Le mythe de Faust et la genèse du surhomme, Jean-Claude Frère 06 May 2010 (Revu

Le mythe de Faust et la genèse du surhomme, Jean-Claude Frère 06 May 2010 (Revue Question De. No 3. 1974) Le mythe est une réalité essentielle, une transfiguration du réel. Il nous conduit, par des chemins de lumière et de ténèbres, jusqu’à notre être essentiel. Il est révélation. Ainsi en est-il pour le mythe de Faust. La légende du docteur Faust apparaît au XVIe siècle en Occident ; elle se fonde sur les événements qui furent plus ou moins ceux qui composèrent la vie de l’authentique « docteur Faust », en Allemagne, à l’époque de la Réforme luthérienne ; mais ces événements ne sont qu’un support qui permettra la réactivation d’un mythe essentiel pour l’homme occidental: celui de Prométhée et du surhomme. Faust, dès lors, apparaît comme le drame de la connaissance. Le docteur Faust devient la moderne image du dieu grec. Sur ces fondements, la légende faustienne n’a cessé de se développer en Europe au cours de ces quatre derniers siècles. Nous nous sommes attachés à l’évolution du mythe faustien dans son ensemble, et ce, jusque dans son actualité. Car Faust revit, plus puissant que jamais : il est « le Président Henry Faust » de Louis Pauwels, terme contemporain et synthèse du surhomme faustien. Il est des œuvres qui ne sont pas la création d’un seul ; ce sont de longues continuités spirituelles. Elles appartiennent alors à tous les membres d’une même communauté culturelle. En Inde, le Veda, les Upanishads ou le Mahabharata, en Grèce les grands thèmes tragiques, Œdipe, Oreste, Hélène, sont de cette veine. Et dans notre Occident moderne, quelques noms aussi, Don Juan et Faust surtout… Faust est une histoire à jamais inachevée ; d’époque en époque, des hommes de talent, de génie, les seuls qui innovent vraiment, se consacrent à une « réécriture » de Faust. Pourquoi ? Que ce soit Faust ou Don Juan en Europe moderne, Œdipe ou Oreste dans la Grèce antique, ces thèmes ne sont plus seulement des motifs littéraires ; ce sont des réalités fondamentales, des archétypes exprimant au plus haut niveau les tensions les plus complexes et les plus profondes de l’être. C’est, au sens propre, l’âme même de la race. Faust, personnage mythique, personnage historique ? Les deux, certes. Mais, avant tout, expression de la profonde aspiration de l’homme occidental vers le surhomme, la surhumanité. Un certain christianisme, sa forme la plus radicale, la plus discutable, a été le destructeur des mythes fondamentaux de l’Occident. Mais ces mythes ne furent réduits qu’en apparence. Dans les profondeurs de l’être, ils vivaient toujours, demeuraient vivaces, mobiles, prêts à surgir de nouveau ; toujours aussi jeunes, éternels enfin… Ainsi en fut-il de Prométhée, le demi-dieu sublime, l’ami des hommes, celui qui venait apporter aux humains l’itinéraire de la surhumanité, lui qui reçut également le nom de « Porteur de lumière » : Luci-Fer, l’ange qui annonce l’assomption de l’homme et le renforce dans sa volonté de puissance, fut, plus que d’autres, poursuivi par les docteurs du christianisme. L’ennemi était de taille, assurément ; il était l’expression même de la divinité de l’homme, celle-là qui n’est pas le privilège d’un seul, qui aurait ensuite charge de sauver l’humanité entière, mais qui, par voie d’élection mystique, est conférée à tous ceux qui sont susceptibles de dépasser l’humaine condition et de ne vivre vraiment que s’ils sont en accord avec leur volonté. La défiguration chrétienne des grands mythes Prométhée donc devait mourir. Son nom fut occulté, bafoué ; son être archétypique défiguré. Peu à peu, il devint, sous l’influence des mentalités orientales qui nous submergeaient, une figure grimaçante, monstrueuse, l’entité même qui devait figurer tous les esprits malfaisants. Le « diable » chrétien était né ; Satan, Méphistophélès, Lucifer (sous l’appellation totalement dévoyée) exprimaient les différentes formes de la même obsession: le « Mal » était vu partout. Les prêtres chrétiens parcouraient villes, villages et campagnes en annonçant le « Jour du Jugement ». Des catégories de valeurs étaient créées: l’imagination était en prison. Mais l’appétit de surhumanité, inhérent au monde occidental, n’était pas apaisé pour autant. Sous la pierre d’une tombe illusoire, dans cette vieille terre d’Occident, résidait encore l’esprit de lumière, la quintessence des antiques harmonies helléniques. Si le grain ne meurt… Le Moyen Age fut un hiver splendide ; sous le gel d’un humus recroquevillé dormaient les germes. C’est alors que vint la « Renaissance », celle-là qui ne savait pas encore son nom. Et la terre se lézarda, et l’on entendit des tonnerres. Puis, comme surgis de l’innombrable Hadès, les dieux magnifiques réapparurent. L’Europe était en grande confusion. Au cours du XVIe siècle, Luther vociféra, Giordano Bruno s’essaya au grand art de la résurrection des dieux païens ; et, là-bas, sur les routes d’Allemagne, de Flandres, d’Italie et de France, un étrange pèlerin : Johann Georg Faust. Le Dr Faust. Devant le reflux de la théologie biblique, l’homme occidental, encore étonné de sa liberté, retrouve les merveilles du monde ancien. D’aucuns citent la phrase de l’empereur Julien : « Ce temps est le temps d’un choix, et il faut choisir entre le dieu de Moïse et le dieu de Platon. » C’est-à-dire entre la menaçante théologie descendue sous forme d’interdits de la montagne du Sinaï et la joie puissante, la sagesse éternelle des monts de l’Olympe et du Parnasse. Et ceux qui, vers la fin du XVIe siècle, surent choisir en se souvenant de leurs traditions si longtemps perdues, ceux- là se mirent à la recherche de Prométhée. Il faut sauver l’âme grecque L’homme occidental préparait l’avènement d’un homme nouveau : le rêve hellénique retrouvait force et vigueur. Dès lors, pourquoi encore trembler devant des entités menaçantes, pourquoi encore reproduire dans la pierre de nos cathédrales le rêve de Salomon quand un seul désir nous inonde : retrouver la perfection et les harmonies d’un temple grec, retrouver et transposer dans nos villes les mystères de la perfection hellénique et romaine ? Il ne s’agit pas de digressions : Prométhée, Faust, le surhomme occidental sont là, partout, dans chaque innovation de la civilisation européenne à la Renaissance. Nous parlons bien de la genèse d’une idée et d’un mythe. Pour nous, c’est un fait, le Dr Faust hier, le Président Faust aujourd’hui sont les signes du lent mais combien puissant renouveau prométhéen. L’homme antique n’a pu être tout à fait oublié dans l’homme moderne. En Faust renaissent les dieux jadis évanouis ; déjà s’élabore le patron de l’homme-dieu. Faust ne chante pas l’avènement des masses sans nom et sans visage, Faust est la glorification de l’Homme, de l’individu armé de sa seule volonté, de son désir de toujours vaincre et se vaincre ; il est aussi le triomphe du qualitatif sur le quantitatif. Ceux qui le cherchent à travers des trames et des tragédies nouvelles dans la forme et profondément semblables quant au fond, ceux-là sont les hérauts d’un prodigieux avènement. Ils nous appellent et voici leur cri : « L’homme n’est plus ! Le vieil homme est mort. Prométhée a brisé ses chaînes… Le monde a changé d’âge; ceux qui ne sont point inspirés par les dieux ne comprendront pas : voici l’ère du surhomme ! » La légende de Faust sera longue, multiple et sa prodigieuse fortune se continue donc aujourd’hui encore, sous des formes multiples et avec des nuances infinies. Dès le XVIe siècle, le mythe émerge : Faust, le Dr Faust apparaît comme un nécromancien redoutable, un sataniste dangereux. Il vole dans les airs, il est partout à la fois : en Asie, en Europe, au Nouveau Monde. Les premiers écrits « faustiens » sont consignés dans un livre populaire, le Faustus Volksbücher, puis il est l’objet d’un théâtre de marionnettes qui se continuera jusqu’au XXe siècle. Première adaptation théâtrale du mythe : le Faust de Marlowe Un presque contemporain de Faust, l’Anglais Marlowe (1564-1593), le plus prestigieux des prédécesseurs de Shakespeare, fils de cordonnier mais bachelier de Cambridge, écrit le premier drame sur le « Docteur Faust » : The Tragical History of Dr Faustus. Marlowe avait été très attentif à l’histoire romancée de Faust éditée par Spies à Francfort en 1587 et telle qu’elle avait été résumée, sous forme populaire, dans une complainte anglaise de 1588. Mais la première représentation du Faustus de Marlowe n’est donnée qu’en 1594, un an après la mort de son auteur. Marlowe prétendait être poursuivi par le spectre de Faust et affirmait à qui voulait l’entendre que le magicien le guettait pour l’entraîner dans les abîmes… Déjà, dans le drame de Marlowe, tous les thèmes sont présents : le docteur habile et merveilleux, la méditation sur le surhomme à venir, la vieillesse, le pacte de jouvence avec le diable, l’amour de l’or, la connaissance universelle et la puissance sur tous les mondes grâce à ce pacte. Mais l’amour de Faust, chez Marlowe, n’est pas Marguerite, mais Hélène. Hélène de Troie qui revient, Hélène, amour impossible, venue des temps immémoriaux, modèle de la femme divine, de la déesse à nulle autre pareille. Faust fébrilement, grâce à sa puissance, évoque Hélène ; uploads/Litterature/ le-mythe-de-faust-et-la-genese-du-surhomme.pdf

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