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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article André-Patient Bokiba Études littéraires, vol. 24, n° 2, 1991, p. 77-97. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/500969ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 9 February 2010 « Le discours préfaciel :instance de légitimation littéraire » f^^^Hv^i^^^H^^ LE DISCOURS PREFACIEL INSTANCE DE LÉGITIMATION LITTÉRAIRE André Patient Bokiba • Un des mérites de la sociologie de la créa- tion intellectuelle et artistique, promue de- puis les années soixante par Pierre Bourdieu, est d'avoir mis à nu le réseau complexe de connexions et d'interactions à partir duquel s'élabore la légitimité des biens intellectuels, culturels et esthétiques. Une des conséquen- ces — et non la moindre — de cette démarche dans son application à la littérature est que l'identité et la valeur du fait littéraire ne se dégagent pas de propriétés objectives inter- nes, mais dépendent intimement d'une régulation extérieure, de telle sorte que tout discours sur le littéraire porte sur un objet longuement prétraité, prédéterminé et préconstruit. Claude Lafarge, un disciple de Pierre Bourdieu, défi- nit ainsi ce préconditionnement à partir d'un accréditement et d'une codification externes : « La littérature est d'abord un objet perçu qui se forme sur la perception qu'on en a pour réaliser une définition particulière de l'art lit- téraire » (p. 14). Parmi les multiples stratégies et procédures de reconnaissance qui traversent, régentent et délimitent le champ littéraire, nous avons choisi d'examiner le discours préfaciel dans sa singu- larité paratextuelle d'institution de l'œuvre littéraire. Notre corpus rassemble des préfa- ces allographes qui présentent la particularité de concerner, soit comme destinateur, soit comme objet, c'est-à-dire comme préfacier ou comme préfacé, l'écrivain négro-africain fran- cophone dont le vécu littéraire marqué par force ambiguïtés et vicissitudes a été analysé dans plus d'un ouvrage. Au point de vue méthodologique et conceptuel, notre réflexion s'inspire des travaux de Pierre Bourdieu sur le procès de légitimation et de ceux de Gérard Genette pour la dimension proprement paratextologique. L'analyse de la stratégie de validation de l'œuvre littéraire accorde à la position du locuteur dans le champ littéraire un statut privilégié par rapport à la substance du discours émis par ce même locuteur. Études Littéraires Volume 24 N° 2 Automne 1991 ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 24 N° 2 AUTOMNE 1991 On ne trouvera pas ici, par conséquent, une élucidation des ruses rhétoriques de la pré- face, en tant que discours de persuasion. La légitimité du préfacier La légitimation peut être définie comme le processus par lequel un législateur est autorisé à proclamer la validité d'un discours afin de le rendre recevable par l'institution intéressée par ce type de discours. Dans le contexte littéraire, le discours préfaciel perçu comme instance de légitimation a pour fonction d'amener l'institu- tion à reconnaître à l'œuvre préfacée sa valeur d'œuvre littéraire. Le problème de la légitimation se trouve cependant indiscutablement lié en amont à la question de la légitimité du législa- teur. À cet égard, on peut dire que la légitimité du préfacier procède de conditions à la fois objec- tives et subjectives. Les premières tiennent à la notoriété et à l'autorité que l'institution recon- naît au préfacier de par les activités qu'il exerce et les discours qu'il a produits dans le champ littéraire. Le préfacier est-il écrivain? C'est le prestige d'un savoir-faire attesté dans l'acte étrange de création littéraire qui l'impose. Est-il chroni- queur littéraire? Il est devenu, par sa pratique de la lecture, un repère, un initié de l'espace axiologique de l'institution, en sa qualité de professionnel de la médiation et de la recom- mandation. Le critique universitaire jouit de l'autorité du discours scientifique émis dans l'instance sociale légitimatrice par excellence, l'Université. Dieu nous Va donné de Maryse Condé offre ainsi l'exemple d'un cumul d'auto- rité et de légitimité à travers la double caution de l'avant-propos de l'écrivain Guy Tirolien et de la préface de l'universitaire Lilyan Kesteloot. La légitimité du préfacier dépend donc de la compétence que l'institution lui reconnaît pour les discours qu'il a produits. À terme, il se produit un phénomène étrange : l'exercice d'une des activités ci-dessus évoquées s'efface au pro- fit du résidu brillant qu'est le nom du préfacier, à telle enseigne que la valeur performative du rite d'institution tient parfois, non à la qualité du discours, mais à l'éclat du nom du préfacier. Certains éditeurs font de ce phénomène une subtile exploitation publicitaire qui consiste, dans une sorte de régime co-auctorial, à inscrire sur la couverture du livre, à côté du nom de l'auteur, celui de son préfacier. C'est le cas, dans notre corpus, des éditions Pierre-Jean Oswald. L'éclat et la notoriété du nom sont à ce point des marques de reconnaissance et de légitimité qu'on peut dire que moins le nom est connu dans le champ de l'institution, plus il a besoin du sou- tien compensateur d'indications complémen- taires. La signature du préfacier comprend alors, outre son nom, la mention de ses fonctions ou de l'établissement auquel il appartient, autant de signes de reconnaissance de compétence ou de rappels de principe de l'autorité qui lui est dévolue par l'institution. Sans qu'on puisse dé- terminer si l'initiative de ces indications subsi- diaires vient de l'auteur ou de l'éditeur, voici quelques exemples : — Henri Lopez (sic), directeur général de l'enseignement Congo/Brazzaville (préface à Soleils neufs de Maxime Ndébéka); —Joseph Ki-Zerbo, agrégé d'Université (préface à Refrains sous le Sahel de Pacéré Titinga); — Jean-Baptiste Tati-Loutard, doyen de la 78 LE DISCOURS PREFACIEL, Faculté des lettres de l'Université de Brazzaville (préface à Une eau dormante de Sylvain Bemba); — Mercer Cook, professeur à l'Université Howard, ancien ambassadeur des États-Unis au Niger, au Sénégal et en Gambie (préface à Légendes africaines de Tchicaya U Tam'si); — Ariette Chemain, docteur es lettres, maî- tre de conférences, Université de Nice (pré- face à les Normes du temps de Jean-Baptiste Tati-Loutard); — Alioune Sène, ministre de la Culture du Sénégal (préface à Ébéniques de Mbaye Gana Kébé). Le phénomène de compensation entre le nom du préfacier et son texte pourrait même jouer en cas de pastiche. Qu'on imagine, un instant, une préface pastiche signée Léopold Sédar Senghor. À condition que le lecteur ne décèle pas le défaut de couture de l'artifice mimétique, la préface rédigée par une main tierce, obscure mais habile, aurait dans toute leur plénitude les effets valorisants du nom de l'illustre homme de lettres. Dès lors, on peut comprendre que Simon Ntary, un des rares cas de pseudonymie dans notre corpus, apporte à la rédaction de ses préfaces un soin qui vise à rattraper l'annulation volontaire de l'argument publicitaire de son nom connu. La légitimité du préfacier est ainsi liée à des fonctions personnellement exercées par ce- lui-ci dans le champ de l'institution littéraire. Mais à ces conditions objectives il semble possible de joindre des critères interindividuels et subjectifs qui, en fin de compte, font de la préface une sorte de pacte. La célébrité seule ne fait pas le préfacier : c'est l'auteur candidat DE LÉGITIMATION LITTERAIRE à la notoriété qui, par la reconnaissance qu'im- plique son choix, crée la légitimité de son préfacier. Solliciter une préface est à la fois un acte d'allégeance, d'élection et d'habilitation. Ce pacte de légitimation apparaît dans le dia- logue qui, dans certaines préfaces, s'instaure entre le préfacier et le préfacé. En introduc- tion à sa préface à Pour un dialogue avec nos jeunes de Boubou Hama, entièrement écrite sur le mode vocatif, Cheikh Hamidou Kane insiste sur le témoignage de sympathie que représente pour lui le fait d'avoir été choisi pour cette tâche : Président Boubou Hama, vous m'avez fait l'honneur redoutable de me demander une préface pour votre Dialogue avec nos jeunes. Sied-il vraiment que je profère un mot, après que vous vous êtes exprimé? Ce que vous me demandez est même plus grave, car vous demandez que je parle avant vous sur ce que vous avez déjà dit. Je ne puis vous désobéir et je m'exécuterai donc, non toutefois sans avoir, au préalable, rappelé pour la saluer et dire que j'y adhère, la règle de notre civilisation africaine que vous m'autorisez à transgresser. Chez nous, on doit respect, obéissance et préséance à l'âge parce que, rapprochant de la sagesse, il rapproche aussi de la vérité (p. 5). Bakary Traoré, lui aussi, rappelle l'effet de valorisation que le préfacier tire de ce statut de parrain : L'auteur de cette préface se trouve dans une position singulière, inhabituelle : il devait rendre hommage; on semble lui retourner cet hommage. Cheik A. Ndao a, sans doute, uploads/Litterature/ bokiba-andre-patient-le-discours-prefaciel-instance-de-legitimation-litteraire.pdf

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