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Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 2010 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 4 mars 2022 09:35 Philosophiques Ernst Bloch et les Juifs. Autour d’une traduction récente Étude critique de : Ernst Bloch, « Symbole : les Juifs » : Un chapitre “oublié” de L’Esprit de l’utopie (1918), Paris, Éditions de l’Éclat (collection « Philosophie imaginaire »), 2009, 175 p. Lucien Pelletier Albert Lautman, philosophe des mathématiques Volume 37, numéro 1, printemps 2010 URI : https://id.erudit.org/iderudit/039724ar DOI : https://doi.org/10.7202/039724ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Société de philosophie du Québec ISSN 0316-2923 (imprimé) 1492-1391 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pelletier, L. (2010). Ernst Bloch et les Juifs. Autour d’une traduction récente / Étude critique de : Ernst Bloch, « Symbole : les Juifs » : Un chapitre “oublié” de L’Esprit de l’utopie (1918), Paris, Éditions de l’Éclat (collection « Philosophie imaginaire »), 2009, 175 p. Philosophiques, 37(1), 219–236. https://doi.org/10.7202/039724ar PHILOSOPHIQUES 37/1 — Printemps 2010, p. 219-236 Ernst Bloch et les Juifs. Autour d’une traduction récente Étude critique de : Ernst Bloch, « Symbole : les Juifs » : Un chapitre “oublié” de L’Esprit de l’utopie (1918), Paris, Éditions de l’Éclat (collection « Philosophie imaginaire »), 2009, 175 p. LUCIEN PELLETIER lpelletier@usudbury.ca Le premier livre d’Ernst Bloch, Geist der Utopie (« Esprit de l’utopie »), a connu trois versions : la première, rédigée d’avril 1915 à mai 1917, parut en 19181. La deuxième date de 1923 : sans modifi er la doctrine, Bloch refond complètement l’ouvrage, écartant plusieurs textes circonstanciés (la plupart de ces textes furent repris avec d’autres essais dans le petit recueil de 1923 Durch die Wüste2, « À travers le désert ») de manière, dit-il, à donner au texte une forme systématique qui faisait défaut dans la première version3. La troisième version, parue chez Suhrkamp en 1964 comme tome 3 des Œuvres complètes, supprime certains passages de l’édition précédente et en récrit d’autres ; la plupart de ces corrections, précise l’auteur, étaient prêtes dès la fi n des années 19204. C’est évidemment cette ultime version qui a été tra- duite en français en 1977. L’Esprit de l’utopie n’a connu à ce jour aucune édition critique, et il est diffi cile de prendre la mesure exacte des modifi ca- tions effectuées d’une version à l’autre. Raphaël Lellouche donne au public francophone un accès à deux courts textes de la première version de L’Esprit de l’utopie qu’on ne retrouve pas dans la version finale : il s’agit de « Symbole : les Juifs », suivi de « À propos de la théorie de la connaissance motrice-fantasmatique de cette proclamation », textes qui couvrent respectivement les pages 319-332 et 332-342 de l’édition originale. Dans le livre préparé par Lellouche, les textes de Bloch comptent pour moins du cinquième : c’est qu’ils sont précédés d’une longue présentation dans laquelle le traducteur explique leur intérêt à 1. Ernst Bloch, Geist der Utopie, Munich/Leipzig, Duncker & Humblot, 1918. Cette édition a été reprise par Bloch en fac-similé comme tome 16 de ses Œuvres complètes (Franc- fort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1971). 2. Ernst Bloch, Durch die Wüste : kritische Essays, Berlin, Cassirer, 1923. 3. Ernst Bloch, Geist der Utopie, Berlin, Cassirer, 1923 ; voir la note éditoriale de l’auteur à la page [iii]. 4. Ernst Bloch, Geist der Utopie : bearbeitete Neuaufl age der zweiten Fassung von 1923, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1964 (voir la note éditoriale de l’auteur à la page 347 ; trad. française : L’Esprit de l’utopie : version de 1923 revue et modifi ée, trad. par Anne-Marie Lang et Catherine Piron-Audard, Paris, Gallimard, 1977, p. 335). 220 • Philosophiques / Printemps 2010 ses yeux. Nous reviendrons plus loin sur cette présentation. Pour l’instant, il importe de signaler que Lellouche ne se soucie pas de situer ces textes par rapport à l’ensemble dont il les extrait. Or une saine interprétation exige de comprendre les parties en regard du tout ; cette tâche s’impose d’autant plus, dans le cas de L’Esprit de l’utopie, que le texte explose à chaque page en gerbes d’étincelles et qu’il est diffi cile d’y discerner les idées centrales si on n’est pas attentif à la trajectoire d’ensemble. Aussi est-ce à cet exercice que nous allons d’abord nous livrer avant de commenter plus avant l’interpréta- tion de Lellouche. Les textes traduits sont extraits de la cinquième partie de L’Esprit de l’utopie, intitulée « Sur l’atmosphère idéologique de ce temps », qui se veut tout d’abord une critique salvatrice des principaux courants philosophiques contemporains. Ce développement culmine dans un parallèle établi entre Kant et Hegel, érigés en fi gures emblématiques de toute la pensée allemande contemporaine, et dont Bloch cherche à montrer les vérités complémen- taires. Enfi n, la dernière section, « Décision, programme et problème », où se situent nos deux textes, élargit la perspective en se faisant critique culturelle. Bloch y porte d’abord un jugement sur l’idéologie allemande contempo- raine, marquée par un militarisme prussien qui a conduit à la catastrophe de la Grande Guerre : « Cela ne peut plus continuer ainsi5 », cherche-t-il à mon- trer, et c’est en ce sens qu’il peut parler d’une « décision » (Beschluss, au sens d’une décision qui clôt une délibération). Le « programme » est celui d’un renouveau de l’Allemagne à partir de ses sources spéculatives authentiques, celles [d’] une autre Allemagne, non encore apparue dans l’histoire — Karl Marx, le socialisme comme science, la vieille philosophie allemande, tous ces livres qui hier, à la frontière russe, tombaient immanquablement aux mains de la cen- sure, le système de la liberté organisée, ces livres donnés aux prétoriens qui aujourd’hui, dans la révolution russe, établissent pour la première fois le Christ comme empereur6. Le programme est donc, pour partie, celui d’une synthèse de la Russie et de l’Allemagne, c’est-à-dire, au fond, d’une réappropriation par l’Alle- magne des fruits révolutionnaires et socialistes de sa propre pensée. À ce point, Bloch introduit un long excursus intitulé « La marche d’Alexandre7 », qui présente les linéaments d’une véritable philosophie de l’histoire univer- selle au sein de laquelle il cherche plus particulièrement à situer le destin allemand ; assurément, ce développement n’a valeur d’excursus qu’eu égard à la visée d’actualité du chapitre qui l’inclut, car il introduit par ailleurs des 5. Geist der Utopie (1918), p. 295. 6. Ibid., p. 298-299. 7. Ibid., p. 304-319. La deuxième édition remanie considérablement ce texte (p. 199- 211) ; la troisième reprend pour l’essentiel cette dernière version tout en l’abrégeant (p. 212- 218 ; trad. fr. : p. 206-212). Ernst Bloch et les Juifs • 221 éléments essentiels à la progression générale du livre. La marche d’Alexandre symbolise ici l’attrait immémorial éprouvé par la culture européenne pour l’Orient et sa profondeur mystique. Si l’Occident se caractérise par l’action, ce qu’il recherche confusément à travers la succession de ses époques est la quiétude orientale, l’arrivée à un terme utopique encore insaisissable, sis aussi dans sa propre intériorité. En ce sens, Occident et Orient se complè- tent : « Alexandre avait autant besoin de l’Asie que, à l’inverse, Isaïe et Paul sont éminemment européens et visaient l’Europe, cette terre animée d’un esprit luciférien, ce soubassement, ce noyau subjectif de l’Asie, dont la subs- tance constitue non pas un attribut mais un problème8 ». Le programme dessiné par Bloch, particulièrement pour l’Allemagne en tant que culture éminemment spéculative, consiste donc en la saisie pratique de l’énigme, du « problème » que l’humanité représente pour elle-même. Ce thème de l’inco- gnito du sujet humain sera développé dans la sixième partie de L’Esprit de l’utopie, sur « la forme de la question inconstructible », où Bloch introduira le motif fondamental de son œuvre : l’énigme de l’existant, manifestée chez le sujet dans l’obscurité de l’instant vécu et dans le non-encore-conscient en tant qu’amorce d’une élucidation. Mais auparavant, Bloch termine la cinquième section avec les deux textes qui intéressent Lellouche. Le premier, « Symbole : les Juifs », est un petit essai autonome dont la composition remonte aux années 1912-19139. Pourquoi « symbole » ? Le texte lui-même ne s’explique pas sur le sens de ce terme, et il faut se rabattre sur des écrits ultérieurs de l’auteur pour le com- prendre : les symboles, dira Bloch, ont une valeur proprement religieuse d’index d’une unité de sens au sein du multiple singulier ; ils sont axés « sur l’Unum necessarium d’un aboutissement10 ». Si le peuple juif constitue un symbole, c’est par la force de transcendance qu’il incarne : « l’histoire d’aucun peuple n’a, à l’égal de la sienne, eu simplement besoin d’être rédigée pour apparaître comme histoire sacrée et comme anthropogénie uploads/Litterature/ bloch-et-les-juifs-le-chapitre-oublie.pdf
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- Publié le Sep 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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