L’imaginaire de la fin Volume 27, numéro 3, 1999 URI : https://id.erudit.org/id
L’imaginaire de la fin Volume 27, numéro 3, 1999 URI : https://id.erudit.org/iderudit/030577ar DOI : https://doi.org/10.7202/030577ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des arts et lettres - Université du Québec à Chicoutimi ISSN 0300-3523 (imprimé) 1708-2307 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Boutin, F. (1999). « Différence et répétition ». Oeuvre de simulacre. Protée, 27(3), 119–124. https://doi.org/10.7202/030577ar Résumé de l'article Pourquoi, à la lecture de l’ouvrage Différence et Répétition de Deleuze, le lecteur sent-il que l’essentiel du propos du philosophe ne consiste pas essentiellement à promouvoir un savoir, une connaissance qui serait éminemment de l’ordre du contenu de l’oeuvre ? Pourquoi, traversant ce discours hermétique, a-t-il l’impression que le sens glisse devant lui et lui échappe et que précisément l’oeuvre entend jouer ainsi de lui (du sens et du lecteur) ? Cet article veut à la fois traquer cette éventuelle stratégie textuelle qui consiste à entraîner le lecteur dans les dédales d’une lecture pragmatique et définir la notion de simulacre que propose l’ouvrage. Tous droits réservés © Protée, 1999 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ «DIFFÉRENCE ET RÉPÉTITION» ŒUVRE DE SIMULACRE FRÉDÉRIC BOUTIN La pensée n’est rien sans quelque chose qui force à penser, qui fait violence à la pensée. Plus important que la pensée, il y a ce qui donne à penser␣; plus important que le philosophe, le poète. Proust et les signes Là [dans Finnegans Wake de Joyce et Le Livre de Mallarmé], l’identité de la chose lue se dissout réellement dans les séries divergentes définies par les mots ésotériques, comme l’identité du sujet lisant se dissout dans les cercles décentrés de la multilecture possible. Tout est devenu simulacre. Différence et Répétition Si Différence et Répétition est un grand livre, c’est peutêtre parce que Deleuze, y élaborant une théorie du signe, y faisant la promotion de l’apprentissage même, réalise en lui ce principe qu’il expose et qui participe de son contenu. C’est peut-être parce que l’œuvre, dans son écriture, dans sa structure formelle, et argumentative aussi, incarne son propos et devient un signe dont on fait soi- même l’apprentissage. Différence et Répétition, pour paraphraser l’auteur, donne à penser une pensée sans image. Nous voudrions mettre en lumière cette assimilation du contenu par la forme et procéder, du même coup, au relevé des traces formelles et des moments de cette identification. On pourrait dire que l’écrit transporte sa solution de lecture, véhicule sa poétique, dans la mesure où, d’une part, il prétend à l’œuvre d’art, au simulacre, et vise le renversement de la représentation et où, d’autre part, il est l’actualisation de cette prétention et de ce renversement. Une question s’impose d’abord: par où commencer après la lecture de cette œuvre? Et par quoi? Ces questions se font écho. Elles persistent. Aussi faut-il s’y accorder et admettre tout de suite qu’il n’y a pas de point de départ donné dans l’œuvre. Il y en a une myriade possible, mais pas un qui soit réel, qui soit «vrai», qui soit le «bon», le «premier» point de départ où «ça» commence. Cette proposition nous la lançons comme un avertissement et aimerions qu’on l’entende au pied de la lettre. Non seulement peut-on partir de n’importe où dans cette œuvre, de la première citation rencontrée, presque au hasard d’une lecture à nez levé, mais on doit le faire. Différence et Répétition est un ouvrage dont l’unité réside dans le voisinage du dispars, unité multiple, unité résultant de la résonance des séries voisines. Unité qui est structure mugissante d’éléments hétéroclites, foisonnement d’histoires racontées simultanément. « Différence et répétition ». Oeuvre de simulacre Frédéric Boutin Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr L’important dans une pareille œuvre, c’est de faire un commencement. C’est de partir pour inévitablement arriver à Rome. Car à y quêter éperdument l’origine, de nature conceptuelle, logique ou propositionnelle, à y chercher le point de départ, là où l’histoire commence, on est certain d’attendre longtemps. On est assuré d’errer dans les profondeurs de l’œuvre. Submergé. Et j’ajoute: tant qu’on cherche, tant qu’on poursuit cette origine dans le texte, avide de commencement, on entre dans l’aire du texte, on participe pleinement à son jeu. Nous sommes follement entraînés, nous lecteurs, par le mouvement de l’écriture. Nous répondons à cette écriture, nous sommes «joués» par elle. Nous sommes dissous «dans les cercles décentrés de la multi-lecture possible». Le texte devient un signe dont nous faisons l’apprentissage, signe dynamique qui entraîne le lecteur dans le mouvement du décodage. Il est le labyrinthe que hante l’écho du «monstre» parcourant ses corridors. Labyrinthe agile à traquer son marcheur. Ariane s’est pendue, dit Deleuze, lasse d’attendre Thésée, étourdi, éperdu, par le labyrinthe. Le lecteur de même se fait «étourdir» par le texte de Deleuze et le sera jusqu’à ce qu’il se décide à tirer luimême un fil, question de ne pas se diriger seul dans ce labyrinthe, question de se donner l’impression d’être guidé, de ne pas être mené n’importe où. Vers la sortie ou vers le monstre? Probablement que ni l’une ni l’autre n’est la véritable destination. Thésée erre dans les galeries. Et seul lui ne sait pas que c’est pour toujours. PRO TÉE, H IV ER 1999 • 2000 – page 119 Mais peut-être pouvons-nous partir de ce lieu précis où le texte prend au piège le lecteur, vraisemblable stratégie textuelle de Différence et Répétition : ON (le texte, l’auteur, le narrateur) sait que le lecteur a besoin d’un point de départ à sa lecture. ON sait que ce point de départ, s’il ne lui est pas révélé, sera instamment cherché par le lecteur. Alors vient l’idée de ne pas donner ce point de départ, ou plutôt de n’en pas donner qu’un. Aucun réel, plusieurs possibles. Dès ce moment, ON peut être certain que le lecteur est pris dans le mouvement forcené et effréné de l’apprentissage. Le jeu est lancé. Modèle, copie, simulacre On serait tenté de reconnaître, au premier coup d’œil, que tout le système argumentatif de Différence et Répétition est mené par une instance dialectique qui a le sens de la contradiction. On serait tenté d’y reconnaître une intéressante entreprise de déni où le refus logique d’une proposition de départ participe à la construction du propos et se retrouve au principe même de sa cohérence. Le texte, diraiton, est constitué d’objets conceptuels s’opposant à un premier modèle logique, contredisant une proposition de départ qu’il s’agissait de renverser; et, de fil en aiguille, il arrive à l’élaboration d’une structure logique, d’un système cohérent en lui-même, mais dont les assises sont figurées en dehors de ce système, précisément dans le modèle qui a servi de point de départ à l’argumentation. Probablement, les choses se passent-elles souvent ainsi dans l’ouvrage qui nous intéresse. Et parce qu’il «renverse le modèle», il est tentant de voir dans le simulacre, concept des plus utilisés dans l’œuvre, et qui constituera principalement l’objet de notre présent propos, ce même élément de contradiction, cette contrepartie logique dont il est ici question. Nous verrons qu’il en va tout autrement et que le simulacre, au contraire, devient un signe qui échappe à la dynamique dialectique. Qu’il devient un élément qui dénie peut-être le modèle, mais à un tout «autre» niveau. Prenons l’exemple de la représentation (tirons le fil de la représentation), considérant que le projet de l’œuvre vise précisément son renversement. «Ce que l’on reproche à la représentation c’est d’en rester à la forme d’identité, sous le double rapport de la chose vue et du sujet voyant» (DR: 94). Deleuze pose dans cette définition les trois prédicats qui fondent le procès représentatif, soit le sujet-interprétant, l’objet-interprété et l’identité, à la fois de l’objet et du sujet. Son discours consistera à renverser ces données de la représentation. Nous ferons appel aux notions platoniciennes de modèle, de copie et de simulacre, dont le philosophe fait grand usage, afin de poser le problème de la représentation, tel qu’il apparaît dans l’ouvrage. Où le modèle est le Même, l’Identique, l’identité dans le concept; et la copie, le passage de cette identité dans un autre élément, dans un autre corps. Selon ce point de vue, l’identité est un phénomène intérieur, car c’est l’identique au cœur de la chose qui fonde la ressemblance. «[...] le modèle ne peut être défini que par une position d’identité comme essence du Même; et la copie, par une affectation de ressemblance interne comme qualité du Semblable [...]» (DR: 341). Ainsi, le Même, l’Identique, inaugure et fonde le monde de la représentation. Le projet avoué du livre concerne visiblement le troisième élément du système: il faut «[...]dénier le primat d’un Original sur la copie, d’un modèle sur l’image. Et glorifier le règne des simulacres et des reflets» (DR: 92). Nous voilà au vif du uploads/Litterature/ boutin-difference-et-repetition-oeuvre-de-simulacre.pdf
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- Publié le Jui 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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