OP. CIT. REVUE DES LITTÉRATURES ET DES ARTS « Agrégation 2019 », N° 19, automne

OP. CIT. REVUE DES LITTÉRATURES ET DES ARTS « Agrégation 2019 », N° 19, automne 2018 En ligne : https://revues.univ-pau.fr/opcit/466 © Copyright 2016 CRPHLL UPPA Qu’est￿ce qu’un « effet de scène » ? Éléments de théorie théâtrale et littéraire pour l’analyse des textes Romain Bionda §1 Magie des titres : « Le pouvoir en scène » (l’intitulé, cette année, de la seconde ques- tion de littérature générale et comparée de l’agrégation1) se retourne comme un gant et devient « La scène de pouvoir ». Dans un second retournement, nous voilà déjà à réflé- chir au « pouvoir de la scène », à son effectivité, et à ses usages par le (contre‑)pouvoir. De Shakespeare à Brecht, et peut‑être aussi de Brecht à Shakespeare2, le représenté est à interroger à la lumière de ce que peut la représentation, ou au moins à la lumière de ce qu’on pense qu’elle peut, jadis et aujourd’hui3. L’étude des scènes bénéficie sans au- cun doute d’une réflexion sur les effets que la scène est censée produire : d’une part sur 1Au programme en 2019 : Richard III de Shakespeare, Cinna de Corneille, Boris Godou- nov de Pouchkine et La Résistible Ascension d’ Arturo Ui de Brecht. Voir en ligne : http ://me- dia.devenirenseignant.gouv.fr/file/agregation_externe/12/7/p2019_agreg_ext_lettres_modernes_929127.pdf. 2Nous faisons référence à l’article de Bernard Dort, « Brecht devant Shakespeare » (1965). 3Voir p. ex. l’introduction de Camille Combes‑Laffitte et Matthieu Haumesser dans Philosophie du théâtre, co‑édité avec Nicolas Puyuelo (Haumesser et Combes‑Laffitte 2008 : 7‑91). 1 RÉSUMÉ : Pensé pour servir aux agrégatifs préparant la seconde question de littérature comparée de 2019 (« Le pouvoir en scène »), cet article tente de déterminer ce que peut bien être une « scène », et comment celle ci se manifeste dans les textes. À la faveur d’un large panorama critique des principales propositions théoriques qui ont circulé en France, ces dernières décennies, quant à la lecture des scènes théâtrales et romanesques, il rassemble des éléments de théorie nourrissant l’étude des scènes, dont certaines sont absentes des textes, ou présentes selon des modalités loin d’être évidentes. Au passage sont livrées quelques réflexions sur le fonctionnement opéral des textes et des spectacles. Ce long examen, accompagné de notes abondantes dont la vocation est de servir, en cas de besoin, de rappels utiles, devrait permettre de préciser les différents rapports que nous pouvons toutes et tous entretenir, dans notre lecture, aux scènes et à leurs effets. PLAN DE L’ARTICLE 1. La scène : espace, plateau, séquence 2. L’Illisibilité des scènes 3. Lire les scènes : le spectacle, le texte – et l’œuvre 4. Lire les didascalies 5. Les trois lectures du texte : littéraire, scénique, opératoire 6. L’imagination du lecteur (de théâtre) 7. Effets de scène – ou les fortunes d’une métaphore (en littérature) 8. Répondre à « l’appel du texte » 9. Le pouvoir des scènes Romain Bionda Op. cit., revue des littératures et des arts l’assemblée des spectateurs et auditeurs (ces pièces ont été jouées dans des contextes spé- cifiques), d’autre part sur les lecteurs (elles ont été écrites et mises en livre selon des mo- dalités particulières). Mais est‑ce si simple ? §2 Le but de cet article, qui laisse de côté la question du « pouvoir », est très modeste : nous nous demanderons ce que peut bien être une « scène », et comment celle‑ci se manifeste dans les textes. À partir de la tripartition des « scènes » proposée par De- nis Guénoun (l’espace, la séquence et le plateau), et à la faveur d’un panorama critique des principales propositions théoriques qui ont circulé en France, ces dernières décen- nies, quant à la lecture des scènes théâtrales et romanesques – faisons en effet l’hypothèse, peut‑être hétérodoxe voire provocatrice, mais en réalité peu risquée, qu’une excursion dans les territoires de la littérature nous apprendra quelque chose de la lecture des textes de théâtre ; à partir de cette tripartition et de ce panorama, donc, nous rassemblerons des éléments de théorie nourrissant l’étude des scènes, dont certaines sont absentes des textes, ou présentes selon des modalités loin d’être évidentes4. Au passage, nous livrerons quelques réflexions sur le fonctionnement opéral des textes et des spectacles. Ce long exa- men, accompagné de notes abondantes dont la vocation est de servir, en cas de besoin, de rappels utiles, devrait permettre de préciser les différents rapports que nous pouvons toutes et tous entretenir, dans notre lecture, aux scènes et à leurs effets. La scène : espace, plateau, séquence §3 Malgrél’extraordinairefortunedelanotionde« scène»dansplusieursdomainesde laconnaissance,DenisGuénounposeleconstatsuivantdansPhilosophie de la scène(2010): si étonnant que cela puisse paraître, alors que le drame, le jeu ou l’acteur ont, inéga- lementmais maintenantde façonassez dense,mobilisé l’attentiondes philosophes, la scène reste un concept étrangement peu interrogé. Et pourtant elle a hanté la parole philosophique, servant de schème ou de modèle à bien des dispositifs théo- riques. [...] Cela s’explique : la pensée du théâtre a été longtemps occupée par la réflexion sur le drame et le dramatique, et la dimension scénique, considérée comme accessoire 4Dans un essai intitulé Absence et Présence du texte théâtral, Joseph Danan part du constat que « la scène théâtrale est le lieu où le texte s’absente », pour étudier entre autres les modalités de la « présence » du texte sur scène (Danan 2018 : 7). On pourrait renverser la perspective : la « scène » (au sens où l’entend J. Danan) s’absente dans les textes. Mais cela n’interdit pas, paradoxalement, d’étudier les modalités de sa « présence ». 2 Romain Bionda Op. cit., revue des littératures et des arts ou mineure, n’a émergé devant l’attention théorique que récemment5. §4 Le philosophe – également écrivain, metteur en scène et comédien – propose donc le programme suivant : « considér[er] la scène successivement comme espace, comme séquence, et comme plateau6. » Prenons le temps de comprendre cette tripartition. §5 1.Lascènecomme espace.D’abord,la« convergencecollectivederegardsetd’écoute» « apparaît comme constitutive de l’existence de la scène », si bien que « le théâtre doit être pensé comme la formation d’une assemblée réunie autour d’un vide » ; la scène « se caractérise par la vacuité qui l’institue comme espace », mais dont « le vide [...] est pro- duit par l’assemblée qui s’écarte » : « la scène est un agencement, fabriqué. Pas de scène sans machination. Le vide y est machiné, machinique7. » §6 2. La scène comme plateau. Ce « dégagement d’un vide » est ensuite aussi celui d’un « plan, plat8 ». Ce plan renvoie directement au plateau, à « la réalité matérielle de la scène, son être‑planches », « qui assume la valeur de l’ancienne skénè », tandis que le sol endosse une autre fonction théâtrale : celle de l’orchestra, espace du chœur, du chant et de la danse. La skénè, comme le proskénion devant elle, sont des éléva- tions à partir du sol de l’orchestre. L’espace devant le public n’est pas homogène : il n’y a pas un seul espace de jeu, mais deux, posés dans leur différence [...]. Bien sûr, il peut se trouver des scènes au sol, en particulier devant des gradins. Mais la dif- férence intérieure y reste posée, active. C’est la disjonction entre la fonction décla- matoire, mimétique, agonistique, et la fonction chorale, orchestrique (dansante), chantante : entre l’individualité des protagonistes et la collectivité des choreutes, entre image et adresse, entre action et présence, entre drame et récit – ou entre ce que j’ai appelé ailleurs le profil et la face9. 5Guénoun 2010 : 8. Il renvoie à Esa Kirkkopelto, Le Théâtre de l’expérience. Contributions à la théorie de la scène, Paris, PU de Paris Sorbonne, 2008. 6Guénoun 2010 : 12. 7Guénoun 2010 : 13 et 18 ; l’auteur souligne. 8Guénoun 2010 : 16 et 15. 9Guénoun 2010 : 24 et 23. Dans un article intitulé « La face et le profil » (Actions et Acteurs), D. Gué- noun propose l’idée qu’il existerait « deux dimensions primordiales, et hétérogènes, de l’être en scène » : « une dimension de face, faite d’adresse, éventuellement contractée en présence. Et une dimension de pro- fil,faited’imageéventuellementfictionnée(figurée)commeaction.»End’autresmots:« Surtoutescène, vit une double fonction de phénoménalité (régime de l’apparaître, de la manifestation) et d’agir (ordre du faire, de la praticabilité). Cette bi-dimensionnalité fait le système propre de l’existence scénique. [...] La scène est le lieu d’un phénomène, et d’un acte. D’un apparaître, et d’une praxis. Scène-image, et scène-faire. Il lui faut une face, et un profil. » (Guénoun 2005 : 12, 18 et 22 ; l’auteur souligne.) 3 Romain Bionda Op. cit., revue des littératures et des arts §7 C’est pourquoi la scène peut se comprendre comme « un jeu de planches ajointées au creux de l’assemblée10 ». §8 3. La scène comme séquence. Denis Guénoun ajoute : « pour que, portée par l’or- chestre, y monte la présentation de ce qui arrive ». On peut comprendre alors la migration de la notion de scène, au sens architectural ou scénographique, vers le modèle de « la scène », entité dramaturgique, uni- té ou composant de l’action. C’est‑à‑dire le voyage qui conduit de la scène‑espace (vide où uploads/Litterature/ bionda-effet-de-scene-theorie-2018.pdf

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