LA SOLIDARITÉ Marie-Claude Blais Presses universitaires de Caen | Le Télémaque
LA SOLIDARITÉ Marie-Claude Blais Presses universitaires de Caen | Le Télémaque 2008/1 - n° 33 pages 9 à 24 ISSN 1263-588X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2008-1-page-9.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Blais Marie-Claude, « La solidarité », Le Télémaque, 2008/1 n° 33, p. 9-24. DOI : 10.3917/tele.033.0009 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses universitaires de Caen. © Presses universitaires de Caen. Tous droits réservés pour tous pays. 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Mais c’est avec le “solidarisme” de Léon Bourgeois qu’elle trouve une véritable expression politique pour devenir la doctrine de la Troisième République. Socialiser les hommes, enseigner la solidarité deviennent des objectifs majeurs pour l’école, non sans difficul- tés pédagogiques. Aujourd’hui, la notion rencontre un regain d’intérêt, mais son usage, peu con- trôlé, soulève de nombreux problèmes que Marie-Claude Blais analyse dans sa dernière partie. La « solidarité » est sans cesse invoquée aujourd’hui. Elle a acquis, jusque dans le Traité européen, le statut d’un principe de droit. Mais que veut-elle dire au juste ? S’agit-il d’un sentiment de sympathie qui nous porte à l’entraide, ou bien d’une réalité, celle de l’interdépendance entre tous les hommes, ou encore d’une valeur morale et même d’une obligation ? D’où nous vient cette notion énigmatique qui semble appelée à se substituer au troisième terme de notre devise ? Pour répondre à ces interrogations, le philosophe se fait historien et entreprend d’enquêter sur les conditions d’apparition et d’élaboration de l’idée 1. Il constate très vite que la notion de solidarité traverse tout le XIXe siècle français : elle exprime en effet la difficulté de penser le lien social au sortir de la Révolution. Avant 1789, les individus étaient liés par des appartenances corporatives ou héritées. Ils sont devenus libres et égaux en droit. La solidarité s’est trouvée requise pour penser un problème désormais crucial : qu’est-ce qui peut faire lien entre des individus éman- cipés sans retour ? Issue du droit (l’article 1202 du Code civil de 1804 définit la soli- darité comme « un engagement par lequel les personnes s’obligent les unes pour les autres et chacune pour tous »), elle se répand d’abord dans les milieux progres- sistes de la Restauration, puis dans la philosophie de la République et dans la science sociale naissante, avant de connaître une immense consécration politique autour de 1900. Ce sont ces étapes que je propose de retracer dans ses grands traits, avant d’aborder quelques questions posées par le renouveau contemporain de la notion. 1. M.-C. Blais, La Solidarité. Histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 27/04/2013 16h39. © Presses universitaires de Caen Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 27/04/2013 16h39. © Presses universitaires de Caen 10 Notion Une genèse plurielle Dès 1830, la société française est prise d’effroi devant la dissolution du lien entre les hommes. Sous les effets de la révolution industrielle, l’intérêt de quelques-uns se révèle en contradiction avec l’amélioration du sort du plus grand nombre. Com- ment lutter contre l’atomisme social et la montée d’une division de classes à l’inté- rieur de ce que la Révolution avait pourtant nommé le « corps social » ? Cette image du «corps», avec l’assimilation de la société à un organisme vivant, est déterminante à cette époque. Elle a été diffusée dans les milieux progressistes par Saint-Simon, qui a proposé en 1802 d’étudier la société comme un « corps organisé » dont aucun des organes ne peut vivre indépendamment des autres (la physiologie sociale). Puis- que la solidarité caractérise la vie, il devrait être possible d’appliquer à la société les lois de l’organisme, qui sont des lois d’association. Les idées d’association et de coopération, renforcées pas le développement des sciences de la nature, jouent un rôle immense dans l’émergence de la notion. Elles accompagneront toutes les réfle- xions sur la « science sociale » au cours du siècle. Mais parallèlement, l’idée de solidarité trouve ses assises dans la tradition judéo- chrétienne : « nous sommes tous membres d’un même corps », avait dit saint Paul. Les milieux réformateurs, que l’on ne qualifiait pas encore de socialistes, sont impré- gnés de mysticisme chrétien : angoissés par la disparition des liens religieux et tra- ditionnels et atterrés par l’émergence d’une société individualiste, ils prônent le partage et l’union entre les classes; ils aspirent à l’union universelle du genre humain. La notion de solidarité leur permet de retrouver la vérité des dogmes chrétiens – la communion entre tous les hommes, la rédemption collective – sous des couleurs laïques. C’est un imprimeur saint-simonien, républicain opposé à la monarchie cons- titutionnelle, qui entreprend de donner à l’humanité la religion laïque dont elle a besoin. Pierre Leroux publie en 1840 De l’Humanité, de son principe et de son avenir; où se trouve exposée la vraie définition de la religion. Le livre porte en exergue la cita- tion de saint Paul : « quoique nous soyons plusieurs, nous ne sommes qu’un seul corps en Jésus-Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres ». Il se pro- pose de démontrer la « communion du genre humain, ou, en d’autres termes, la solidarité mutuelle des hommes ». Il dira plus tard avoir emprunté aux légistes le terme de solidarité, pour l’introduire dans la philosophie, « c’est-à-dire dans la reli- gion. J’ai voulu remplacer la Charité du christianisme par la Solidarité humaine ». Il s’agit surtout, nous le savons par un article important écrit sept ans auparavant, d’échapper à la menace des « deux pistolets braqués l’un contre l’autre » que sont l’individualisme des économistes et le collectivisme des socialistes. Il cherche en fait à surmonter un dilemme fatal, qui parcourra aussi toute l’histoire de la notion : comment concilier la liberté de l’individu et la réalité du lien de société ? Son geste est caractéristique : construire un équivalent laïque des anciens con- cepts religieux, en se basant sur l’enseignement des sciences. L’intime coordination des parties d’un organisme mise en évidence par la physiologie peut ainsi prendre Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 27/04/2013 16h39. © Presses universitaires de Caen Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 27/04/2013 16h39. © Presses universitaires de Caen La solidarité 11 Le Télémaque, no 33 – mai 2008 avantageusement la relève de l’union des membres du corps mystique célébrée par saint Paul. Le développement de l’idée de solidarité s’effectuera au carrefour de ces deux processus qui ont présidé à la formation des concepts de la science sociale en général : la transposition séculière des idées religieuses et l’appropriation spécula- tive des idées scientifiques. Des interprétations contradictoires Cette situation de concept-carrefour explique la diversité des interprétations qui pourront en être proposées. Dès ses premières formulations, l’idée admet des ver- sions très différentes et même opposées. Indépendamment de l’inspiration socia- liste sous le signe de laquelle elle a été lancée, elle pourra être revendiquée par les traditionalistes désireux de retrouver les solidarités naturelles et la cohésion spiri- tuelle de l’ancien ordre social. En 1821, Joseph de Maistre, le penseur contre-révo- lutionnaire, évoquait en effet le dogme de la « communion des saints » en lui don- nant le nom de « solidarité ». Certains économistes libéraux s’en empareront pour nommer l’harmonie des intérêts, réputée concilier le travail de chacun et la prospé- rité de tous. Au-delà des conflits apparents, disent-ils, la Providence a voulu l’union entre tous les hommes, comme le montre le besoin qu’ils ont les uns des autres. Laissons faire cette solidarité naturelle, expression du plan divin d’harmonie uni- verselle. C’est dire à uploads/Litterature/ blais-solidarite.pdf
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- Publié le Apv 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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