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100 ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ e-mail : ashtaroutte@yahoo.com ’Ashtaroût Cahier Hors-Série n°5 (décembre 2002) ~ Les Cycles de la vie /L’Apogée, pp. 100-107 Mikhail Naimy (1970) Gibran à son apogée Dossier composé, traduit de l’américain et de l’arabe & présenté par Randa Nabbout Mikhail Naimy : « Gibran at his peak ». Publié in Suheil Badi Bushrui & Paul Goth, Gibran of Lebanon, Beirut, American University of Beirut, in-8°, s. d. [circa 1974], XXIV+100p., illustr., pp. 3-9, avec une note des éditeurs libellée ainsi : « Ce texte est une variante et non pas une traduction fidèle de la conférence d’ouverture du Festival Interna- tional de Gibran en 1970 [à Beyrouth]. On a conservé pour cette publication le texte anglais de M. Naimy tel qu’il l’a lui-même traduit de l’arabe. » De fait, sous cet anglais, la phraséologie à surcharges de l’arabe est partout présente, ainsi que le mouvement oratoire qui trahit son origine. On a traduit “peak” dans le titre par apogée, mais tout au long du texte par sommet. Mikhail Naimy est l’auteur d’un grand livre de réfé- rence sur son ami Gibran, rédigé volontairement d’un point de vue subjectif. Publié en 1934 en arabe, et en 1950 dans sa propre traduction américaine, ce livre a soulevé des controverses qui ne sont pas encore tout à fait éteintes. Quand il a prononcé l’admirable conférence que nous avons traduite, Naimy était octogénaire. Dans la vie créative de chaque homme de génie il y a toujours un certain sommet qui, une fois atteint, il ne pourra jamais le dépasser. Lentement, laborieu- sement et souvent inconsciemment il trace son che- min vers ce sommet. Ce n’est qu’une fois au sommet qu’il peut jeter un regard vers le bas et bénir chaque pas de son ascension même s’il est pétri du sang de son cœur. Il ne se rend pas compte, toutefois, qu’au moment où il quittera ce sommet-là il n’est pas destiné à accéder à un autre plus élevé au-delà de celui-ci. Tout au contraire, il risquera de glisser de plusieurs longueurs en-dessous. Rares sont vraiment les hommes d’un talent ex- ceptionnel qui ont atteint dans leur domaine propre deux sommets et plus de même niveau et de la même splendeur. Peut-être Shakespeare [1564-1616] pour- rait-il être cité comme l’une de ces exceptions. Car on est bien embarrassé de choisir entre des sommets comme Hamlet, Le Roi Lear et Macbeth et de dire lequel est le plus élevé. Dans notre éblouissement, ils semblent tous également élevés et brillants. Alors que chez la plupart des trimeurs au champ des grandes réalisation humaines nous pouvons aisément choisir telle œuvre ou telle autre pour la déclarer leur meil- leure réalisation. Dans le cas de Gibran [1883-1931] on peut affir- mer sans la moindre hésitation que son livre du Prophète [1923] représente le sommet de sa carrière littéraire. Vue à la lumière de la réincarnation – une doctrine qu’il a adoptée, et dont il a fait la pierre angulaire de sa philosophie de la destinée humaine – la vie de Gibran depuis sa propre naissance jusqu’à la naissance du Prophète peut être considérée comme une ascension régulière vers ce sommet. Ce n’est pas par un hasard aveugle que Gibran est né sur le bord de la vallée la plus profonde et la plus splendide du Nord-Liban, vallée que l’on nomme la Vallée Sacrée ou la Vallée des Saints (Wādi Qadīcha), à un jet de pierre du fameux bosquet de cèdres qui se niche à l’ombre de la Montagne des Cèdres, laquelle s’élève à plus de neuf mille pieds [trois mille mètres] au-dessus de la Méditerrannée. Ce bosquet, avec son cèdre pat- riarcal dont l’âge se décompte en siècles, représente les vestiges épars d’une immense forêt ayant jadis re- couvert les montagnes du Liban. Et pas un de ses pas 101 n’a été pour Gibran un pas accidentel, depuis bambin jusqu’au moment où il a exhalé son dernier soupir à l’Hôpital Saint-Vincent de la ville de New York. Sans entrer trop en détail dans la vie de Gibran, je puis dire en toute sureté que, dans sa propre évalu- ation comme dans la mienne, tous les ouvrages anté- rieurs au Prophète, que ce soit en arabe ou en anglais, n’étaient que des étapes dans son ascension vers l’ul- time sommet. À commencer par La Musique [1905], son premier ouvrage en arabe, et en passant par Les Nymphes de la vallée [1908], Les Esprits rebelles [1906], Une Larme et un sourire [1914], Les Ailes brisées [1912], Les Processions [1919], Les Tempêtes [1920] (tous en arabes), et Le Fou [1918] et Le Précurseur [1920] (en anglais), on est immédiatement conscient de se trou- ver en face d’un homme extrêmement sensible qui cherche à tâtons sa voie vers un but dont les con- tours sont encore enveloppés de brume. Seule une âme sensible semblable à la sienne peut imaginer ce que l’âme de Gibran a éprouvé dans sa marche ascendante vers le sommet désiré. C’est parce que ce sommet était encore éloigné et enve- loppé d’un voile épais, et parce que Gibran n’était pas encore sûr de sa voie, qu’il est tout naturel qu’il se soit senti mal à l’aise dans un monde gros de passions de tout genre hormis celle d’atteindre au grand et au grandiose. Même au début de sa vie, Gibran abhor- rait ce qui est commun et ordinaire. La grandeur et la gloire dont il rêvait étaient la grandeur et la gloire d’un Shakespeare, d’un Keats, d’un Michel-Ange, d’un Da Vinci. Non seulement Gibran détestait ce qui est ordi- naire et ce qui est trivial, mais il était torturé de voir tant d’hypocrisie dans les choses de la religion et tant d’arrogance dans les plus hautes sphères de la hiérar- chie ecclésiastique. Il était non moins peiné de voir l’autorité temporelle se pavâner avec une telle pompe, et intimider ceux qui se trouvent au bas de l’échelle sociale. Tout aussi douloureux était pour lui le déni de justice dans la répartition de la richesse entre les hommes. Il était particulièrement affecté par le lot de la Femme dans une société régie par l’Homme. C’est pourquoi ses premiers écrits tantôt respirent une mélancolie frôlant le désespoir, et tantôt ce sont des laves volcaniques visant à engloutir tous les hypo- crites et tous les despotes, et tous les régimes sociaux et tous les systèmes qui souillent ce qui est divin en l’homme. De temps en temps, il lui arrivait de bercer le tumulte et l’angoisse de son âme par des songeries douces et romantiques. Il est arrivé une fois à Gibran de penser qu’il s’est retrouvé tel qu’en lui-même et d’avoir trouvé sa voie. C’était quand il tomba sur Ainsi parlait Zara- thoustra de Nietzsche. Ce livre le renversa de fond en comble. Sa dénonciation amère et radicale des valeurs humaines hormis de ce qui est dénommé le Sur- homme semblait donner libre cours à sa propre hos- tilité réprimée envers toutes les croyances humaines et les croyances conventionnelles existantes. Dans « Le Fossoyeur » [première pièce du recueil Les Tem- pêtes, 1920], sa plus grande joie et sa seule préoccu- pation sont de creuser des tombes pour tous les vivants car ils sont déjà morts à leur insu depuis belle lurette. La même veine est poussée plus loin encore en des œuvres comme Le Fou [1918] et Le Précurseur [1920], – beaucoup moins toutefois dans le second que dans le premier. La pièce la plus amusante du Fou est peut-être celle qui est intitulée « Le monde parfait ». Je n’ai jamais lu un éreintement plus amer, plus sarcastique de l’auto-satisfaction du monde américain en parti- culier, et du monde humain en général, là où tout est, comme on le dit, « taillé sur mesure ». Un tel monde devait paraître suffocant pour un homme comme Gibran, dont le regard est fixé sur quelque chose de bien différent, mais de pas encore bien clair pour le moment. Le brouillard ne s’est pas encore levé et le pourtour de ce sommet est encore brumeux. Mais cela aussi était un pas nécessaire dans l’ascension. Gibran devait se frotter [à l’art] de railler et de fusti- ger, même si cela ne devait servir qu’à apaiser son âme tourmentée et à déblayer ce qu’il considérait être des décombres entravant son avancée vers un objec- tif encore obscur et mal défini. C’est durant cette période de tempête et de compression (stress) de la vie de Gibran qu’il parlait si souvent et si abondamment non pas tant de sa soli- tude (loneliness) que de son esseulement (aloneness), com- me s’il livrait un combat singulier contre le monde entier, rien que par lui-même. Frédéric Nietzsche qui 102 avait mené auparavant une telle bataille avait terminé son combat dans un asile d’aliénés ne comptant plus parmi les vivants. Saura-t-il, lui l’étranger dans un monde étrange, le garçon obscur né dans un village obscur au pied de la Montagne des Cèdres dans ce Liban lointain, saura-t-il mener à terme cette bataille tout seul face uploads/Litterature/ cahier-hors-serie-n05-mikhail-naimy 1 .pdf
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- Publié le Jan 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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