Camus, L’Étranger : le meurtre Introduction L’Étranger, roman d’Albert Camus, s
Camus, L’Étranger : le meurtre Introduction L’Étranger, roman d’Albert Camus, se déroule à Alger, où vit Meursault, le personnage -narrateur, à l’époque où l’Algérie était une colonie française. Une altercation opposant son ami Raymond, qui est armé, à deux Arabes vient d’avoir lieu. Meursault l'oblige à lui remettre son revolver pour éviter le pire. Au moment où tout peut basculer, les Arabes se dérobent. Les deux amis retournent alors au cabanon où ils avaient décidé de passer la journée, mais finalement, Meursault qui n'a pas envie de rentrer, repart seul sur la plage, toujours en possession de l’arme de Raymond. Dans ce passage, il rencontre à nouveau par hasard l’un des deux Arabes et le tue. Comment à travers cette page et cet acte d’une extrême gravité, se dessine le portrait d’un personnage en proie à l’absurdité de l’existence ? Nous étudierons comment le narrateur confère à l’environnement naturel et aux circonstances une importance et un poids décisifs, puis nous analyserons le personnage de Meursault, figure d’antihéros, à la fois tragique et absurde. I- Un personnage soumis à la fatalité Phrase d’introduction : La fatalité est marquée par la présence d’une force transcendante qui pèse sur le personnage : « glaive », « lame étincelante », le ciel » ainsi que la personnification des éléments. Le cadre naturel, dominé par la figure du soleil, joue un rôle essentiel dans la scène, car il perturbe les facultés du héros et semble commettre le meurtre à sa place. 1. Un cadre perturbateur et hostile (mirages) Le mirage est un effet d’optique qui trouble la perception visuelle. Il est souvent associé au soleil et à la grande chaleur dans le désert. Le phénomène du mirage intervient à deux reprises dans le texte. Tout d’abord, aux lignes 4-5, le jeu des ombres et de la lumière sur le visage de « l’Arabe » donne au narrateur l’illusion qu’il sourit : « Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire ». Puis, aux lignes 22-24, la lumière qui touche le couteau donne à Meursault l’impression que la lame l’atteint : « La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front ». On constate que dans les deux cas, il s’agit d’un mirage dû au soleil et à la lumière qu’il produit. 2. les éléments personnifiés • Les éléments : le soleil, la plage sont personnifiés car le narrateur leur prête des intentions: « la mer a charrié un souffle épais et ardent», «toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi.» ; à travers cette formulation, on comprend que les éléments apparaissent comme une force qui pousse le personnage à agir malgré lui. • Les objets, à savoir le couteau et le revolver, sont également personnifiés grâce au vocabulaire utilisé pour les décrire. Ainsi, le narrateur choisit d’utiliser le terme « ventre » pour parler de la crosse du revolver, ce qui accroît la confusion entre l’objet et l’humain. De la même manière, le fait que le couteau et le revolver semblent agir de leur propre initiative les personnifie : « cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux », « la gâchette a cédé ». Ils semblent mus par une capacité de mouvement autonome, ce qui relègue l’action humaine au second plan. 3. Le soleil comme image de la fatalité • Il apparaît dans ce drame comme l’acteur essentiel : - omniprésent, il envahit le texte, donc la conscience du narrateur. On peut relever six occurrences du terme, relayé par les champs lexicaux de la lumière et de la chaleur qui accentuent encore sa puissance, avec des termes forts comme « brûlure » (l. 4), « éclatant » (l. 15), « ardent » (l. 17), « feu » (l. 18). - De plus, le lien que la présence du soleil dessine avec l’enterrement de « maman » montre qu’il suit le personnage depuis le début de l’intrigue. - la luminosité, ici, loin de rendre plus claire la perception, est source de confusion : « Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire ». De même, elle conduit à la métamorphose du couteau en « épée » et en « glaive ». • L’attaque du soleil est encore renforcée par les nombreuses comparaisons et métaphores qui le plus souvent introduisent la référence à une arme : « comme une longue lame étincelante » (l. 11), « les cymbales du soleil sur mon front » (l. 14), « le glaive éclatant » (l. 15), « cette épée brûlante ». L’emploi de l’imparfait insiste sur le déroulement de cette agression, vécue comme une épreuve douloureuse par le narrateur. → Cet élément naturel est présenté comme le véritable adversaire de Meursault : le personnage de l’Arabe, lui, n’est mentionné que deux fois, et de manière très rapide. La proposition « l’Arabe a sorti son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil » (l. 10) révèle ce glissement, dans la conscience de Meursault, du personnage au soleil. Le corps même de l’Arabe semble s’effacer sous l’effet de l’éblouissement. Enfin, le narrateur fait clairement de son geste meurtrier une action dirigée non contre l’Arabe, mais contre le soleil et ses effets : « j’ai secoué la sueur et le soleil » (l. 20). • Les autres éléments naturels participent de cette violence qui semble s’acharner sur le personnage : « la mer a charrié un souffle épais et ardent » (l. 16-17), « le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu », l. 17-18. → Le soleil apparaît donc comme une incarnation du destin dans la tragédie qui se joue pour le héros, de la même manière que les dieux dont les hommes sont les jouets. 4. Le hasard - Le hasard joue aussi un rôle important puisque c’est lui qui met en contact Meursault et l’Arabe. Le récit semble procéder d’abord lentement, avant de céder à une brusque accélération finale au moment du geste meurtrier : - l’action – « élément déclencheur »-,est soulignée avec insistance et comme étirée dans le temps, mettant ainsi en évidence le drame qui peut en découler : « A cause de cette brûlure que je ne pouvais pas supporter, j’ai fait un mouvement en avant », « en me déplaçant d’un pas », « Mais j’ai fait un seul pas en avant ». Par ailleurs, les faits sont présentés comme obéissant à un enchaînement inéluctable ; - on relèvera ainsi les nombreux connecteurs logiques et temporels qui rythment, de manière tragique, l’action vers son terme fatal. Si dans sa réalité concrète le crime semble demeurer « étranger » à Meursault, le récit souligne que le narrateur a conscience qu’il s’agit d’un moment de rupture dans son existence, d’une véritable fracture : « c’est alors que tout a vacillé », « c’est là… que tout a commencé », « j’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux ». Le plus-que-parfait d’aspect accompli signale cette rupture et son caractère irréversible : « […] j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux ». - La phrase finale, par sa métaphore, associe nettement les quatre coups de feu à l’image d’un destin aussi tragique qu’absurde : « Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais à la porte du malheur ». - le vocabulaire et les expressions, dans une espèce de démesure, concourent même à évoquer la fin du monde, l’Apocalypse : « la mer a charrié un souffle épais et ardent », « l'ivresse opaque qu'il me déversait », « le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu » « Tout a vacillé ». Le mélange du feu, qui symbolise les Enfers, et de l'eau, qui connote au déluge, appuie cette notion d'Apocalypse. L'espace perd ses points de repère : avec ce mélange chaleur-eau, on a l'impression que la mer et le ciel se confondent avec la chaleur. Transition : Nous avons mesuré, dans un premier temps, à quel point Meursault semblait être le jouet de forces transcendantes dans le texte. Dépossédé de soi, il fait figure de héros tragique, capable de susciter la crainte et la pitié, puisqu’il est à la fois victime et coupable. Nous nous intéresserons donc à présent à sa dimension de héros tragique. II- Meursault : un personnage d’antihéros, à la fois tragique et absurde 1 Phrase d’introduction : Meursault fait, par bien des égards, figure de héros tragique, dans un épisode fortement dramatisé. L’acmé2 marque ici un moment décisif et irréversible. 1. Une scène fortement dramatisée : entre tragédie et western Les gros plans sur le visage et le regard des deux personnages, sur la main qui tient l’arme, leur situation l’un par rapport à l’autre et la présence du soleil évoquent la scène topique 3 du duel dans le western. L’écriture romanesque se nourrit donc ici de codes cinématographiques. 2. Un personnage responsable uploads/Litterature/ camus-l-x27-etranger-la-scene-du-meurtre.pdf
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- Publié le Jan 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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