Formation emploi Revue française de sciences sociales 145 | Janvier-Mars 2019 V

Formation emploi Revue française de sciences sociales 145 | Janvier-Mars 2019 Varia Les trajectoires socialement et spatialement différenciées des étudiants franciliens Socially and spatially distinguished academic trajectories of students in Paris urban area Soziale und räumliche Unterschiede zwischen den Studienwegen in der Ile-de- France Las trayectorias social y espacialmente diferenciadas de los estudiantes de Ile- de-France Leïla Frouillou et Léonard Moulin Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/6845 DOI : 10.4000/formationemploi.6845 ISSN : 2107-0946 Éditeur La Documentation française Édition imprimée Date de publication : 15 avril 2019 Pagination : 7-28 ISSN : 0759-6340 Référence électronique Leïla Frouillou et Léonard Moulin, « Les trajectoires socialement et spatialement différenciées des étudiants franciliens », Formation emploi [En ligne], 145 | Janvier-Mars 2019, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 07 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/6845 ; DOI : https://doi.org/10.4000/formationemploi.6845 © Tous droits réservés N° 145 7 Les trajectoires socialement et spatialement différenciées des étudiants franciliens Leïla Frouillou Maîtresse de conférences en sociologie, à l’université Paris Nanterre, Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris, équipe Genre-Travail-Mobilité Léonard Moulin Économiste, chargé de recherche à l’INED (Institut national d’études démographiques) Résumé n Les trajectoires socialement et spatialement différenciées des étudiants franciliens En croisant un suivi quantitatif (analyse de séquences) et qualitatif (entretiens répétés) d’étudiants en droit et en AES (administration économique et sociale) en région fran- cilienne, cet article montre que les trajectoires universitaires diffèrent selon la dis- cipline et l’établissement d’inscription. La typologie souligne la prépondérance des trajectoires stables (même université). Les trajectoires de sortie du système universitaire se différencient quant à elles selon la discipline et le lieu d’études (Paris/banlieue). Enfin, les trajectoires interuniversitaires, minoritaires, révèlent un « sens du place- ment » étudiant qui contribue à attirer les étudiants les mieux dotés vers les universités les plus favorisées. Mots clés : enseignement superieur, étudiant, cheminement universitair, origine sociale, origine scolaire Abstract n Socially and spatially distinguished academic trajectories of students in Paris urban area Intersecting quantitative analysis by optimal matching (sequencing) with multiple qualitative interviews with students in Law or AES (French academic courses inclu- ding social administration and mainly targeting professional and technological stu- dents) in and around Paris, this article shows how academic courses vary according to fields of study and chosen institutions. Typology emphasizes the prevalence of stable courses (unchanging university), whereas scholar-escaping tracks are mainly explained according to field of study and geography (Paris/suburban area). Lastly, interacade- N° 145 8 mical courses, which are few, disclose a “positioning insight” on behalf of students who tend to appeal to best universities because of their upscale background. Keywords: higher education; student; undergraduate paths; social origin; former schooling Journal of Economic Literature: I 23 Traduction : Auteur.e.s L’Île-de-France compte dix-sept universités1, caractérisées par des logiques concurren- tielles et des complémentarités (Baron & al., 2007), selon un fonctionnement systémique. Celui-ci différencie les établissements selon plusieurs critères (orientation disciplinaire, nombre d’étudiants, poids des cycles d’étude), et notamment en fonction de l’origine sociale et des parcours scolaires. Plusieurs facteurs expliquent ces différenciations de publics : la localisation des établisse- ments dans une agglomération ségrégée et inégalement desservie en transports en commun, les politiques d’établissement ou encore le fonctionnement des systèmes d’affectation à l’entrée en licence 1 (L1). Cet espace universitaire francilien et ses différenciations en termes de publics étudiants peuvent être saisis à partir des trajectoires étudiantes qui dessinent des polarités symbo- liques entre universités. En outre, l’approche longitudinale contribue à déconstruire une lecture normative trop linéaire des parcours universitaires (Bodin, Orange, 2013). Cet article propose de lire de manière dynamique ces différenciations de publics entre uni- versités franciliennes, en considérant les trajectoires d’étudiants inscrits en droit et AES (administration économique et sociale), entre 2007 et 2011. Ces deux filières ont été choi- sies car elles présentent une certaine proximité dans les enseignements, tout en se caracté- risant par des populations étudiantes socialement et scolairement distinctes. L’AES est en effet une filière où les bacheliers professionnels et technologiques sont surreprésentés et qui a été pensée, dès sa création, comme une filière professionnalisante de l’enseignement supé- rieur (Lefeuvre, 2011). Cela permet de tenir compte de la hiérarchie disciplinaire. Dans la perspective de nombreux travaux sur les inégalités sociales dans les trajectoires d’études, autour de la sélection sociale2 opérée par le système scolaire, les décrochages et 1. L’université Paris 9 Dauphine a le statut de Grand Établissement depuis 2004. 2. À l’échelle nationale, « la poursuite d’études longues à l’université est plus le fait de jeunes dont les parents sont cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale : leur part passe de 28 % en cursus licence à 34 % en cursus doctorat. Inversement, alors que les enfants d’ouvriers représentent 13 % des étudiants inscrits à l’université en cursus Licence, leur part est de 5 % en cursus doctorat » (DEPP , 2015, p. 188). Cette sélection est aussi scolaire : les trois quarts des bacheliers technologiques entrés à l’Université en 2008 ne poursuivent plus d’études en 2013, la moitié n’ayant obtenu aucun diplôme. N° 145 9 l. frouillou, l. moulin, pp. 7-27 les réorientations (Bourdieu & Passeron, 1964 ; Bodin &Millet, 2011 ; Sarfati, 2015), notre première hypothèse est que la sélection est plus forte dans les établissements où les publics de L1 sont les plus défavorisés. Cette sélection différentielle serait avant tout sco- laire, comme l’a montré une récente étude sur les étudiants de la filière AES : « Les étudiants les plus dépourvus des prérequis attendus par l’université ont en grande partie disparu [entre la L1 et la L3] » (Nicourd & al., 2013, p. 9). Notre seconde hypothèse est que les étudiants changeant d’université possèdent des carac- téristiques sociales et scolaires qui s’écartent de celles des « sédentaires ». Ces trajectoires interuniversitaires traduiraient un « sens du placement » étudiant (Frouillou, 2015), autre- ment dit un ajustement social et scolaire à la filière et à l’établissement. Pour vérifier ces deux hypothèses, nous croisons une méthode d’appariement optimal iso- lant des types de trajectoires avec une enquête par entretiens auprès d’étudiants. Ces types de trajectoires sont replacés dans les trajectoires familiales et scolaires des enquêtés, pour interroger l’apprentissage des dispositions à s’orienter au fil des cursus. Dans une première partie, nous faisons état des travaux utilisant l’approche longitudinale ou portant sur les universités franciliennes. La deuxième partie présente les données, la méthode, ainsi que les typologies des trajectoires universitaires, construites grâce à l’optimal matching. La troisième partie est quant à elle consacrée aux deux types de trajectoires majo- ritaires : « rester dans la même université » et « sortir du système universitaire ». La qua- trième partie enfin s’intéresse aux trajectoires « interuniversitaires ». 1I « Réintroduire le temps » : une approche par les trajectoires Au croisement de la littérature sur les trajectoires scolaires et sur les universités franci- liennes, cet article interroge les trajectoires étudiantes à l’échelle des établissements univer- sitaires franciliens. Nous retenons le cadre d’analyse bourdieusien pour « saisir la structuration des biographies à la fois comme un effet des structurations longitudinales qui se résument en amont dans ‘l’institu- tion biographique’ et comme le produit agrégé que l’action sociale des individus inscrit, en aval, dans le maintien ou la transformation de ces structures longitudinales » (ibid., p. 20). Cette approche permet d’étudier les « trajectoires étudiantes » comme élément d’analyse des modes de reproduction sociale. Les trajectoires sont définies comme la « série des posi- tions successivement occupées par un même agent (ou un même groupe) dans un espace lui- même en devenir et soumis à d’incessantes transformations. […] Les événements biographiques se définissent comme autant de placements et de déplacements dans l’espace social, c’est-à-dire, plus précisément, dans les différents états successifs de la structure de la distribution des différentes espèces de capital qui sont en jeu dans le champ considéré » (Bourdieu, 1994, p. 88). N° 145 10 Les données longitudinales sont centrales dans l’appréhension et la compréhension des inégalités sociales reproduites par l’institution scolaire car elles sont cumulatives (Duru-Bellat, 2002). Les recherches sur l’enseignement supérieur mobilisent fréquemment l’entrée par les parcours ou les trajectoires pour appréhender les choix de filières, la réussite, le décro- chage et l’insertion professionnelle (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; Borras & al., 2012 ; Cordazzo, 2014 ; Erlich & Verley, 2010 ; Hugrée, 201 ; Nicourd & al., 2011 ; Orange, 2013 ; Truong, 2015). Néanmoins, les recherches s’appuyant sur des cohortes ou des panels d’étudiants sont encore rares. Pourtant, cette approche permet de saisir les temporalités de déclenchement des trajectoires interuniversitaires, les réorientations disciplinaires ou encore les reprises d’études, tout en considérant l’origine sociale et scolaire des étudiants. Le paysage universitaire francilien a fait l’objet de travaux historiques, sociologiques et géographiques mettant en évidence ses héritages symboliques (Girault & al., 2012), son offre de formation et les recrutements étudiants associés (De Berny, 2008 ; Frouillou, op. cit.) et son fonctionnement systémique (Baron & al., 2007 ; Berroir & al., 2005). Ces recherches montrent le caractère d’isolat de celui-ci (les mobilités étu- diantes en font un sous-système), qui en fait un terrain uploads/Litterature/ formationemploi-6845 1 .pdf

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