Le «poème de l’activité moderne» Dès les premières lignes de l’« ébauche », élé
Le «poème de l’activité moderne» Dès les premières lignes de l’« ébauche », élément initial de son dossier préparatoire, Zola exprime d’emblée son désir de faire un roman optimiste, rompant avec le ton des précédents, « pour avoir l’autre face de la vérité, et pour être ainsi complet ». Au Bonheur des dames sera donc l’histoire heureuse de l’expansion d’un grand magasin dans le Paris du second Empire, où l’on verra la victoire de ceux qui se battent et avancent avec le progrès sur ceux qui demeurent dans l’immobilisme. Sur cette base simple, Zola entrelace plusieurs thèmes. Il montre la transformation de la société, la naissance d’une catégorie sociale (celle des employés de magasin), la mise en place des techniques modernes de vente, les nouvelles règles d’un capitalisme en plein développement. Le magasin, temple érigé au culte de la femme, où tout est mis en œuvre pour la séduire – donc pour la piéger – prend une dimension de monstre mythique. Il est en même temps une énorme machine, dont tous les rouages parfaitement huilés sont contrôlés et maîtrisés par le directeur, Octave Mouret. Parallèlement à ce « côté financier », le « côté passion » : une histoire d’amour entre un patron et sa petite vendeuse, qui se termine après maintes péripéties, comme dans un roman rose, par un mariage. Zola appuie son récit sur ce « double mouvement » prévu dans l’ébauche : « Octave faisant sa fortune par les femmes, exploitant la femme […], et à la fin […], se trouvant lui-même conquis par une femme… », sorte de déesse vengeresse. Et, par-dessus tout, régissant les actes de chacun, la lutte incessante pour la vie à tous les niveaux, depuis la compétition entre les vendeurs qui s’arrachent les clientes et intriguent pour être promus, jusqu’au combat acharné du grand magasin contre les petites boutiques, symbole de « l’œuvre invincible de la vie, qui veut la mort pour continuelle semence» (Au Bonheur des dames, chapitre XIII). a Le Bon Marché, intérieur, 1879 BNF, Estampes, Va 270 j folio Un des modèles du Bonheur des dames. Au Bonheur des dames Au Bonheur des dames Je veux dans Au Bonheur des dames faire le poème de l’activité moderne. Donc, changement complet de philosophie : plus de pessimisme […]. En un mot, aller avec le siècle, exprimer le siècle, qui est un siècle d’action et de conquête, d’efforts dans tous les sens. Ensuite, comme conséquence, montrer la joie de l’action et le plaisir de l’existence… Au Bonheur des dames, dossier préparatoire, ébauche Le dossier préparatoire Pour chacun de ses romans, Zola établit un dossier préparatoire composé de trois grandes parties : « Ébauche », « Personnages », « Plans », et d’une abondante documentation – notes d’enquête ou de lecture, articles de presse, lettres d’informateurs – qu’il classe soigneusement par sources. L’ébauche Zola, comme à son habitude, commence par tracer les grandes lignes du roman et réfléchit sur le papier, dans une sorte de soliloque, à la façon dont il va faire progresser l’intrigue, envisageant plusieurs éventualités et se donnant des consignes : «je veux», «ne pas oublier», «éviter les scènes trop vives», «voir ce que cela me donnerait si Octave avait un associé»… Peu à peu, au fil de l’ébauche, les personnages se mettent en place et la dramaturgie se dessine plus nettement : «donc l’intrigue tout entière est d’avoir Octave, veuf ou marié, à la tête du magasin», «si je prends Louise pour centre, je la prends à son arrivée à Paris», «une guerre d’expropriation avec une boutique», «un drame commercial dans une petite boutique […]. Le type d’autrefois que j’opposerai au type d’aujourd’hui». Liste générale des personnages BNF, Manuscrits, NAF 10278, f. 103 Au moment de la rédaction, Zola changera certains noms, en particulier «Louise» qui deviendra «Denise». Les personnages Évoqués dans l’ébauche simplement par le rôle qui leur est imparti, les personnages prennent corps dans des fiches individuelles où l’écrivain développe les caractéristiques physiques et psychologiques de chacun, ses réactions et son évolution au cours de l’action dramatique. Dix pages pour Octave dont sept viennent du dossier préparatoire de Pot-Bouille, le roman précédent qui raconte les débuts de l’ascension d’Octave Mouret, un des rares personnages apparaissant plusieurs fois dans le cycle des Rougon-Macquart et ayant à deux reprises le rôle principal. Ébauche (première page) BNF, Manuscrits, NAF 10277, f. 2 Fiche individuelle du personnage d’Octave (première page) BNF, Manuscrits, NAF 10278, f. 104 à raccorder à la page suivante Les plans Après de nombreuses visites au Bon Marché, au Louvre et à la Place Clichy – magasin préféré de son épouse –, Zola dresse un premier plan détaillé, véritable scénario de chaque chapitre, où il structure l’action dramatique. Puis il le corrige et l’enrichit d’ajouts puisés dans ses notes documentaires. À ce stade, apparaissent les trois chapitres piliers sur lesquels l’écrivain appuie la construction du roman, trois moments forts de l’activité du magasin correspondant en même temps aux étapes de son agrandissement : les nouveautés d’hiver (ch. IV), les nouveautés d’été (ch. IX) et, en apothéose, l’exposition de blanc (ch. XIV). Zola entre dans l’écriture du premier chapitre dès qu’il en a dressé un deuxième plan détaillé, intégrant les modifications du premier et portant des débuts de rédaction. Et il progresse ainsi de chapitre en chapitre. « Notes Beauchamp », sur les « rendus » BNF, Manuscrits, NAF 10278, f. 210 Plan général (sommaire du roman) BNF, Manuscrits, NAF 10277, f. 31-32 Plan du Bon Marché, dessiné par Zola BNF, Manuscrits, NAF 10278, f. 3 « Notes Carbonneaux », sur les courtiers BNF, Manuscrits, NAF 10278, f. 228 Ce plan général, réunissant l’ensemble des chapitres résumés et datés, a été établi par Zola avant le deuxième plan détaillé du premier chapitre. à raccorder à la page suivante à raccorder à la page précédente Le repérage du quartier Zola prépare son roman comme un cinéaste son film. Il situe son action dans un quartier et y effectue des repérages précis, traçant le plan des rues, plaçant les logements qui ont un rôle, prenant des notes sur l’atmosphère, les passants, les habitants. Le quartier de la place Gaillon avait déjà été choisi pour Pot-Bouille : à son arrivée à Paris, Octave entre comme commis au Bonheur des dames, qui n’est encore qu’un magasin de nouveautés situé «à l’encoignure des rues Neuve-Saint- Augustin et de la Michodière» et dont l’unique porte donne «sur le triangle étroit de la place Gaillon». Mais l’action de Pot- Bouille se déroulait essentiellement dans un immeuble de la rue de Choiseul et accessoirement jusqu’à l’église Saint- Roch, tandis que le scénario du Bonheur des dames nécessite un espace plus large permettant de visualiser l’agrandissement du magasin, la situation des petites boutiques et les travaux de percement de la rue du Dix-Décembre (actuelle rue du Quatre-Septembre). Zola relève le plan des rues dans le quadrilatère «avenue de l’Opéra», «Boulevards», «rue Richelieu», «rue Neuve-des-Petits-Champs», dessinant ainsi l’emprise finale du grand magasin. Il dresse la liste de tous les petits commerces et choisit les maisons dont il fera les boutiques en lutte avec le grand magasin, celles de Baudu et de Bourras, et en décrit soigneusement les façades. Les notes documentaires et leurs sources Durant deux mois (février-mars 1882), Zola enquête lui-même dans les grands magasins, passant de longs moments au Bon Marché et au Louvre, observant la disposition des rayons, l’architecture, dessinant des plans étage par étage, s’informant sur la fondation et l’organisation générale, sur les systèmes d’intéressement des employés, leur vie professionnelle, leurs rivalités et leurs relations avec les clientes, sur les mécanismes de ventes, la réclame, les vols…, soit cent pages de notes. Il sollicite également les dirigeants des deux magasins : Karcher, secrétaire général du Bon Marché, et Fèvre, associé de Chauchard à la direction du Louvre, lui communiquent des chiffres sur le personnel, sur les prix et les recettes, l’évolution de l’établissement sur plusieurs années… Sa femme elle-même est mise à contribution : elle relève des listes de tissus et de vêtements. Frantz Jourdain, futur architecte de la Samaritaine, lui envoie un projet théorique de construction d’un grand magasin, où «le fer seul sera mis en œuvre. […] L’ossature des constructions sera donc entièrement métallique». C’est son avoué Émile Collet (Zola lui avait demandé comment provoquer légalement une expropriation) qui lui fournit le moyen d’en finir avec la boutique de parapluies de Bourras, qui, refusant toute proposition de rachat de bail, gêne l’expansion du Bonheur des dames. Voulant entrer plus profondément dans l’intimité des vendeurs et vendeuses et avoir des récits d’histoires vécues, Zola rencontre à plusieurs reprises trois informateurs venant de ce milieu : Léon Carbonnaux, chef de rayon au Bon Marché, Beauchamp, ancien chef de comptoir au Louvre, et Mlle Dulit, employée au Saint-Joseph, cette dernière le renseignant surtout sur la vie difficile des demoiselles de magasin. Mais avant de se livrer à des investigations sur le terrain, Zola a sans doute commencé par lire attentivement les trois articles de presse conservés dans son dossier préparatoire, sur lesquels uploads/Litterature/ bonheur-des-dames-pdf.pdf
Documents similaires
-
18
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 21, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 1.5678MB