CAHIERS DU CINÉMA * R E V U E M E N S U E L L E D E CIN ÉM A • N O V E M B R E
CAHIERS DU CINÉMA * R E V U E M E N S U E L L E D E CIN ÉM A • N O V E M B R E 1960 * 1 1 3 NOTRE COUVERTURE Janet Leigh et John Gavin dans PSYCHO {Psychose) d’Al fred H itchock (Param ount). Ne m anquez pas de prendre page 46 : LE CONSEIL DES DIX Cahiers du Cinéma NOVEMBRE 1960 TOME X IX - - No 113 S O M M A I R E Robin Wood .............. Psychanalyse de « Psycho » ................................ 1 Jean Douchet ................ Hitch et son p u b lic ................................................ 7 Jean Domarchi ............ Petit panégyrique d'un grand directeur .. 16 François M ars .............. Autopsie du gag (I) .............................................. 22 Claude Ju tra ................ En courant derrière Roucli (ï) ........................ 32 Les Films Jacques Doniol-Valcroze Le facteur rhésus et le nouveau cinéma * . : (L’Avventura) .................................................... 47 André S- Labarthe ... Derrière une vitre (La Dame sans camélias) 49 Michel Delahaye , ___ L'Ouest revisité (La Diablesse en collant rose) ....................................................................... 52 Les vieux de la vieille (L'Affaire d ’une nuit) 55 Claude de Givray . Jean Douchet ................ L’école de Vienne (La Garçonnière) 58 Notes sur d’autres films (Et m ourir de plaisir, Le Voyeur, Liaisons secrètes, Oscar Wilde) ..................................................................................... 60 Petit Journal du Cinéma .................................................................................... 44 Films sortis à Paris du 7 septembre au 4 octobre 1969 ...................... 63 CAHIERS' DU CINEMA, revue m ensuelle de Ciném a Rédacteurs en chef : Jacques Doniol-Valcroze e t Eric Rohmer. 146. Champs-Elysées, Paris (8e) . - Elysées 05-38 Tous droits réservés — Copyright1 by les Editions de l’EtoHe PSYCHANALYSE DE «PSYCHO» par Robin Wood Anthony Perkins dans Psycho. Psycho, après la détente de Noith by Northwest, marque le retour du metteur en scène au sérieux,, et à certains des thèmes de Verfigo. Dans Verfigo, le désir du héros de ré-imposer l'illusion sur la réalité se matérialisait dans une quête macabre ; ici encore le triomphe de l'illusion signifie la mort du psychisme d'un individu. Le film, partant du familier et du quotidien, s'enfonce toujours plus avant dans l'anormal. Immédiatement après le générique, la caméra nous montre une grande ville et les toits des maisons : cliché banal entre tous. Soudain, de façon absolument arbitraire, on nous donne la date et l'heure, à une minute près. La caméra se rapproche des maisons, hésite un moment, puis avec le même arbitraire apparent choisit une fenêtre et nous emmène y jeter un coup d'œil. Ce pourrait être, semble-t-il, n'importe 1 quelle fenêtre, n'importe quand. Nous nous trouvons ainsi plongés dans le monde familier et détaillé du normal, mieux préparés à la banalité . de la brève scène d'amour qui suit, avec sa discussion sur les soucis d'argent. Cet univers, précisément parce qu'il a été situé avec tant de minutie dans le temps et l'espace, est notre univers ; ces personnages sont nos frères. L'identification avec Marion Crâne est indispensable aux thèmes d'Hitchcock : rapports entre le normal et l'anormal, et universalité en puissance de l'anormalité ; d'où les rapports entre la libre person nalité et celle qui ne l'est pas, et le gouffre qui les sépare. La structure technique de Psycho diffère notoirement de ce à quoi Hitchcock nous avait habitués dans ses précédents films, notamment les trois derniers avec James Stewart. Dans Fenêtre sur cour et Vertigo, par exemple, nous percevions tout à travers le regard du personnage central qui, aussi clairement défini qu'il fût. était un Monsieur-tout-le-monde auquel nous n'avions aucune peine a nous identifier. Ses découvertes étaient les nôtres. Dans Psycho l'enquête se partage entre plusieurs personnages, dont aucun n'est défini avec beaucoup de détails : l'enquêteur, l'amant de Marion, et sa sœur. Notre conscience s'identifie d'autant plus facilement à la leur, aux moments cruciaux, qu'ils sont des marionnettes. Cela a pour résultat de déper sonnaliser le film : son intérêt réside dans ce qui est découvert, non (comme dans Vextigo) dans les réactions de celui qui découvre. Il en résulte que Psycho peut paraître à un observateur superficiel moins cohérent, plus fragmenté (à l'image du brillant générique de Saul Bass, prémonitoire comme si souvent chez Hitchcock), ce qui convient au sujet : la désintégration d'une conscience incapable de maîtriser la réalité. L'absence caractérisée de personnalité des enquêteurs aide également à concen trer l'attention là où Hitchcock le désire ; sur les deux personnages autour desquels tournent toute 1a- construction et le sens du film, Marion Crâne et Norman Bâtes (et, si l'on veut, la mère de Norman). L'idée du film se trouve donc résumée dans l'opposition simultanée et l'aligne ment de la normalité de Marion et de la folie de Norman. Au début du film nous voyons Marion on proie à une impulsion irrésistible, dont l'intensité détruit sa liberté de choix. A partir du moment où elle vole l'argent (et, subtilement, Hitch cock ne la montre jamais se décidant à le prendre — elle n'arrive pas à se décider — - elle est graduellement possédée par sa décision), Marion, sous l'empire de la peur, devient incapable de penser et d'agir rationnellement. Un instant de réflexion suffirait à lui montrer qu'elle n'a aucune chance de réussir, les voix accu satrices qui lui parlent dans la voiture le lui disent clairement ; elle seule pourrait avoir volé l'argent, ses chances d'échapper à la police et de trouver une cachette sûre sont si minces que nulle personne sensée ne les envisagerait sérieusement. Elle sait que même son amant refusera l'argent et la solution qu'il procure (elle n'arrive pas à terminer la conversation imaginaire qu'elle poursuit mentalement avec lui, tout en conduisant). Son comportement, en fait, est très voisin de celui de Norman qui, lui, est « possédé », détail qu'explicitera un peu plus loin leur conver sation. La séquence avec le policier soupçonneux et l'échange de voitures le soulignent bien. Puisqu'elle a été repérée, il n'y a absolument aucune utilité à changer de véhicule : le policier retrouvera le nouveau aussi aisément que l'ancien. Elle gaspille dans l'affaire 700 dollars, mais elle ne peut agir différemment. S'étant abandonnée à son impulsion criminelle (nous apprendrons un peu plus tard que Norman, plusieurs années auparavant, a pareillement succombé à une impulsion encore plus terrible), elle ne contrôle plus sa volonté. La fonction essentielle de Marion dans le film est, en fait, de combler le gouffre entre la normalité du quoti dien et la psychose : sans ces vingt premières minutes qui paraissent à certains 2 John Gavin et Janet Leigh dans Psycho. critiques inutiles, le film perdrait son universalité et deviendrait une simple descrip tion d'un cas psychologique particulier. L'impression d'être entraîné inexorablement, malgré soi, est brillamment rendue par des moyens assez banals. Nous voyons le visage de Marion en train de conduire, les yeux fixés sur la route, comme magnétisée (Hitchcock excelle à utiliser de façon significative et expressive les yeux tout au long du film), puis nous prenons sa place et voyons la route dérouler son ruban devant nous, de sorte que nous arrivons à nous identifier avec Marion, à partager son angoisse, son sentiment d'être envahie par une force irrésistible. Le policier, évidemment, avec son regard inscrutable derrière les lunettes noires, représente pour Marion et pour nous, grosso modo, la conscience. Dans ce cas, la certitude qu'elle ne pourra pas échapper aux conséquences de son acte. La clé du film réside dans la confrontation de Marion et de Norman : et parti culièrement dans leur conversation pendant qu'ils mangent des sandwich.es, juste après que Marion a entendu la querelle de Norman et de sa mère. Leur conver- sation aborde clairement les thèmes sous-jacents du film, libre arbitre et prédéter mination psychologique. Et c'est grâce à cette conversation que Marion arrive à se libérer de son obsession, qu'elle décide de rendre l'argent par une impulsion aussi naturelle que précédemment celle de voler, s’échappant ainsi du piège dans lequel, telle un oiseau, elle s'était attrapée. En fait elle se libère grâce à sa per ception intuitive de la condition de Norman : il ne peut pas s'échapper. Le voyant, elle découvre qu'elle a retrouvé sa liberté de choisir. Les oiseaux jouent un rôle capital dans la scène — les oiseaux que Norman a empaillés — et leur signification est complexe. Il pense d'abord à Marion, de manière assez sinistre, comme à un oiseau : et à ce moment un oiseau de proie pend sinistrement au-dessus de sa tête, le regard tourné vers Marion, Il y a là une double métaphore visuelle : Norman est à la fois l'oiseau de proie et la victime, prisonnier lui-même de sa propre angoisse et de son incapacité à vouloir. Il est à vrai dire une victime précisément parce qu'il est un oiseau de proie. Ses actes l'ont condamné, tel Macbeth, à un état d'aboulie perpétuelle où chaque instant prédétermine le suivant. Marion, de son côté, est un oiseau, parce qu'elle est libre — non pas un oiseau de proie, mais un être libre, spontané, naturel. Et c'est parce uploads/Litterature/ cahiers-du-cinema-113.pdf
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- Publié le Jul 06, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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