Pierre Boyancé Théurgie et télestique néoplatoniciennes In: Revue de l'histoire

Pierre Boyancé Théurgie et télestique néoplatoniciennes In: Revue de l'histoire des religions, tome 147 n°2, 1955. pp. 189-209. Citer ce document / Cite this document : Boyancé Pierre. Théurgie et télestique néoplatoniciennes. In: Revue de l'histoire des religions, tome 147 n°2, 1955. pp. 189- 209. doi : 10.3406/rhr.1955.7223 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1955_num_147_2_7223 Théurgie et télestique néoplatoniciennes Dans un article paru naguère, M. E. R. Dodds, le savant éditeur des Éléments de théologie platonique de Proclus a étudié de façon très instructive la théurgie néoplatonicienne, cette curieuse science ou plutôt cette technique par laquelle les adhérents de cette école se flattaient d'agir sur les êtres supérieurs, dieux ou démons, pour les contraindre de se mettre à leur disposition1. Il a repris et complété les recherches de Wilhelm Kroll2, Joseph Bidez3, Theodor Hopfner4, Eitrem5 et à leur suite cherché surtout du côté des Oracula chaldaica, si souvent allégués par Proclus, l'origine de ces pratiques. Les Oracula chaldaica, en vers hexamètres, sont l'œuvre d'un certain Julianus , qui vivait sous Marc-Aurèle et qui est le premier personnage que nous voyons qualifié de théurge6. Parmi les néoplatoniciens, la théurgie, contrairement à ce 1 ) Theurgy and its relationship to neoplatonism, dans The Journal of Roman Studies, XXXVII, 1947, pp. 57-69. (Reproduit à peu près tel quel en appendice de The Greeks and the irrational (Sather classical lectures, XXV), Berkeley, 1951, pp. 253-351). 2) De oraculis Chaldaicis [Breslauer philologische Abhandlungen, VII, I, 189). 3) Note sur les mystères néoplatoniciens, Revue belge de philologie et ďhistoire, VII, 1928, 1477-1481. 4) Griechisch-Aegyptischer Offenbarungszauber (Studien zur Palaeographie und Papyrologie, hgbbn von Cari Wessely, XXI et XXIII), 2 vol., Leipzig, 1921 et 1923 (cf. les indices «. v. Theurgén, Théurgie, Theurgische Divination, et notam ment XXI, § 805-821, pp. 210-223. On sait la richesse du matériel recueilli dans cet ouvrage. Cf. du même, l'article » Théurgie », dans le P. W. 5) Die abarxaiç, und der ЫсЩаиЪег in der Magie, Symbol. Oslo., VIII 1929, p. 49 et suiv. ; La théurgie chez les^Néo-platoniciens, ibid., XXII, 1942, p. 49 et suiv. 6) Cf. Willy Theiler, Die CKaldfieischen Orakel und die Hymnen des Synesios (Schriften der KOnigebsrger geleltrten Gesellschaft, geisteswissensch. KL, 18, I), Halle, 1942, pp. 1 et suiv. A dire vrai seuls lee Oracula Chaldaica proprement dits ont fait l'objet de l'étude initiale de W. Kroll. Ttfais il reste le problème de l'ensemble des témoignages et textes relatifs. -aux Chaldéens et à leurs rites. Il n'a pas encore été résolu (M. P. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, t. II, 1951, p. 460). 190 REVUE PE L'HISTOIRE DES RELIGIONS qu'en a dit M. Hopfner, est ignorée de Plotin, qui est bien au- dessus de cette forme inférieure de mysticisme. Elle fait son apparition déjà chez Porphyre mars c'est chez Jamblique et chez Proclus qu'on trouve les faits et les textes essentiels. M. Dodds étudie ensuite une scène de théilrgie contée dans la Vie de Plotin et dont ce dernier est le héros à l'Iseum de Rome ; un prêtre égyptien par ses conjurations lui fait appar aître son démon personnel et ce démon se trouve être un dieu. Puis M. Dodds examine deux des formes de l'action théur- gique : l'art de fabriquer des statues animées et l'art d'incarner momentanément dans un sujet approprié, véritable médium, un être divin. Ici, je noterai qu'il y a une troisième forme de l'action théurgique que M. Dodds n'a pas analysée dans sa savante étude, celle de ¥апаВ<хшт1.сту.о<;, des moyens par lesquels on assure la transformation d'une âme humaine en être immort el. Elle s'apparente à la consécration des statues, grâce à ce principe rappelé par Proclus que l'homme porte en lui, une statue plus miraculeuse que celles qui se voient1. Et j'ajouterai que sur cette troisième forme, nous avons un document dont on ne soupçonnerait pas au premier abord l'importance et la nature, c'est le récit de l'apothéose de la Philologie dans les Nuptiae de Mar4ianus Gapella. Cette œuvre mériterait à elle seule une étude approfondie, Joseph Bidez et M. Willy Theiler y ont décelé la Цасе des Chaldaica2. M. Gourcelle a repris et 1) In Crat., 133, pp. 77-7$ Pasquali. — Sur rarox0avaTia{i,oç, cf. Dodds, p. 62 et n. 66. Mais Plotin déjêÉavait dit (тсер1 той хаХоО, I, 6, 9, 13-15 : Kal fjtf) Ttaóafl Tex^aívov тб c6v díyaXfjia žcac áv ехХа[лфу) (conjecture de Creuzer et Volk- mann : ехХацфеье mes.) oroi tt)ç aperîjç ^ 6soeiSJ]<; áyXaíac. J. Cochez a vu dans la métaphore de Г&сХа^фк; une allusion aux mystères d'Isis (J. Cochez, Plotin et' les mystères d'Isis, Revue néoscolaslique de philos., XVIII, 1911, p. 339); P. Henry, Plotin et VOccident, p. 101, n. 2, remarque que la suite : ëo>ç âv tSyjç a<o<ppo<JóviQV èv аууф fieš&axv (Забрф (conjecture de Wyttenbach : хабарф тав.) « paraît également faire allusion aux mystères, à l'une de ces statues symboliques assises sur un trône, comme il s'en rencontrait tant dans l'art égyptien ». Mais sur les mystères admis en fait par Plotin, cf. infra. Et j'ai montré que la métaphore de ГЬсХацфк; — puisqu'elle se trouve déjà dans le fragment d'Aristote sur les myst ères, publié par J. Bidez et commenté par J. Croissant — se réfère donc à Eleusis (Le culte des Muses chez les philosophes grecs, p. 57). 2) 'Bidez, op. laud., p. 1477, n. 1 ; Theiler, op. laud., pp. 17, 21, n. 7, 23, 24, n.'l, 30, 37, n. 1. THÉURGIE ET TÉLESTIQUE NÉOPLATONICIENNES 191 complété ces indications1. J'ai moi-même montré l'influence des Orphica2. Mais ce n'est pas sur cela que je veux insister aujourd'hui. Je veux m'attacher spécialement à ce que M. Dodds considère comme un des éléments de la théurgie, la télestique, l'art de consacrer les statues. Mon propos est de souligner que cette télestique ne peut être considérée comme seulement une partie de la théurgie, surtout si nous identifions comme M. Dodds nous invite quelque peu à le faire .théurgie et Chal- daica ; que notamment en tant qu'art de consacrer les statues divines, elle a des origines qui débordent largement le cadre de ceux-ci. Autant il est légitime de mettre en valeur comme il l'a fait, l'importance exceptionnelle que Proclus particuli èrement leur accorde, dans sa philosophie et dans sa pratique religieuse, autant il serait dangereux pour les perspectives générales de l'histoire de paraître l'identifier avec la fortune posthume de Julianus et de ses écrits. Je ,me hâte de dire que M. Dodds lui-même souligne p. 63 que la télestique de la théurgie est loin d'être originale et il analyse quelques-uns de ses éléments de manière à faire intervenir bien d'autres sources que les pseudo-chaldéennes. C'est sur quoi je veux insister en développant d'abord ceci que même chez Proclus la télestique ne s'identifie jamais complètement à la théurgie chaldaïque. Marinus, dans la vie de ce philosophe nous le montre prat iquant des rites qui ont en vue essentiellement la séparation de l'âme et du corps, une purification qui est une préparation à la mort (tout cela nourri de nombreuses réminiscences du Phédon)3. 1) Les lettres grecques en Occident. De Macrobe à Cassiodore^ thèse, Paris, 1943, pp. 203-205. .2) Leucas, Revue archéologique, XXX, 1929, p. 2 et Une allusion à l'œuf orphique, Mélanges ďarchéologie et ď histoire, LII {Й*35), pp. 96 et suiv. Cf. aussi : Mystères et cultes mystiques dans Г Antiquité grecque i Association Guillaume Budé. Congrès de Strasbourg, Actes du Congrès de 1938)f Paris, 19^ p. 200, n. 2. 3) a) Par exemple, chap. XXI : Kal oûtcoç in .çavrwv èoç^v auvaYouaa xal aOpoiÇouta тсрос èaurijv -f) tou fiaxapíou ávSp&g- фих^1 áéteraro "o/éSov tou GibpxToç, Iři foc'aÙToô хате/еаваи Soxoûoa. Cf. Pèédon, p. p5Sc, définition de la xaëapaiç, où Ton voit assez généralement une conception orphique (Culte des Muses chez les philosophes grecs, p. 83), ce qui est contesté pa»touis Mouijnier, Le pur et Vimpur dans la pensée et la sensibilité des Gree*^ jusqu'à lu fin du IV siècle av. J.-C, Paris, 1950, pp. 344 et suiv. 192 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS Nuit et jour Proclus use de rites apotropaïques, d'aspersions et des autres moyens de purifications (xa0ap[i.oi) soit orphiques, soit chaldaïques. Il le montre également descendant à la mer une fois au moins par mois avec la même intention1. Il est plus que vraisemblable que ce dernier trait est un souvenir des mystères d'Eleusis, mystères qui n'étaient sans doute plus célébrés depuis la destruction en 395 du sanctuaire par Alaric2, mais qui ne pouvaient manquer de garder leur prestige3. Le fameux cri áXaSs (лйатаь4, devait retentir aux oreilles de Proclus quand il procédait à ses ahlutions solitaires. Aussi quand, dans son commentaire de la République, Proclus nous dit incidemment qu'Héraklès fut purifié par la télestique et qu'il y rattache l'apothéose dont il finit par bénéficier5, il est bien évident qu'il ne s'agit pas là d'oracles 1) Chap. XIX ; ... vúxTwp те xal [xeG'^jjiipav атсотротозас xal 7repippavT7)piotç xai toïç (ZXXoiç xaôapjAOtç xP^t*^0?» ôxè [xèv 'Opcpixotç, оте 8è XaXSaïxoîç... 2) E. Rohde, Psyche, trad, franc. d'A. Reymond, Paris, 1928, p. 590 ; M. P. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, uploads/Litterature/ boyance-theurgie-et-telestique-neoplatoniciennes.pdf

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