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1 NOMS "LIBYQUES " DE PERSONNES A CYRENE Même si l’0dyssée fait passer Ulysse par l’Afrique du Nord, la fondation de la colonie grecque de Cyrène en 631 a.C., date habituellement avancée, marque le premier contact sûr et prolongé des Grecs avec le pays aujourd’hui encore nommé Libye. Leur présence devait durer plusieurs siècles, assez pour que se constituât, dans la ville et dans sa région, un dialecte grec particulier, qui ne disparaît qu’à partir du IIe siècle de notre ère. L’histoire et l’archéologie de Cyrène ont donné lieu à de nombreux travaux, parmi lesquels une place éminente revient aux recherches du regretté François Chamoux et d’André Laronde. Quant au dialecte, il a fait l’objet de diverses publications, dues notamment à Olivier Masson, trop tôt disparu, et d’une thèse en tout point exemplaire due à Catherine Dobias-Lalou (plus loin CD) et fondée sur les données épigraphiques. Dans les Indices de ce dernier travail, figure sous le titre de Nomina Libyca une liste de 19 anthroponymes que l’auteur considère comme indigènes et qui ont été portés par des « Libyens », quelquefois aussi par d’autres. Ces noms ont amené les Grecs à noter des phonèmes étrangers et à adapter à leur langue – en particulier à ses déclinaisons - une morphologie différente. L’attention d’O. Masson et de C. Dobias s’est donc naturellement portée sur les problèmes ainsi posés à la langue d’accueil. Mais on peut aussi se demander si de tels matériaux révèlent quelque chose du parler local, contribuant ainsi à « rendre quelque réalité à ces Libyens orientaux qui n’ont pas laissé de monuments écrits et que les historiens anciens, après Hérodote, ont plutôt négligés » (Masson, 1976, p. 62). Une étude exhaustive devrait certes exploiter aussi d’autres données, vocabulaire divers, ethnonymes, toponymes (mais on oublie trop souvent que certains de ces derniers peuvent être hérités de populations antérieures). Dans un premier temps cependant, les noms de personnes réunis par C. Dobias permettent de formuler quelques observations. S’ils n’ont pas échappé aux distorsions dues à la différence des systèmes phonologiques, ils ont du moins l’avantage, étant gravés dans la pierre, d’avoir échappé aux erreurs de la tradition manuscrite ; de plus, certains sont datés au moins approximativement. Je me suis résigné à les translittérer (je remercie A.-M Chanet pour les renseignements qu’elle m’a donnés sur les usages, assez variés, qu’on observe en pareil cas) : Alazeir(Alatteir, Aladdeir), Allammôn, Amaisinnas, Anus(s)an, Artaphan, Bakal, Dakhis, Ekhthapan, Ial, Iarthammôn, Iaphthan, Igisan, Itthallammôn, Itthannuras, Pollallamôn ?, Semêr, Uratthis, Phulusia, Khiraura. Remarques sur la translittération et la notation 1) Rappelons que les groupes de deux voyelles, comme ai, ei pouvaient noter une voyelle longue et non une diphtongue, et que par conséquent la lettre i ne représente pas nécessairement la semi-consonne [y] à laquelle un berbérisant pourrait penser. - 2) L’interprétation de z est difficile : la lettre zêta a pu recouvrir, selon les parlers et les époques, les groupes [zd], [dz], [zz] ou [dd] ; on ne saurait affirmer qu’à Cyrène cette lettre notait simplement [z], même si l’on accepte l’hypothèse séduisante de Muller, puis de Paradisi, rapprochant le berbère eghzert du zegeries « souris » d’Hérodote (bibliographie dans CD, p. 57 et 287). – 3) Pour éviter toute confusion entre les séquences de deux consonnes, [th], [kh], possibles en berbère, et les occlusives aspirées de la graphie grecque, j’ai placé h en exposant dans l’écriture de ces dernières : th, kh, etc. Enfin les lettres soulignées désignent des spirantes, comme [t]. Phonétique Particulièrement intéressant est l’emploi des lettres phi, thêta et khi. Elles notaient en grec des occlusives aspirées (ph, th, kh : CD, p. 55) ; mais que représentaient-elles dans les noms « libyques », où C. Dobias a remarqué leur fréquence ? La question serait assez vaine si les transcripteurs grecs avaient procédé de façon totalement arbitraire, mais on peut espérer - et il est plus vraisemblable - qu’ils ont choisi les lettres dont la valeur en grec leur paraissait plus ou moins proche du phonème étranger qu’ils entendaient. Si maintenant on se réfère à la phonétique berbère et à quelques données de phonétique générale, on ne croira pas volontiers que, dans les noms locaux, les trois lettres restaient le signe d’occlusives aspirées, inconnues du berbère et même du « proto-berbère » tel que le conçoit Kossmann (1999, p. 249). Puisqu’une aspirée (terme impropre) associe à l’occlusion une fricative laryngale [h], on se demandera quel autre phénomène vocal ce son [h] a pu évoquer pour les oreilles grecques. On doit sans doute écarter la palatalisation et la labio-vélarisation ([ty], [kw], etc., dont les produits sont trop éloignés acoustiquement. EPIGRAPHIE LIBYCO-BERBERE La Lettre du RILB Répertoire des Inscriptions Libyco-Berbères EPHE - Section des sciences historiques et philologiques - à la Sorbonne 45-47, rue des Ecoles 75005 PARIS Directeur de la publication L. Galand ISSN 1260-9676 N° 14 - 2008 2 On ne croira guère non plus à une pharyngalisation, peu probable dans le cas de la labiale ph et d’effet acoustique assez différent ; de plus, elle aurait peut-être ouvert la voyelle [i] dans des noms comme Dakhis ou Khiraura, ce qui ne paraît pas être le cas. Restent l’affrication ([pf], [ts], [kx], ou autres) et la spirantisation ([p > f ?], [t], [k]). Je penche pour la seconde, non pas à cause de l’exemple du grec moderne ou de l’anglais th, mais parce que la multiplication d’affriquées me semble peu probable, alors que les spirantes sont très fréquentes dans plusieurs parlers berbères (et ailleurs !). La description très précise due à C. Dobias suggère une autre réflexion. Les groupes de deux occlusives aspirées différentes sont parfaitement tolérés, comme le montrent ici Ekhthapan ou Iaphthan ; si les graphies latines flottent (Ieptha, Iepta : CD, p. 56, n. 4), c’est que leur alphabet n’a pas de lettre correspondant à phi ou à thêta. Mais lorsque les deux consonnes ont le même point d’articulation, la première n’est plus notée par le caractère de l’aspirée. Il se trouve que, dans notre liste, cela n’est illustré que par la dentale de Itthallammôn, Itthannuras et Uratthis, mais le fait est plus général. Il répond à une règle orthographique grecque : « pas de géminées aspirées » (CD, p. 56). Cette explication s’impose, mais elle n’exclut pas l’hypothèse que je vais risquer. Si th représente en réalité une spirante [t], le digramme tth note en fait une sorte d’affriquée, [tt] ou [tt], phonème non pas géminé, mais tendu comme on le trouve en berbère et comptant pour une seule unité. On pense alors à la dentale sourde du kabyle qui, sous l’effet de la tension, est réalisée comme une affriquée, [tts] ou [ts]. La similitude aurait été encore plus complète si, au paragraphe précédent, j’avais opté pour l’affrication. Morphologie L’examen de la morphologie ne permet pas d’aller très loin. Plusieurs noms ont une initiale a-, dont on sait qu’elle est caractéristique de beaucoup de masculins berbères. Mais on admet généralement qu’en berbère elle n’a pas toujours fait partie intégrante du nom et l’on ignore à quelle époque l’agglutination s’est produite : ce qui ne permet pas de la reconnaître à coup sûr dans les formes antiques en a-. De plus, s’il s’agissait de la même initiale a- qu’en berbère actuel, on s’attendrait à trouver son correspondant féminin ta- : or ce n’est pas le cas dans notre liste, qui, il est vrai, est trop courte pour autoriser une conclusion sur ce point. D’autres noms ont une initiale i-, qu’on pourrait rapprocher de l’indice nominal i- connu en berbère ou de l’indice verbal de 3e personne du masculin singulier y-/i-, si l’on admettait qu’il existait déjà sous cette forme. Vocabulaire Le nom Alazeir (ou var.), déjà connu d’Hérodote, est attesté par les inscriptions vers 400 a.C. et encore aux alentours de notre ère ; Anus(s)a est mentionné plusieurs fois également, d’abord au IIe ou Ier siècle a.C., ensuite au Ier ou IIe s. p.C., enfin au IIIe s. p.C. (détails dans CD). On voit que le matériel onomastique de Cyrène s’étale sur une période qui coïncide partiellement avec celle des inscriptions libyques. La confrontation des armatures consonantiques des 19 noms avec la liste de noms libyques (eux-mêmes réduits aux consonnes par le système de la graphie) dressée par Chabot (RIL, p. XVII-XXIII) reste décevante. On notera pourtant que Amaisinnas pourrait présenter les consonnes préformantes MS, très fréquentes en libyque et en berbère. Mieux encore, si –s final n’est pas une simple désinence de nominatif ajoutée par les Grecs, on pourrait retrouver là le nom porté ailleurs par Massinissa, MSNSN ; mais il serait privé de sa finale libyque N et pourvu tout à la fois d’une voyelle initiale a-, d’une voyelle interne –ai- [e :] (Masson, p. 53) et d’une consonne tendue – nn- : autant d’écarts qui enlèvent beaucoup d’attrait à l’hypothèse ! Le nom Iaphthan est moins illustre, mais se retrouve plus sûrement ailleurs, puisque les sources latines donnent un Ieptha ou Iepta. Quant à Bakal, il se rattache évidemment à l’ethnique Bakales. 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