés en porcs, sans avoir touché, semble-t-il, à ce pain magique où la déesse leur a mélangé de ses drogues funestes, ii-iltJ,iaye ai: ah<:> cpapµ.a.u Àuypa. Les drogues de Circé ont-elles donc àgi par leur seule présence et sans être ingérées? REG, XXXI, i9i9, n•• U.6-iiiO. t8 VICTOR B!RARD le Poète a-t-il négligé de nous dire que nos gens avaient mangé et bu tout ensemble? ... Nous sommes en pleine sorcellerie ... Ne soyons pas trop méticuleux. Mais Ulysse monte à son tour chez Circé. Sur le seuil du palais, il trouve en Hermès lui-même un protecteur qui lui donne, avec de bons avis, une plante salutaire pour neutraliser toutes les drogues et magies de la déesse ('1. 275-300): Je venais de passer par le vallon sacré et j'allais pénétrer dans la grande maison de Circ~ la sorcière quand, juste sur le seuil, je rencontrai Hermès à la baguette d'or ... Il me saisit la main, me dit el me déclare : « Où vas-lu, malheureux, au revers des coteaux L. tout seul? ... et dans ces lieux que tu ne connais pas .. ? Mais je vais t'expliquer les desseins de Circé et tous ses maléfices. Ayant fait son mélange, elle aura beau jeter àes drogues dans ton pain : son charme tombera devant l'herbe de vie que je vais le donner ... », -r11u!;u 't'OI llllllEW, ~ixlit1 ô' h <prtpf1-1XXct al-ri;· a.n· oùô' w~ OA!;ixt O'E Ôuv~O'E't'!Xl •.• Plus haut, Circé mêlait des drogues au pain, â'liµicrye a~ O't't~ <prlpµ:.,;'1,:.,; : c'est une opération que l'on conçoit à la rigueur. Ici, elle Jette des drogues dans le pain, ~:.,;lfo a' è.'I <p.ipµ:.,;'1,:.,; a!-r~ ... : l'opération est plus difficile ; mais nous sommes en pleine sor- / cellerie ... Le malheur est que la suite va nous donner une autre versi.on. Ulysse entre chez Circé. Elle l'installe en un fauteuil aux clous d'argent et, comme Hékamèdè plus haut, elle fait son mélange dans la coupe d'or, où il va boire; c'est dans cette coupe, dans ce mélange qu'elle met alors sa drogue ; elle donne la coupe au héros; il boit d'un trait; le charme n'agit pas (x. 316-318): 't'iU;t_ll a, 11-ot llUllEW Y.fUO'(<f 8l1t!f, 01pct 1tlotf1-t • h ôl 't'o q,ipp.a.xov f.xt, x,xxix 'f'povloua' ÈVt 8ufMii • CXÙ't'cxp .É1ttt ÔwlltY 't'E XŒt intov, OuÔt fi-' l6tÀÇI •••• La déesse étonnée s'écrie: « La surprise me tient! sans être ensorcelé, tu as bu cette drogue! Jamais, au grand jamais, je n'avais vu mortel résister à ces drogues, dèis qu'il en avait bu, mis la première goutte dans l'enclos de ses dents! )) (x 326-328): T ' t ! ! l i 1. ! ! ' LA MESSE NOIRE DE cmca 6ixup.Gt p.' lxEt tilÇ o?J 'tt 'ltttilV TCI.ÔE cpa.pp.œx' k8~x_811(' où8à yip oùôl ,tç dÀÀoi; à.v~p -ra.ÔE cp&pp.œxrx &vi-rÀ11 Sç XE 1t!'!} XIX! 1tpw-rov à.p.d<JiE,IXt lpxoi; dôovTll>Y. 19 On sait la suite et comment Ulysse et Circé se réconcilient de la plus tendre des façons. Ce n'est qu'après leurs ébats sur le lit splendide de la déesse que Circé offre le pain à son nouvel amant; mais Ulysse refuse tant que ses compagnons restent aux porche- ries (x 375 et suivants): · K{px11 ô' tilç ÉvO-l]<rEV [p.' ~p.Evov oùô' k1tl ahip XEtpixç la.ÀÀOV't(X .•• Il semble donc que les victimes de Circé doivent boire la drogue; c'est dans le breuvage, dans la coupe, et non dans le pain, que la déesse mêle ou jette ses philtres ... Le vers 290 en son état actuel, ~aÀÜ:t o' b q,:ip[J.ixx.:x a!,<p, est encore plus étrange si l'on met en regard tels autres passages fort analogues : ~ 329-330 : EÀ6ELV ~cpp' h6Ev 6up.ocp6op1X q,&pp.ixx' Èvdx'!) Èv ôt ~Ü!J xp11,~pt ... o 220-222 : ixù-r{x.' &p' Èç oTvov ~ctÀE cpipp.ixx.ov lv8Ev !1ttvov ••• OÇ 'tO X.IX't1X6poçmv È7tEt x.p1J,iipt p.tyEi11 ... ô 233 IXÙ,12p È7tE{ p' tVÉ'IJX.E x.ÉÀEU<rÉ / O!VOX01Î<r1Xt,., Nous retrouvons ici toutes les expressions de nos vers 235, 290 et 317, ~aÀTl, f).tyein, Èvt'IJY.E, Mais, au lîeu de l'incompréhensible i;(,<p, nous avons x.p'IJ,'l)pt, oîvov, cratère et vin. On peutjeter ou mélanger des drogues dans une coupe, un cratère ou du vin. C'est l'un de ces trois mots que le sens appelle en notre chant 1., de mème qu'en A, ~' o, etc. Le mot xplJ,'l)pt ne saurait convenir au mètre. Pareillement, le mot otit~ ne peut entrer en cette fin de vers. Avec le digamma restitué, le mot o'lv<p donnerait la mesure juste, mais un vers un peu étrange, où le même mot serait deux fois répété : " n , ' ' ' ' ~· [ ,, ] OtV<p .'1-'pixp.vm.i EXUX.IX. ixvep.t<ryE OE OtVtp • Il serait difficile en outre d'expliquer la faute, al-r<p pour :.!v,:>, laquelle ne peut être qu'une correction voulue, délibérément intro- VICTOR BÈRARD duite par l'un des éditeurs antiques et, de proche en proche, acceptée par tous les autres : elle se retrouve aujourd'hui dans tous les manuscrits; elle s'est donc imposée pour une raison manifestement impérieuse. Or, on ne voit pas la raison qui aurait fait condamner la fin de vers à:v~µ.urye ai o:v<p. On ne saurait allé- guer le sens: c'est la correction ah<i> qui est contraire au sens du contexte et au bon sens même. On ne sa~rait davantage alléguer l'une de ces corrections digammiques, qui devinrent si fréquentes à mesure que le vieux F.disparut de l'usage parlé, de la notation écrite et de la tradition auditive : en nombre de vers odys- séens, ohoç a subsisté en pareille place, h oit n olvoç .•. , èl;foauto .. oivoç. Peut-être un indice subsiste-t-il en quelques uploads/Litterature/ berard-la-messe-noire-de-circe.pdf
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- Publié le Jul 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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