Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences rel

Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses Résumé des conférences et travaux 121 | 2014 2012-2013 Histoire des courants ésotériques dans l’Europe moderne et contemporaine Histoire des courants ésotériques dans l’Europe moderne et contemporaine Conférences de l’année 2012-2013 Jean-Pierre Brach Electronic version URL: http://journals.openedition.org/asr/1277 ISSN: 1969-6329 Publisher École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses Printed version Date of publication: 20 December 2014 Number of pages: 293-300 ISSN: 0183-7478 Electronic reference Jean-Pierre Brach, « Histoire des courants ésotériques dans l’Europe moderne et contemporaine », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [Online], 121 | 2014, Online since 20 November 2014, connection on 03 May 2019. URL : http:// journals.openedition.org/asr/1277 Tous droits réservés : EPHE Annuaire EPHE, Sciences religieuses, t. 121 (2012-2013) Histoire des courants ésotériques dans l’Europe moderne et contemporaine M. Jean-Pierre Brach Directeur d’études La première heure de notre séminaire a été consacrée à la suite de l’examen comparé de deux versions manuscrites latines inédites1 de l’Euclide chrétien (1573) de Guillaume Postel. Dans les passages étudiés se dessine un réseau d’analogies et de correspondances symboliques qui président au développement d’interprétations croisées entre géométrie et théologie, sur fond d’exégèse biblique. I. Une dimension importante du contenu de notre texte, déjà signalée précédemment, est l’élucidation de certaines thématiques extraites du Zohar, « bible » médiévale de la kabbale juive, dont Postel entreprit la traduction à deux reprises, et où il croit voir explicitée la véritable doctrine chrétienne, en une parfaite concordance mystique. Dans la perspective de l’Euclide chrétien, c’est le symbolisme mathématique, et particulièrement celui des polyèdres platoniciens, qui lui paraît représenter la clef du consensus des deux traditions, et un lien objectif entre elles. Nous avons déjà vu que les propriétés des solides en question manifestent, pour Postel, la structure trinitaire des éléments fondamentaux de la création, ce qui lui semble attester en retour la vérité de la doctrine chrétienne, et donc la réalité d’un Dieu créateur, à la fois un et trois. à la prise en compte du point, de la ligne, de la surface et du volume fait suite celle des angles constitutifs des corps réguliers. La présence en leur sein des trois espèces d’angles plans (droit, aigu, obtus) paraît évidemment à notre homme offrir une analogie trinitaire supplémentaire, tout comme le fait que la première surface rectiligne fermée comporte, de toute nécessité, trois angles. Postel attribue à l’angle plan une nature en quelque sorte intermédiaire entre la ligne proprement dite et la surface (f. 6r°). Son expression la plus parfaite réside, pour lui (suivant peut-être ici des développements de Proclus dans son commentaire au premier livre des Eléments d’Euclide, XXIV), dans l’angle droit universi mensurator, autrement dit agent fondamental de la « mesure universelle », en tant qu’il renvoie plus particulièrement au cube et à la terre, donc au carré, au quaternaire et au Fils. Au demeurant, ce thème est encore explicitement mis en valeur dans la version publiée de l’Euclide chrétien (Paris 1579, p. 13). Notre auteur développe ensuite, au début d’une section du texte consacrée plus particulièrement aux 5 polyèdres et à leur construction (f. 7r°), une théorie assez curieuse du quadrivium. Au primat classique de l’arithmétique succède la musique, puis en troisième lieu la géométrie. à la racine de celle-ci, Postel découvre les nombres 3, 4 et 5, qui désignent évidemment pour lui le fameux « triangle 1. Cf. J.-P. Brach, Annuaire EPHE-SR 119 (2012), p. 247-250. Résumés des conférences (2012-2013) 294 isiaque » de Plutarque (Isis et Osiris) et sont les premiers nombres entiers qui vériient concrètement le théorème de Pythagore. Or, nous avons vu que ces trois mêmes nombres symbolisent chez lui les solides platoniciens, par l’intermédiaire de leurs surfaces constitutives. L’astronomie vient en quatrième lieu, représentée par les nombres 4, 5 et 6, six triangles équilatéraux remplissant la circonférence du cercle céleste et le « Shabbat » (ou septénaire) venant achever le cycle de la création, opération trinitaire par excellence, dont le nombre 6 est la signature in æquivalentia, c’est-à-dire dans la mens divine elle-même. Pour Postel, la « doctrine euclidienne » nous est encore donnée ain que nous puissions désormais comprendre et démontrer ce qui, jusqu’à son époque, n’était accessible que dans et par la foi. En particulier, elle doit nous aider à discerner entre trois termes qu’il déclare dificiles à distinguer mais être néanmoins de portée universelle : Dieu, la nature et le monde (Deus, natura, mundus). Il s’accuse à cette occasion d’avoir erré ailleurs en posant la « grâce » comme deuxième terme et en confondant du même coup les deux derniers, nature et monde (f. 7v°). Ici encore, les nombres 3, 4 et 5 sont mis à contribution, en rapport respectif avec les trois termes en question. On ne s’étonne pas, dans ces conditions, de rencontrer dans les lignes suivantes (f. 8r°) un rapprochement supplémentaire avec le « triangle isiaque », rapprochement dans lequel le mundus est considéré comme le composé ou le « produit » de l’action réciproque de Dieu et de la nature, considérés – comme chez Plutarque, nommément mentionné à cette occasion – comme le « père » et la « mère » engendrant le troisième terme. L’imbrication des valences symboliques des trois nombres se complique en outre du fait que le triangle en question igure naturellement un demi-rectangle, son hypothénuse représentant la diagonale du rectangle complet, ce qui indique pour Postel que chaque nombre contient en puissance les propriétés des deux autres. Postel relève ensuite les correspondances entre solides et éléments rendues célèbres par le texte du Timée et s’attache à déterminer si elles concernent les éléments matériels ou, plutôt, la terre ou les « eaux supérieures » qu’évoque la Genèse. Il est mené à ces spéculations non seulement par son désir constant de confronter les traditions grecques, juives et chrétiennes, mais également par la constatation – troublante pour lui – que le nombre des faces des polyèdres ne s’accorde pas toujours avec la hiérarchie platonicienne des éléments auxquels ils correspondent censément, autrement dit qu’à un élément moins « noble », comme par exemple l’eau, appartient néanmoins un plus grand nombre de faces (et donc d’arêtes, de sommets, d’angles, etc.) qu’à l’air ou au feu, considérés pourtant comme des essences d’un rang intrinsèquement plus élevé. Il en vient ainsi à se demander s’il ne s’agirait pas en réalité de la « forme supérieure » de tel ou tel élément, considérée au plan non-matériel et illustrée le cas échéant par le texte biblique (f. 8v°). D’où une tentative d’explication par les deux genres d’« eaux », situées respectivement au-dessus et en-dessous du irmament (Gen. I, 6-10) et dont, selon lui, seules les secondes ont réellement un caractère « physique ». L’icosaèdre (corps géométrique en rapport avec l’élément eau) comportant vingt faces, et la création 295 Jean-Pierre Brach biblique ayant censément été tirée de l’eau2, Postel distingue en conséquence cinq quaternaires (5 × 4 = 20 ; le quaternaire symbolisant, on l’a vu, la mesure universelle) qui se déclinent des « eaux inférieures » à tous les autres éléments et à la nature « éthérée » – ou « quintessence » – représentée par le dodécaèdre. Ainsi, les eaux peuvent-elles constituer la matrice de la création et répandre, dans tous les constituants fondamentaux de celle-ci, le quaternaire qui est la « base » de tout et qui est mieux nommé, dans le cas de la terre, « sextessence », car il est iguré par les six faces (carrées) du cube. Au demeurant, la nature « angélique » associée au feu et au tétraèdre se ressent probablement des spéculations développées dans un passage du De arte cabalistica (1517) de Johannes Reuchlin3, consacré aux différents types ontologiques de « feu » et aux pyramides géométriques associées. Quant au cube, il est assimilé par Postel à la « terre sèche » qui apparaît lorsque s’amassent les « eaux inférieures » (Gen. I, 9). Notre auteur revient ici sur la parenté qu’il croit déceler entre l’hexaèdre (ou cube) et ce qu’il dénomme ici le « sexaèdre », ou pyramide trigone (= tétraèdre) double, accolée par la base (et présentant par conséquent six faces triangulaires). Il s’agit d’une comparaison dont il a traité ailleurs (ms. BnF lat. 3678 [vers 1566], f. 50v°-65r°), et qui gravite en l’occurrence autour du caractère triangulaire ou carré des faces des corps en question, et du nombre d’angles droits solides que présente leur structure. S’inspirant vraisemblablement à nouveau du passage de Reuchlin mentionné ci-dessus, notre homme hasarde que le cube pourrait symboliser la nature matérielle des corps, et la double pyramide (évidemment absente tant chez Platon que chez Euclide) leur nature « formelle » (céleste ?) et « éthérée » mais, nous dit-il, Euclide n’en a rien dit (!). Le souci de combiner spéculations proprement géométriques et analogies scripturaires amène ensuite Postel à prendre en compte un certain nombre de igures vétéro-testamentaires. Après avoir rapproché les trois Patriarches bibliques, Abraham, Isaac et Jacob, des trois Personnes divines, notre auteur leur fait respectivement correspondre – uploads/Litterature/ brach-jean-pierre-histoire-des-courants-esoteriques-dans-l-x27-europe-moderne-et-contemporaine.pdf

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