1 LE FRANÇAIS INSTRUMENTAL A L’AUBE DU XXI SIECLE Cristina Casadei Pietraróia (

1 LE FRANÇAIS INSTRUMENTAL A L’AUBE DU XXI SIECLE Cristina Casadei Pietraróia (FFLCH-USP) Parler du français instrumental (FI) à l’aube du XXI siècle, c’est parler des changements, évolutions et adaptations qui ont marqué cette méthodologie, et pour le faire, il nous faut, d’abord, revoir le contexte premier du français instrumental, dans les années 70, époque où une importante pression politique et économique, visant favoriser la coopération scientifique et technique de différents pays avec la France, laisse apparaître une «demande professionnelle de plus en plus soumise à l’internationalisation des échanges et des savoirs » (Holtzer, 2004 :10). Le public adulte et professionnel qui formulait cette demande avait un besoin urgent de nouveaux matériels pour atteindre ses objectifs, ce qui n’était pas faisable avec la méthodologie audio-visuelle de l’époque : « L’enseignement du français dit « français instrumental » se situe dans le domaine général de l’enseignement du français comme langue d´information. C’est l’enseignement du français, langue étrangère, à des étudiants qui sans se spécialiser en français doivent avoir accès, en général dans leur pays, à des documents écrits de caractère informationnel » (Aupecle et Alvarez, 1977, s/p) Ainsi, en s’opposant au français général et en ayant pour orientation la notion de «besoin d’apprentissage», le Français Instrumental, selon Aupecle et Alvarez (1977, s/p), fait les choix méthodologiques suivants : - Réception plutôt que production - L’écrit plutôt que l’oral - Information plutôt que plaisir esthétique - Orientation scientifique plutôt que langue de spécialité - Orientation scientifique dans un sens très large - Compréhension du contenu plutôt que traduction - Niveau post-élémentaire Le support écrit étant la base du travail, l’objectif était de promouvoir la lecture- compréhension de textes de spécialité dans une perspective communicative. Les travaux de Smith (1971) et Goodman (1967) sur la lecture, et les progrès le la linguistique textuelle ont été à la base de cette méthodologie, ainsi que des ouvrages fondamentaux comme Lire : du texte au sens, de Gérard Vigner (1979), Situations d’Ecrit, de Sophie 2 Moirand (1979), et Lecture fonctionnelle des textes de spécialité, de Denis Lheman et alii (1980). Pour ces auteurs, la lecture en langue étrangère demandait une prise en compte de plusieurs éléments : le projet de lecture, les intentions de communication du lecteur, ses connaissances (linguistiques, rhétoriques et encyclopédiques), les paramètres de la situation d’énonciation et tous les indices présents dans et en-dehors d’un texte (titres, sous-titres, images, effets typographiques, déictiques, éléments thématico-référentiels). Lire était bien faire quelque chose, et l’approche globale, fondée sur les stratégies descendantes ou analytiques de lecture, était la base du travail. Le lecteur devait apprendre à poser des questions au texte, à faire des hypothèses sur son contenu, à repérer tous les éléments textuels significatifs et pertinents capables de l’aider dans cette quête qui considérait énormément ses propres connaissances du monde, du sujet traité par le texte et de la lecture elle-même. Ayant pour public des lecteurs formés surtout dans une méthodologie marquée par l’approche ascendante et synthétique de lecture, l’instrumental a réussi à imposer de nouveaux comportements de lecture, beaucoup plus productifs et adaptés au contexte d’apprentissage, car en s’appuyant sur le fait que les apprenants étaient tous des lecteurs dans leur langue maternelle, il mettait en valeur les transferts de compétences et de stratégies. En Amérique Latine, la proximité des langues en contact (français – espagnol ou français – portugais) a favorisé davantage cette méthodologie qui, jouant sur les transparences et similitudes des langues, faisait avancer très vite l’apprenant dans l’apprentissage du français écrit. Ainsi, les cours d’instrumental ont pu être offerts à de vrais débutants, dès le départ, au contraire de ce que suggéraient les auteurs des ouvrages de référence : «Cet enseignement suppose, en général, que le niveau élémentaire est déjà connu, soit par un cours de français traditionnel, soit par un cours Voix et images de France ou autre.» (Aupecle et Alvarez, 1977, s/p) « Pour répondre aux demandes des apprenants, nous avons décidé d’introduire le plus tôt possible dans les cours de français langue étrangère une technique d’approche globale des textes écrits. Dès que les étudiants connaissent la transcription de l’oral (et même si leur déchiffrage est encore approximatif au 3 plan phonétique), on leur propose d’appréhender des textes de presse authentiques. Mais il ne s’agit pas d’un décodage- déchiffrage : on essaie de développer leurs capacités de compréhension globale du sens d’un texte (alors qu’il sont encore incapables d’en comprendre chaque mot et chaque détail.) » (Moirand, 1979:23). Ce “détournement” des bases de la méthodologie ne peut pas être vu, en fait, comme un problème, car la transparence des langues était un vrai raccourci pour l’apprentissage de l’écrit, et l’introduction de textes moins scientifiques ou académiques, comme les publicités et quelques textes de presse, assuraient une progression qui allait de la connaissance première du système de la langue jusqu’à la compréhension globale de textes plus longs. Pour y arriver, la lecture linéaire - mot à mot - était interdite, ainsi que la traduction et le recours à l’oral. En ayant donc pour objectif principal la compréhension écrite, le Français Instrumental a constitué, au moins au Brésil et en Amérique Latine, une méthode à part entière, offerte à de vrais débutants qui, jusqu’aujourd’hui, en général dans deux modules de 60 heures de cours, apprennent à lire en français. Le grand espace de l’instrumental reste encore les universités, où la demande spécifique de lecture de textes en français se fait toujours présente à cause des examens de langue (« proficiência ») qui donnent accès aux master et doctorats. Mais, presque trente ans plus tard, quels ont été l’évolution et les changements de cette méthodologie? En fait, peu de choses a changé dans les bases du Français Instrumental, mais, à notre avis, il s’agit d’un maintien qui satisfait de moins en moins les apprenants, surtout parce que ce sont eux, les apprenants, qui ont le plus changé. Aujourd’hui l’apprenant qui cherche un cours d’instrumental est fondamentalement un autre lecteur. Il demande toujours un apprentissage à très court terme de la lecture en français, mais il n’a plus besoin d’être convaincu que la lecture se fait dans tous les sens, de façon non linéaire, en ayant recours à plusieurs types de stratégies et d’indices. Les étudiants qui arrivent aujourd’hui à un cours d’instrumental sont en contact, depuis longtemps, avec un monde de plus en plus virtuel et rapide. Les ordinateurs, la télématique, la télévision et même la presse exigent de son utilisateur, son spectateur ou son lecteur une attention assez diffuse. On voit et on écoute plusieurs choses à la fois, et on doit les comprendre, au moins superficiellement... Ce sont des lecteurs habitués aux nouvelles technologies et aussi à la présence, en langue maternelle, de différents types de textes (n’oublions pas que les notions d’approche globale, de lecture non linéaire et 4 de stratégie descendante sont arrivées à l’école primaire et secondaire). Comme bien le montre Gérard Vigner, même les manuels scolaires sont aujourd’hui différents : « Les conceptions en matière de mise en page des publications destinées à la jeunesse ont considérablement évolué ces dernières années, qu’il s’agisse de magazines ou de manuels scolaires, comme si la mise en forme de l’information et du savoir à destination de l’enfant/élève obéissait à une logique unique : prédominance de dispositifs éclatés (encadrés multiples) se surimposant sur un texte en colonnes, hétérogènes dans leur nature (images, schémas, textes, statistiques, etc.) avec des sources d’information et des modes d’énonciation très variés, autorisant de la sorte des entrées et des parcours de lecture multiples. (…) Ces modes de représentations du savoir renvoient à des conceptions différentes en matière d’accès au sens et impliquent un comportement de lecture fondé sur des activités cognitives différemment sollicitées. » (Vigner, 1997 :47) Le contact avec les nouvelles technologies et la lecture à l’écran ont aussiprovoqué un changement dans la façon même d’aborder les textes. Comme le dit très bien José Saramago : «Désormais la clé de la culture ne réside pas dans l’expérience et le savoir, mais dans l’aptitude à chercher l’information à travers les multiples canaux et gisements qu’offre Internet.» (1998:26) Patrick Brunet affirme, à son tour, que « l’usage d’Internet favorise le développement d’un mode de pensée par association, superposition, fragmentation qui participe d’une culture nouvelle : celle de la rupture » (Brunet, 2002 : 69) . De même que le lecteur, les études sur la lecture ont, elles aussi, connu des changements: aujourd’hui il ne s’agit plus d’opposer les deux stratégies ou approches de lecture - les ascendantes (celles qui partent du texte pour arriver au sens, en passant par l’assemblage des lettres, des syllabes, des mots et des phrases pour arriver finalement à un sens général du texte) ou descendantes (qui partent, au contraire, d’un sens général que l’on peut avoir sur un texte, pour arriver à sa structure, ses mots et ses éléments de base) - , et c’est la notion d’intégration et de flexibilité entre ces deux types de stratégies qui est préconisée, d’où les dénominations contemporaines d’ approche interactive (Cicurel, 1991) et d’approche mixte uploads/Litterature/ 07-cristina-casadei-pietraroia.pdf

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