– 1 – [1] Voir la bibliographie du site de l’ASLE (Association for the Study of

– 1 – [1] Voir la bibliographie du site de l’ASLE (Association for the Study of Literature and the Environment) : www.asle.umn.edu et la revue de cette association ISLE (Interdisciplinary Studies in Literature and the Environment). On pourra également consulter les sous-chapitres européens de cette société savante, notamment l’EASLCE (European Association for the Study of Literature, Culture and Environment) et l’ASLE- UK. Certains préfèrent à « ecocriticism » les termes « studies of literature and the environment » (« études sur les relations entre la littérature et l’environnement ») ou « green studies » (« études vertes » ; voir par exemple L. Coupe (dir.), The green studies reader: From romanticism to ecocriticism, Routledge, Londres & New York, 2000). [2] C. Glotfelty et H. Fromm (dir.), The ecocriticism reader, Univ. of Georgia Press, Athènes & Londres, 1996. Nathalie Blanc est chargée de recherche au CNRS. Spécialisée dans les questions d’environnement et d’esthétique, elle a notamment dirigé avec Jacques Lolive le numéro de Cosmopolitiques intitulé « Esthétique et espace public » (éditions Apogée/ Cosmopolitiques, Paris, 2007). Elle est co-responsable du programme de recherche international « Environnement, engagement esthétique et espace public ». Thomas Pughe est professeur de littérature des pays anglophones à l’université d’Orléans. Son domaine de recherche est la littérature contemporaine et notamment les relations entre littérature et environnement. Denis Chartier est géographe, maître de conférences à l’université d’Orléans. Littérature & écologie : vers une écopoétique Nathalie Blanc, Thomas Pughe et Denis Chartier Les articles réunis dans ce dossier s’interrogent sur les liens entre conscience environnementale et esthétique littéraire. Il ne s’agit pas uniquement de présenter des fictions mettant en scène des programmes écologiques ou incitant à l’action – même si certains des écrivains abordés dans ces pages rapprochent l’imagination créative et l’action politique – mais, plus généralement, de considérer l’écriture et la forme même des textes comme une incitation à faire évoluer la pensée écologique, voire comme une expression de cette pensée. En quoi l’esthétique littéraire est-elle une éco-logie ? Plus généralement, assiste-t-on, dans les œuvres considérées ici, à une réinscription écolo­ gique de la nature dans l’art et, par conséquent, à une réinscription de l’art dans la nature ? Pour répondre à ces problématiques, nous traiterons d’abord la question d’une approche écologique ou environnementale de la littéra­ ture. En effet, notre réflexion s’inscrit très généralement dans un mou­ vement de critique littéraire et d’études culturelles (cultural studies) appelé « écocritique » (ecocriticism) et qui a pris son essor à partir des années 1990 [1], notamment dans le monde anglophone (États- Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie). Si les étiquettes importent peu – tous les contributeurs à ce dossier ne se reconnaîtront peut-être pas dans cette mouvance –, il n’est cependant pas inutile de rappeler ici certains thèmes fondamentaux de l’écocritique. Ces premiers élé­ ments nous conduiront à poser les enjeux d’une esthétique littéraire et artistique environnementale. Nous affirmerons ainsi la pertinence de l’esthétique dans le débat et dans l’action politique tout en apportant quelques éléments de réflexion à la question de l’esthétique littéraire comme éco-logie. L’écocritique : écrire pour un monde en danger ? Dans l’introduction au recueil The ecocriticism reader [2], souvent considéré comme l’un des textes fondateurs du mouvement, – 2 – Littérature & écologie. Vers une écopoétique [3] C. Glotfelty, « Introduction: Literary studies in an age of environmental crisis », in ibid., p XVIII. Notre traduction. [4] L. Buell, Writing for an endangered world: Literature, culture, and environment in the U.S. and beyond, Harvard Univ. Press, Cambridge, 2001. [5] G. Garrard, Ecocriticism (New critical idiom), Routledge, Londres, 2004. [6] C’est le titre d’une étude de J. Bate : Romantic ecology: Wordsworth and the environmental tradition, Routledge, Londres, 1991. [7] Voir aussi les recueils de textes littéraires « engagés » dans la lutte pour la protection de l’environnement, par exemple : N. Astley (dir.), Earth shattering: Ecopoems, Bloodaxe, Highgreen, 2007. [8] Voir l’étude de L. Buell, The environmental imagination: Thoreau, nature writing, and the formation of american culture, Harvard Univ. Press, Cambridge, 1995. [9] Voir à ce sujet D. Phillips, The truth of ecology: Nature, culture, and literature in America, Oxford Univ. Press, Oxford & New York, 2003 (notamment p. 135-239). Cheryll Glotfelty propose une définition large : « Qu’est ce que l’éco­ critique ? Dit simplement, l’écocritique est l’étude du rapport entre la littérature et l’environnement naturel. Tout comme la critique fémi­ niste examine le langage et la littérature d’une perspective consciente du genre [« gender »], tout comme la critique marxiste apporte une conscience des rapports de classe et des modes de production à sa lecture des textes, l’écocritique amène une approche centrée sur la Terre aux études littéraires [3]. » Comme le montre le rapprochement avec le féminisme et le marxisme, il s’agit ici, dans un premier temps, d’une façon de lire ou, plutôt, de relire les textes littéraires d’un point de vue particulier, celui de l’environnement, et ainsi d’en bousculer la réception convenue. Writing for an endangered world : ainsi s’intitule l’une des études de Lawrence Buell [4], mais la formule « reading for an endangered world » semble aussi appropriée pour décrire le projet d’une écocritique (on reviendra plus loin sur la question de l’écriture). Si la définition proposée plus haut peut sembler quelque peu simpliste, elle a néanmoins l’avantage d’englober une grande diversité d’appro­ ches ou de (re)lectures, diversité également réclamée par Greg Garrard dans son introduction à l’écocritique [5]. Ainsi, les différents chapitres de cette étude sont intitulés : « Pollutions », « Positions », « Pasto­ ral », « Wilderness », « Apocalypse », « Dwelling », « Animals », « The Earth ». Cette liste de thèmes et de concepts abordés est aussi le reflet de la préférence parmi les écocritiques pour certaines périodes et certains genres de la création littéraire, notamment les textes qui s’inscrivent dans la tradition romantique (certains parlent d’« écologie romantique [6] » ; voir à ce sujet l’article de François Specq dans ce dos­ sier) ou ceux qui prolongent la tradition de l’essai d’histoire naturelle, genre qui, dans les pays anglo-saxons, constitue un élément reconnu de l’histoire littéraire et culturelle (nature writing [7]). Certains écocri­ tiques (Lawrence Buell par exemple) privilégient nettement ces genres non fictionnels qui leur semblent plus représentatifs de l’« imagination environnementale » (environmental imagination [8]) des écrivains, mais risquent ainsi de réduire le projet écocritique à un corpus de textes bien circonscrits et par conséquent de le ghettoïser [9]. Comme le suggè­ rent, de façon très différente, les articles d’Ursula Heise et de François Gavillon, c’est l’un des débats les plus vifs dans ce domaine de la cri­ tique littéraire, précisément parce qu’elle entend le concept de critique dans le sens large du terme (esthétique, politique ou philosophique). En effet, à partir de la définition générale donnée plus haut, l’écocritique a tendance à évoluer selon deux axes distincts (mais souvent liées entre eux) : un axe politique et un axe poétologique. Le premier fait rentrer la littérature dans l’ère du soupçon écologi­ – 3 – Littérature & écologie. Vers une écopoétique [10] L. Buell, op. cit. et A. Suberchicot, Littérature américaine et écologie, L’Harmattan, Paris, 2002. [11] T. Gifford, Pastoral (The new critical idiom), Routledge, Londres, 1999. [12] L. Buell, op. cit., 1995, p. 6-8 ; les critères de Gifford sont sensiblement les mêmes (voir T. Gifford, op. cit., p. 152). que. En effet, les modes traditionnels d’évocation de la nature, telles que la pastorale et la personnification (prosopopée, anthropomorphisme), sont révélateurs des idées que les hommes se font de la nature ; de ce fait, et au moins depuis la période romantique, ces modes jouent un rôle ambigu dans l’esthétique littéraire. Tout retour à la nature, toute iden­ tification avec elle revient en quelque sorte à un acte d’acculturation ou d’exploitation métaphorique qui rappelle les polarités entre nature et culture, ou animal et homme, sur lesquelles se fondent les civilisa­ tions modernes. Peut-on écrire la nature sans en même temps inscrire en creux la domination humaine qui s’exerce sur elle ? Cette question est au cœur du nature writing essay, écriture hybride entre histoire naturelle, autobiographie, philosophie et fiction, et qui, en Amérique du Nord, a évolué pour donner naissance à un genre à part entière. Les auteurs principaux qui pratiquent ce genre, Henry David Thoreau, bien sûr, mais aussi John Muir, William Burroughs, Mary Austin, Rachel Carson, Aldo Leopold, Edward Abbey, Barry Lopez, Annie Dillard, Rick Bass, David Quammen et bien d’autres encore font désormais par­ tie du canon littéraire. En témoigne l’étude très influente de Lawrence Buell, The environmental imagination. Thoreau, nature writing, and the formation of american culture (le sous-titre est révélateur) ou celle d’Alain Suberchicot, Littérature américaine et écologie [10]. Cette tra­ dition du nature writing, par son souci constitutif d’une représentation non anthropocentrique de la nature, a eu, comme le montrent Buell et Suberchicot, une influence non négligeable sur l’émergence de la mou­ vance écocritique. Elle alimente notamment l’axe politique du soupçon envers l’esthé­ tique littéraire et amène, comme d’ailleurs le marxisme ou uploads/Litterature/ blanc-pughe-charthier-litterature-et-ecologie-vers-une-ecopoetique-pdf.pdf

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