L’Initiation Traditionnelle - n° 3 de 2020 77 LE VOILE DU TEMPLE DECHIRE par Él

L’Initiation Traditionnelle - n° 3 de 2020 77 LE VOILE DU TEMPLE DECHIRE par Éliphas Lévi Chapitre I Sur l'unité et la raison d'être des dogmes, dont la profondeur est en proportion exacte de leur absurdité apparente Sur la Mythologie Universelle Un jeune homme - ou plutôt un enfant - de haute naissance, mais d'une intelligence plus obtuse que son esprit, fut élevé à la campagne et confié aux soins de trois nourrices. L'une d'elles était blanche, l'autre jaune et la troisième noire. Le garçon, évitant les difficultés de l'étude, ne se L’Initiation Traditionnelle - n° 3 de 2020 78 réjouissait que dans le récit de contes merveilleux et amusants. En essayant de lui enseigner l'histoire, on découvrit qu'il préférait les contes de fées qui, pour lui, étaient beaucoup plus intéressants. La géographie lui paraissait ennuyeuse et incomplète car il ne trouvait pas dans son livre l'endroit exact où se trouve la "Montagne des Miroirs" dont parle "l’Oiseau Bleu". Cependant, comme tous les enfants, c'était un grand questionneur, mais chaque fois qu'une réponse raisonnable était donnée à ses éternels "pourquoi" et "comment", il imaginait invariablement que les gens se moquaient de lui. On lui assurait des professeurs pour son éducation, mais il oubliait immédiatement ce qu'on lui enseignait et ne se souvenait bien que des contes de fées de ses trois nourrices. La nourrice blanche était juive, la noire égyptienne, et la jaune était originaire de l'Inde, où disait-on, elle possédait encore quelques terres sur les rives du Gange. « Et maintenant, nourrices » - dit le garçon, un jour où il n'était pas enclin à jouer - « Je veux que chacune de vous me raconte une histoire pour m'expliquer comment le monde est venu au monde et comment le premier enfant a pu devenir un enfant sans père ni mère ? Dites-moi tout d'abord ce qui s'est passé quand il n'y avait encore rien du tout. Après que vous m'ayez raconté cela, je vous poserai encore beaucoup de questions. » « J'ai entendu » - commença la juive - « A l'époque, quand il n'y avait rien, pas même le temps lui-même ; - parce qu'il n'y avait ni soleil ni lune, ni cadrans solaires, ni horloges, mais uniquement un grand génie, - qui vivait enfermé dans la nuit comme dans un œuf noir, qui ne faisait rien, car il n'avait pas le temps de faire quoi que ce soit, car, comme on l’a déjà dit, il n'y avait pas de temps du tout ; mais il ressentit finalement le désir qu'il y ait quelque chose, il alluma une lumière et puis il y eu le premier jour qui exista avant la naissance du monde. Alors le génie comprit qu'il était doté d'un pouvoir singulier. Il n'avait qu'à prononcer le nom d'une chose qui n'existait pas et bientôt la chose vint à l'existence. Ainsi, il dit : "Lumière", et aussitôt il put voir par elle, et cela lui donna une grande satisfaction après une si longue obscurité. Il dit alors : cieux, terre, soleil, lune, étoiles, plantes, poissons, oiseaux, bêtes, etc. et toutes ces choses commencèrent à exister. Le génie était très satisfait, et une idée lui vint soudain à l'esprit, qui le fit s'arrêter et réfléchir. Il voulait créer quelqu'un comme lui, mais à une échelle plus petite, afin de lui donner des commandements, et de lui faire du bien ou du mal selon sa propre volonté et son propre plaisir. Mais, comme son idée de cette création n'avait pas encore atteint une forme définie, au lieu de se contenter de prononcer le mot, il prit un peu d'argile rouge et en modela L’Initiation Traditionnelle - n° 3 de 2020 79 un corps, tel qu'il aurait voulu lui-même le posséder ; car lui-même n'avait ni corps ni couleur, ni forme ni substance, mais n'était qu'un esprit, c'est- à-dire un souffle. Il souffle donc au visage de cette statue d'argile et dit « Faisons l'homme ». La statue se mit alors à réfléchir, et le génie prit l'apparence de la forme de la statue, chacun des deux communiquant à l'autre quelque chose de sa propre image. Quand le génie se vit ainsi doublé, il eut peur et se mit à imaginer des moyens pour détruire son dangereux ouvrage ; mais il trouva un obstacle, qui était celui-ci : comme l'homme et lui-même étaient devenus le complément, la réalisation et pour ainsi dire l’image de l'un et de l'autre - alors si l'un devait mourir, l'autre devait mourir aussi, et le génie ne pouvait alors revenir à la vie qu’en faisant revivre l'homme. La première chose que le génie jaloux fit pour soumettre son rival, fut de l'affaiblir en le dédoublant, et, ce faisant, de lui donner un reflet néfaste et une image qui serait jalouse de lui. Il l'endormit, lui ouvrit la poitrine, en retira une côte et en fit une femme ; car après avoir fait l'homme, le génie découvrit qu'il ne lui serait plus possible de créer quelque chose à partir de rien, car la raison de l'homme s'y opposait. Le souffle-esprit, que l'homme et la femme appelaient leur Seigneur, se montra alors à eux sous la forme d'un jardinier. Il les avait placés avec quelques autres animaux dans un beau jardin planté d'arbres, et comme il savait bien à l'avance ce qu'ils allaient faire, il leur interdit sous peine de mort de manger du fruit d'un arbre qu'il leur montrait. En ce temps-là, les bêtes étaient douées de parole, et c'est ainsi qu'un serpent conseilla à la femme de voler une pomme au mauvais génie. Non seulement elle le fit, mais elle incita aussi son mari à mordre dans le fruit défendu. Le "Seigneur" qui était tout près, à l'affût, les condamna tous deux, ainsi que tous leurs futurs enfants, à la mort pour les temps à venir, et les chassa du jardin, après leur avoir façonné des pagnes de ses propres mains. Mais au moment où ils partaient, le génie sentit que sa propre image s'éloignait avec eux et qu'il devrait redevenir un souffle informe, à moins qu'il ne consente à mourir pour récupérer ceux qu'il venait de condamner à mort, afin de pouvoir les faire revivre en se faisant revivre lui-même, car il ne pouvait pas rester mort pour toujours. Et c'est précisément pour cela que Monsieur le prêtre récite quotidiennement la messe. Quant à moi, qui ne suis pas chrétienne » - ajouta la juive - « je crois que le Seigneur "Esprit" ou "Souffle" a très bien réussi à se débarrasser de la figure humaine et n'a jamais eu besoin de mourir pour la conserver. C'est pour cela que les chrétiens ont brûlé et tué mes ancêtres pendant plus de mille ans, et c'est tout ce que j'ai à dire. » L’Initiation Traditionnelle - n° 3 de 2020 80 « Cela a certainement dû se passer ainsi, dit l'enfant, car cette histoire est tellement absurde que personne au monde n'aurait pu être assez stupide pour l'inventer. Seules les choses spirituelles sont inventées et seules les choses stupides se produisent dans la réalité. Mon professeur d'histoire m'a dit l'autre jour que presque tous les personnages sublimes de l'histoire ont été inventés. Nous rêvons du règne de Germanicus et nous avons celui de Caligula ; notre idéal est Faust ou Don Juan, et la réalité est un clown. Votre histoire, ma chère nourrice, me rappelle un conte que j'ai lu quand j'étais tout petit. Au lieu d'un jardin, il y avait un beau château, dans lequel se trouvait également un seigneur, avec une barbe bleu ciel. Il n'était pas jaloux de ses pommes, mais il possédait une petite clé, qu'il confia à sa femme, lui interdisant d'en faire usage. Le pommier est appelé, je crois, l'arbre de la connaissance, et la petite clé est la Voie de la science. La femme curieuse s'en servit et fut immédiatement condamnée à mort par son mari ; mais après cette sévère épreuve, elle fut finalement sauvée, et Monsieur Barbe Bleue lui-même dut mourir comme il le méritait. » « Je connais » - dit la nourrice blanche - « une autre histoire, qui est encore plus jolie que la première. Elle s'appelle "La Belle et la Bête". Dans l'intrigue, le fruit défendu n'est ni une pomme ni une clé, mais une rose. Le propriétaire jaloux, le Seigneur, exige que la charmante jeune fille pour laquelle la rose a été cueillie dans son jardin, lui soit sacrifiée. La jeune fille, pour sauver son père, se sacrifie et est enfermée dans un palais majestueux, seule avec l'horrible Bête qui accumule sur elle tant de preuves de sa bonté et de son ardent dévouement, l'aimant quitte à mourir par amour pour elle, que la jeune fille, n'écoutant que la voix de son bon cœur, oublie la répugnance de ses yeux et consent à donner à la Bête sa main, sur quoi la Bête se transforme soudain en un beau prince. » « Ceci » - remarqua la nourrice noire uploads/Litterature/ voile-du-temple-dechire-01-02.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager