Au Moyen Âge, seuls les lettrés, cosmographes, encyclopédistes transmettent aux

Au Moyen Âge, seuls les lettrés, cosmographes, encyclopédistes transmettent aux clercs et aux laïcs une vision globale du monde connu, inspirée de la philosophie antique et des textes bibliques. La créature fabuleuse est l’œuvre de Dieu, au même titre que les autres. Cependant, elle est inférieure à l’homme car elle n’a pas de raison ; seuls ses instincts la guident. Elle est même au-delà de toute catégorie connue, car on ignore sa nature véritable qui est inventée de toutes pièces. Elle va servir néanmoins, comme les autres animaux, d’images nécessaires au dévoilement du mystère de Dieu. Elle devient un des symboles de reconnaissance de la vérité des Évangiles et de la Bible. Car elle est dans le texte sacré. Il n’est donc pas question de remettre en cause son existence. Elle est un miroir des aspects les plus souterrains du monde. Sa fonction est de mettre à nu les secrètes modalités de l’être pour aider l’homme à progresser vers une humanité pleine et entière. Le christianisme a peu inventé de créatures étranges. Il en hérite, le plus souvent, des cultures grecques, égyptiennes, sumériennes. Il a su les récupérer pour une grande leçon biblique ou un enseignement moral. Accepter l’existence d’un monstre exige cependant une conscience capable de se détacher du visible (on ne rencontre pas tous les jours une serre, une licorne ou un dragon au coin d’un bois, même s’il est fréquent d’apercevoir des sirènes, en mer…) et d’accepter sans partage la parole de Dieu et les lois qui en découlent. Les clercs voient dans les animaux fabuleux une collection de portraits mouvants. Au cours des siècles, ces animaux changent souvent de formes et de symboles avant de se fixer définitivement dans une image ou une interprétation. Cependant, certains animaux fabuleux semblent avoir une histoire car on trouve leur représentation partout sur la terre. C’est le cas de la licorne et du dragon, qui ont enchanté la pensée du Moyen Âge et la nôtre, peut-être, encore… Barthélemy l’Anglais Livre des propriétés des choses Fin xive-début xve siècle BNF, Manuscrits, français 22531, f. 324 Les animaux fabuleux Le merveilleux […] participe obscurément d’une sorte de révélation générale. Le merveilleux est toujours beau ; n’importe quel merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau. André Breton, Manifeste du surréalisme (1924) La création d’animaux étranges obéit à des motivations psychologiques complexes. Elle est le fruit d’un mélange inconscient de désirs et d’angoisse. « C’est bien le sommeil de la raison qui engendre les monstres », affirmait Goya. L’hybride ou le monstre peut aussi naître d’une contemplation de la nature, des nuages, des ombres sur le sol, de taches sur un mur. Léonard de Vinci, dans ses Carnets, écrit qu’il encourageait un élève à observer la nature car elle recelait des compositions extraordinaires, des batailles d’animaux, des paysages et des monstres, « des diables et autres choses fantastiques ». Les auteurs du Moyen Âge ne s’appuient pas sur l’observation de la nature afin de décrire les animaux. Ils se réfèrent à l’Histoire des animaux d’Aristote, texte redécouvert au xiiie siècle. Ils lisent aussi Pline l’Ancien dont l’Histoire naturelle est pleine de récits extravagants. Quant au Physiologus, il abonde en animaux étrangers à l’environnement quotidien des Occidentaux. Lorsque ces textes parlent de la serre, de le caladre, du phénix, de la sirène, du basilic, de la licorne, tout le monde y croit, car ils sont cités dans la Bible. Monstres et hybrides L’hybride L’hybride vient du latin classique ibrida signifiant «bâtard, de sang mêlé» et, spécialement, «produit du sanglier et de la truie». C’est un être composite procédant de la réunion de plusieurs éléments caractéristiques d’espèces différentes comme la serre, la licorne, le dragon, le basilic. Le martichore, par exemple, que Pline situe en Éthiopie, ressemble à un lion rouge à queue de scorpion. Il est très cruel. Son nom en persan signifie «mangeur d’homme». Guiart des Moulins Bible historiale Début du xive siècle, détail BNF, Manuscrits, français 160, f. 10 v° (détail) Hybride vert ailé, mi-homme mi-bête, ses pattes sont griffues comme celles d’un lion et sa queue ressemble à celle d’un renard. Il porte une capuche. Le vert est la couleur du diable. Guiart des Moulins Bible historiale Début du xive siècle BNF, Manuscrits, français 160, f. 140 (détail) Hybride rouge à tête d’homme encapuchonné, ses ailes ressemblent à celles d’une chauve-souris. Il a des pattes griffues et une longue queue. Sa bouche est cernée de petites dents pointues comme celles des vampires. Le monstre Le monstre est un animal présentant des anomalies graves : un cheval à huit pattes ou un canard à trois becs. Si l’étymologie du mot «monstre» vient du latin monstrum, dérivé de monere qui signifie «faire penser, attirer l’attention sur», monstrum reste un terme du vocabulaire religieux désignant un prodige avertissant de la volonté des dieux, un signe à déchiffrer. Le monstre est donc un signe divin, une chose incroyable. Ce n’est qu’au xiie siècle que le mot désignera des êtres mythologiques ou légendaires. Il est également appliqué, à la même période, aux hommes qui possèdent un physique effrayant, un homme, par exemple, défiguré par la peste. Guiart des Moulins Bible historiale Début xive siècle BNF, Manuscrits, français 10, f. 452 v° Guiart des Moulins traduit L’Histoire scolastique de Pierre le Mangeur sous le titre de Bible historiale. Cette œuvre est une compilation d’histoire religieuse, qui commence au paradis terrestre pour se terminer à l’Ascension du Christ. L’auteur reprend ici l’épisode célèbre de Jonas. La baleine est le symbole du monstre par excellence, à la fois signe divin et animal aux proportions gigantesques. Pline l’Ancien pensait que chaque animal terrestre avait un équivalent sous la mer. Cette idée est reprise par les auteurs médiévaux. Ainsi, cette baleine ressemble au loup qui hante les campagnes. Ses dents sont carnassières et son œil est mauvais. Il est à remarquer cependant que l’enlumineur a cherché à reproduire la baleine puisqu’il a dessiné sur la tête du monstre une sorte de cratère, orifice par lequel le cétacé recrache de l’eau. L’image de Jonas sortant de la gueule du monstre est interprétée comme une préfiguration de la Résurrection du Christ. La serre Il existe une bête que l’on nomme serre, dont le gîte ne se trouve pas sur terre, mais au fond de la vaste mer ; cette bête n’est pas de petite taille, mais au contraire son corps est très volumineux ; elle possède de grandes ailes. Quand elle voit des nefs et des dromons faire voile sur la mer, elle déploie ses ailes au vent, et fait voile de toute la vitesse dont elle est capable en direction du navire. Guillaume le Clerc de Normandie, Bestiaire divin, xiiie siècle Le caladre Oiseau d’une blancheur parfaite, il symbolise le Christ. Il a le pouvoir de prédire la mort d’un malade. Mais : si la maladie n’est pas parmi les mortelles, le caladre regarde le malade et il rassemble en lui-même toutes les infirmités de celui- ci, qui s’envole dans les airs en direction du soleil, et là il brûle toutes les infirmités du malade et les disperse, et c’est ainsi que le malade est guéri. Pierre de Beauvais, Bestiaire, xiiie siècle Le basilic Il est empli de venin à tel point que celui-ci ressort à l’extérieur du corps et brille sur sa peau. ; même sa vue et l’odeur qu’il exhale sont chargées de venin qui se répand aussi bien loin que de près : il en corrompt l’air, et fait crever les arbres ; et le basilic est tel que de son odeur, il tue les oiseaux dans leur envol, et que de sa vue il tue les hommes quand il les regarde. Brunetto Latini, Livre du Trésor, xiiie siècle Un hybride insaisissable : le dragon Son éternuement projette de la lumière, ses yeux ressemblent aux paupières de l’aurore. De sa gueule jaillissent des torches, il s’en échappe des étincelles de feu. Ses naseaux crachent de la fumée, comme un chaudron qui bout sur le feu. Son souffle allumerait des charbons, une flamme sort de sa gueule. Sur son cou est campée la force, et devant lui bondit la violence […] Sur la terre, il n’a point son pareil, il a été fait intrépide. Il regarde en face les plus hautains, il est le roi sur tous les fils de l’orgueil. Livre de Job, XLI, 9 Le mot dragon vient du grec drakôn. Il est employé à Athènes comme nom propre et apparenté au verbe derkesthai qui signifie «regarder fixement». Le mot est passé en français avec le sens d’animal fabuleux au regard fixe. Il symbolisera très vite le démon dans l’iconographie chrétienne (xiie siècle). C’est l’animal le plus impressionnant du bestiaire médiéval, qui le définit souvent comme le plus grand des serpents, comme la «plus grande bête de toute la terre». Animal hybride par excellence, il a inspiré les enlumineurs qui ne parviendront cependant pas à le figer dans une forme fixe et déterminée. Il crache du feu, du froid, de l’acide ou des uploads/Litterature/ bestiaire-5.pdf

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