REVUE LITTÉRAIRE N° 9 Novembre 1917 UN NUMÉRO MAX JACOB Les mots en liberté. Th

REVUE LITTÉRAIRE N° 9 Novembre 1917 UN NUMÉRO MAX JACOB Les mots en liberté. Thème de la probité et de la foi. GUILLAUME APOLLINAIRE. Le vigneron champenois. LÉONARD PIEUX Rapport n° 11. VINCENT HUIDOBRO Poème. PIERRE REVERDY.. Drame. PHILIPPE SOUPAULT-.... Souffrance. PAUL DERMÉE Radiateur. ROCH GRE Y Chambre 19. 7 LIVRES PAR MOIS 0 fr. 60 2 LIVRES On m'a dit beaucoup de bien de tous les livres que je ne connais pas. Mais les ouvrages dontonn'a que du bien à dire ne sont pas les seuls intéressants. Or Monsieur Biaise Cendrars a fait un nouveau livre que Monsieur Zaragaa fidèlement illustré. C'est dire que le texte et les illustrations concordent. Le poète François Bernouard a présenté cette plaquette avec le goût particulier qu'il a apporté dans l'édition du livre. On y retrouve ses remarquables efforts. D'autres évoqueraient ici de très grands noms pour ne rien dire. Nous avions préféré dire beaucoup de choses que le manque de place nous a fait supprimer. Il nous en reste assez cependant pour proclamer une fois de plus qu il faut être absolument moderne !! Il faut chaque fois qu'on ouvre un livre déposer sa mémoire dans le globeoù le garçon de café dépose ses serviettes. Il faut regarderies machines et les brancards, les rails et les fils qui poussent du feu. Ce sont des veines. Il faut regarder, non plus avec des yeux mais avec des phares, et s'apercevoir enfin que notre cerveau est une dynamo adaptée à une machine à écrire. Entrer dans une imprimerie, se tromper et, en remettant son chapeau, îecouvrir la linotype. La rue alors nous accordera ses regards et nous pourrons marcher, sans mépris, ailleurs que sur les arbres. PROFOND AUJOURD'HUI est une œuvre caracténs- tique du talent de Monsieur Biaise Cendrars. Monsieur Philippe Soupault collabore aux efforts de poésie qu'il est louable de,tenter à notre époque. Comme ils concordent avec les nôtres ils nous sont, très naturellement, sympathiques. Et comme nous sommes à une époque où l'on va vite, où tout se précipite, Philippe Soupault a déjà réuni ses poèmes en une plaquette. Que cette hâte soit bonne ou mauvaise nous n avons pas le temps de le dire. Si elle est bonne il s'en félicitera ; du contraire lui viendrait l'obligation de racheter l'imperfection de cette œuvre de début qui l'eût moins obsédé, les parties en étant simplement dispersées dans quelques revues dont les numéros dispa- raissent et peu à peu s'oublient. , . , Mais, pour nous, AQUARIUM est un bon début. Une grande simplicité d'expression y préside, une plus grande pureté de moyens y est encore souhaitable. L'auteur les perfectionnera, les fortifiera, les augmentera comme chacun, et j'ai déjàludelui quelques poèmes qui jecrois,dépassentceux de son livre. Je devais à propos de ce recueil m'étendre en généralisant sur tous les efforts à constater en ce moment et leur qualité, mais j'ai dû borner mon dessein au cadre de cette chronique. Et j'aurais à dire aussi quelque autre chose Monsieur Jean Paulhana écritle GUERRIER APPLIQUÉ. Et c'est lui- même.Un livre plein de qualités séduisantes. Les mêmes, sans doute,dontl auteur est personnellement,doué.Une psychologie pénétranteet fine fournit a Monsieur Paulhan des éléments d'observation qui donnent à son œuvre une solidité sans lourdeur. D'autre part il la soutient par des moyens poétiques très sûrs. Enfin 1 auteur sait bien éviter la description détestable et un certain mystère se dégage de cette œuvre dont le sujet surgit seulement après avoir fermé le livre et pris le « recul » littéraire, nécessaire à la possession d'ensemble, d'une œuvre dont les détails ne sont plus que des éléments très largement traités. SPIRALES poèmes de Paul Dermée vient de paraître. LES MOTS EN LIBERTÉ Les œuvres littéraires ont manqué l'un ou l'autre de leurs buts quand ils étaient à la fois le moral et le vrai car leurs auteurs se trou- vaient dans l'alternative de dire le vrai qui est rarement le bon, ou le bon aux dépens du vrai. La licence des tableaux dans Machine Bovary effaroucha les tribunaux, le dénouement qui récompense le mauvais l'eût dû faire davantage. Dans l'imputation aux naturalistes du pessi- misme d'une génération et de nombreux suicides, c'est moins leur tempérament de peintre qui se trouve engagé que les accents prêcheurs qu'ils croyaient leurs forces et qui gâtaient leurs œuvres et la société. Un artiste véritable malgré ses hésitations préfère la beauté à l'utilité sociale et ne les sert pas toutes les deux : renonçons à l'action pour ne l'avoir pas déplorable. Au théâtre la rivalité entre la logique des œuvres et celle des auteurs est nette: la thèse et l'intrigue s'entretuent : la nécessité du dénouement est celle d'un mariage superbe pour les filles- mères et les statues ne s'animent plus pour arrêter les don Juan : l'au- teur ni la morale ne sont satisfaits, et le public n'est ni enseigné ni ravi. Pourtant une idée centrale donne de la chaleur à l'exécution, disent les critiques, de la légèreté dans les résultats, de la cohésion dans l'ensemble. Alors Zola est supérieur à Balzac (et ceci est faux) et Balzac à Racine (ceci est absurde). L'idée est inutile, non les idées. A propos d'esthétique Voltaire parle d'un jet d'eau plus pressé et plus haut. Nietzsche exprime cette pensée séculaire : l'artiste danse dans les chaînes. Le goût moderne de l'idée centrale est celui de l'unité pour une époque décadente : c'est l'accom- modement du roman bien ou malfaisant avec les souvenirs classiques. Nier que l'art est un choix, c'est le faire de l'évidence : les impressionnistes le firent et les « mots en liberté » ne reculent pas devant leur mort. (Obscurité et incohérence apparentes ne m'effraient pas, mais les réelles: ce n'est que par des lois sévères qu'on se sépare du charlatanisme). L'ex- périence du xixe siècle prouve que sa théorie de l'idée-mère n'est ni nécessaire ni suffisante, mais seulement parce qu'elle est embryonnaire: on a couru vers l'opposé seulement parce qu'on l'ignorait. Elle n'est pas un excès d'unité elle en est le défaut. Le but de l'art est l'émotion artistique ; la constitution des moyens la donne. Ce qui n'est pas les moyens, leur gradation, leurs répits, 4 leurs cadres embarrasse et affaiblit. Le maximum d'effet est le maximum de volonté dans le choix des idées artistiques qui ne sont point celles des philosophes. Se complaire aux beautés inutiles, c'est gâter un enfant par amour. Les faiblesses devant l'inspiration sont les faiblesses de l'œuvre devant le lecteur. Les obligations de l'art sont celles que l'auteur s'impose à l'ordre de sa propre logique. La volonté est l'essence de l'art, les moyens sont la forme 'qu'elle prend, l'idée, les idées, même les « mots en liberté » peuvent être de ceux-ci. Les partisans du désordre romantique ne nous arrêtent pas avec les noms de la gloire : les qualités qui la leur valurent sont les classiques, le style est une tradition française que Victor Hugo représente avec force. Deux qualités qui assurent l'éternité à un ouvrage le font aux comédies de Musset : création et situation. Une œuvre se crée quand chacune des parties le fait de l'ensemble que les mots y paraissent ou non en liberté. Elle est située quand tous ses mouvements qu'ils ressemblent ou non à ceux de la terre se passent ailleurs, les poèmes de Mallarmé sont situés, ceux de Guillaume Apollinaire magnifiquement inspirés le sont toujours, non pas ceux de ses imitateurs. Le créé se reconnaît à la nécessité des parties, le situe à la vie dans la généralité, et, pour les gens de goût, au halo sensible qui entoure l'œuvre. L'utilité des composantes* est caractéristique des organismes vivants ou durables et la durée l'est d'une œuvre d'art. Les charmes passent avec les modes et ne reviennent qu'avec elles. Le bavardage néologique de Jules Laforgue, exquis en 1880, est insuppor- table aujourd'hui. Les compositions du poète Henri Heine ont des admirateurs que ne trouvent plus les digressions du voyageur. Les mots « si spécieux et si doux » de V erlaine ne sont déjà plus tels tandis que vit l'esprit de La Fontaine qui n'y sacrifiait pas. «Les œuvres écrites vivront » a-t-on dit, or le style c'est la nécessité des mots. Il est à craindre que les partisans des mots en liberté n'abusent pour les leurs de celle que leur théorie autorise. Soyons libres vis-à-vis du lecteur non vis-à-vis de nous-même. Châtions-nous si nous ne voulons l'être par d'autres. Sacrifions nos dons si nous ne voulons pas qu'on le fasse de nos œuvres. L'esthétique est la philosophie du beau ; dans un discours qui traite de la première, qu'on ne s'étonne pas des termes de la seconde. Aller en esprit au lieu géographique et surnaturel voulu par un créateur, en revenir c'est une joie de l'esprit et proprement le mouvement qui donne 5 le plaisir artistique. Tel n'est pas celui des comparaisons réalistes qui ne satisfont qu'un amour-propre qui voudrait s'égaler à l'auteur. Le pathétique tire les larmes, la réalité le fait mieux. L'art est indispensable à l'homme, les jeux uploads/Litterature/ bmtnaaw-1917-11-01.pdf

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