INTRODUCTION Accéder à l’écrit dans un système alphabétique implique la mise en

INTRODUCTION Accéder à l’écrit dans un système alphabétique implique la mise en œuvre de la part de l’enfant de plusieurs processus cognitifs conscients, dont la prise de conscience et le contrôle des différents aspects du language: i.e. la conscience linguistique (linguistic awareness). Cette prise de conscience amène progressivement l’enfant à établir les connexions nécessaires entre langage oral et langage écrit et à saisir les spéciPcités de chacun d’eux. Ainsi et du fait de la structure hiérarchique du langage,1 l’apprenti-lecteur doit prendre conscience de: T La décomposabilité des mots en différentes unités phonologiques (e.g. les syllabes et les phonèmes); et témoigner ainsi d’une conscience phonologiqu e (phonological awareness) déPnie comme la “capacité d’identiPer les composants phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler de façon délibérée’’ (Gombert, 1990). T La décomposabilité des phrases en unités signiPcantes, les mots dont l’ordre est régi par un ensemble de règles syntaxiques. Et témoigner ainsi d’une conscience syntaxique (syntactic awareness) déPnie comme la “capacité de raisonner consciemment sur les aspects syntaxiques du langage et de contrôler délibérément l’usage des règles grammaticales’’ (Gombert, 1990). Le rôle déterminant de la prise de conscience et du contrôle de la structure formelle du langage – et plus particulièrement de sa structure phonologique et syntaxique – dans l’apprentissage efPcace de la lecture n’est plus à démontrer (cf. pour une revue de question, Gombert, 1990). Des recherches étudiant simultanément le JOURNAL INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE, 2001, 36 (4), 274–285 Contribution de l’apprentissage précoce d’une deuxième langue au développement de la conscience linguistique et à l’apprentissage de la lecture Elisabeth Demont Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, Université Louis Pasteur, Strasbourg et Centre de Recherche en Psychologie, Cognition et Communication, Université de Haute Bretagne, Rennes La présente étude a pour objectif d’évaluer la conscience linguistique et l’efficience en lecture d’enfants apprentis-lecteurs scolarisés dans un site bilingue (Français-Allemand). Alors que les chercheurs se sont essentiellement intéressés aux effets du bilinguisme sur le développement des habiletés métalinguistiques, nous nous intéressons pour notre part non seulement aux effets de l’apprentissage précoce d’une deuxième langue sur la conscience linguistique mais également aux relations avec l’apprentissage de la lecture. Nous postulons qu’un enfant exposé à l’apprentissage précoce d’une deuxième langue devrait témoigner d’une conscience syntaxique plus développée et dès lors devrait aborder l’apprentissage de l’écrit avec plus de facilité et présenter ainsi une efPcience supérieure en lecture dès les premières étapes de cet apprentissage. Autrement dit, l’apprentissage précoce d’une deuxième langue nous semble ainsi susceptible d’avoir une incidence sur l’apprentissage de la lecture en facilitant la prise de conscience par l’enfant de la structure formelle du langage (et plus particulièrement de sa structure syntaxique). Nos résultats montrent une supériorité des enfants scolarisés depuis l’école maternelle dans un site bilingue: ils obtiennent des performances supérieures à des épreuves de jugement et de correction d’agrammaticalité ainsi qu’à la reconnaissance de mots écrits. The present study aims to validate the effects of second language learning on children’s linguistic awareness. More particu- larly, we examine whether bilingual background improves the ability to manipulate morpho-syntactic structure. We postulate that children who received a precocious learning of two languages (French-German) may develop enhanced awareness and control of syntactic structure since they need an appropriate syntactic repertoire in each language. In return, these children will gain access to the written language with more ease. Our results show an advantage for the children who attended bilingual classes since kindergarten: they were better at grammatical judgement and correction tasks and word recognition. Ó 2001 Union Internationale de Psychologie ScientiPque http://www.tandf.co.uk/journals/pp/00207594.html DOI:10.1080/00207590042000137 Les demandes de tirés-à-part doivent être adressées à Dr Elisabeth Demont, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, Université Louis Pasteur, 12 rue Goethe, 67000 Strasbourg, France. Le courrier électronique peut être envoyé à Elisabeth.Demont@psycho-ulp.u-strasbg.fr. 1 Le langage possède une structure hiérarchique comprenant d’une part, des segments en nombre inPni, de différente taille et dont la signi- Pcation est immédiatement accessible (mots ou phrases) et d’autre part, des segments en nombre limité dépourvus de signiPcation et présentant un degré d’accessibilité moindre (syllables ou phonèmes) pour le jeune enfant orienté jusque-là vers la signiPcation du message. rôle respectif de la conscience phonologique et de la conscience syntaxique (Demont & Gombert, 1996; Gaux & Gombert, 1999; Rego, 1991) montrent que les capacités phonologiques s’avèrent déterminantes dans les capacités à reconnaître les mots écrits en facilitant la compréhension du principe alphabétique; en revanche, les capacités syntaxiques apparaissent pour leur part mobilisées au niveau des capacités de compréhension écrite. Toutefois, la contribution de la conscience syntaxique ne serait pas directe mais se ferait de manière indirecte par l’intermédiaire du recodage phonologique (Nocus & Gombert, 1997; Tunmer & Hoover, 1992). Des études récentes s’intéressant à la contribution du bilinguisme au développement de la conscience linguistique de l’enfant soulignent l’existence d’un bilingual advantage (pour une revue de question, Bialystok, 1991). Cette hypothèse, en opposition avec l’hypothèse du bilingual deDcit (e.g. Palmer, 1972), est étayée par un certain nombre de résultats expérimentaux qui soulignent la supériorité des enfants bilingues à des épreuves métalinguistiques telles que des épreuves de manipulation de la structure phonologique du langage (e.g. Bialystok, 1988; Bialystok & Majumder, 1998; Campbell & Sais, 1995; Rubin & Turner, 1989) ou de sa structure syntaxique (e.g. Ben-Zeev, 1977; Bialystok, 1986; Cromdal, 1999; Cummins, 1978). Ainsi, l’exposition à une deuxième langue semble faciliter l’émergence des compétences métalinguistiques. De fait, l’enfant bilingue immergé dans un environnement linguistique complexe va adopter une attitude plus analytique et se focaliser non seulement sur le sens mais également sur la forme. Cette expérience à analyser et structurer simultanément deux systèmes linguistiques accélérerait ainsi d’une part, l’extraction des règles et structures lingustiques abstraites et d’autre part, la compréhension du caractère arbitraire du signe linguistique. Une des différences essentielles entre l’enfant bilingue et l’enfant monolingue réside ainsi dans l’analyse et le contrôle plus précoces par l’enfant bilingue de ses connaissances linguistiques, notamment de la structure formelle du langage. Autrement dit, les enfants bilingues traitent le langage d’une manière autre et plus avancée que leurs pairs monolingues (Weinreich, 1953). Néanmoins, différentes études échouent à mettre en évidence la supériorité des enfants bilingues à des épreuves métalinguistiques (e.g. Demont, Louvet & Nocus, 2001; Palmer, 1972; Rosenblum & Pinker, 1983). Les auteurs se sont alors interrogés sur les facteurs susceptibles de rendre compte de tels résultats contradictoires et ont proposé de considérer le degré de bilinguisme comme un facteur critique dans la détermination des effets du bilinguisme (Cummins, 1981; Hakuta & Diaz, 1985). Selon Cummins (1981), le facteur essentiel serait le niveau absolu de l’efficience dans les deux langues. Autrement dit, l’apprentissage d’une deuxième langue influencerait positivement le développement cognitif et linguistique de l’enfant lorsque celui-ci a atteint un seuil minimal de compétence dans les deux langues. En revanche, selon Hakuta & Diaz (1985), le facteur essentiel serait le niveau relatif de l’efPcience dans les deux langues. En d’autres mots, le bilinguisme aurait un impact sur l’habileté cognitive et/ou linguistique lorsque la compétence langagière dans la langue seconde atteint un certain seuil tout en restant inférieure à sa compétence dans la première langue. Dès lors, s’intéresser aux effets du bilinguisme nécessite de prendre en considération le niveau de maîtrise de la deuxième langue. Toutefois, d’autres paramètres sont également à considérer, et notamment l’âge d’acquisition. Ce dernier paramètre amène les auteurs à distinguer le bilinguisme précoce simultané (exposition aux deux langues dès la naissance) et le bilinguisme consécutif (apprentissage de la deuxième langue après avoir intégré une première langue). De fait, les langues peuvent être acquises dans des conditions totalement différentes. Elles peuvent être acquises au sein de la famille où les parents parlent chacun une langue en présence de leur enfant ou encore strictement à l’école. Dans ce dernier cadre, différents dispositifs éducatifs ont été mis en place. Ainsi, devançant les prérogatives du Ministère Français de l’Education Nationale encourageant l’enseignement précoce de langue vivante (1995), le Rectorat de l’Académie de Strasbourg a, dès 1972, réintroduit l’enseignement de l’allemand dans le primaire (dans un premier temps, trois hebdomadaires puis treize hebdomadaires). Sont ainsi apparus les sites bilingues à parité horaire (13 heures d’enseignement en français et 13 heures d’enseignement en allemand). La particularité de l’enseignement bilingue est “d’utiliser la langue comme vecteur d’apprentissage pour les activités de l’école maternelle et les disciplines de l’école élémentaire. Autrement dit, il ne s’agit pas simplement d’enseigner une autre langue mais bien de conduire l’enseignement dans cette nouvelle langue de manière à apprendre la langue de manière naturelle et directe’’ (circulaire du Rectorat de Strasbourg, 1994). Deux principes constituent le fondement des sites bilingues. D’une part, le principe de répartition des enseignements en français et en allemand entre deux enseignants, i.e. “un enseignant, une langue’’ (Ronjat, 1913 cité par Hagège, 1996). Ce principe évite les risques de confusion entre les deux langues. D’autre part, le cursus bilingue est fondé sur le principe de précocité et la continuité de l’apprentissage de la deuxième langue. L’enfant accède à un site bilingue dès l’école maternelle, à l’âge de trois ou quatre ans et y effectue autant que possible une uploads/Litterature/ bilinguismo-2.pdf

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