LES CARRÉS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHÉMATIQUE ARABE Yves MARTIN L’atelier
LES CARRÉS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHÉMATIQUE ARABE Yves MARTIN L’atelier a été conçu en trois parties : • On a commencé par la présentation de la récente traduction et édition d’un manuscrit arabe du XIIIe s. intitulé « L’arrangement harmonieux des nombres ». Cette première partie a été l’occasion de donner un aperçu historique sur les carrés magiques, avant d’entrer dans le détail de quelques constructions du manuscrit. • Une deuxième partie a proposé une approche plus contemporaine, orientée vers des concepts de structure des carrés magiques, sur la base des décompositions par congruence initiées par Euler, et jusqu’à la théorie des corps. • Une troisième partie a proposé l’utilisation d’un logiciel de manipulation des carrés magiques et d’étude des structures ainsi engendrées. Cette partie n’a pas été reproduite ici ; toutefois, le logi- ciel (pour Macintosh, avec une prise en main d’une quarantaine de pages), et plus de 400 fichiers de carrés magiques sont disponibles sur le site de l’IUFM de La Réunion (http://www.reunion.iufm.fr/). PARTIE I. « L’ARRANGEMENT HARMONIEUX DES NOMBRES » Définitions de base Un tableau de dimension n (i. e. une matrice carrée d’ordre n) sera dit magique si la somme de ses lignes, de ses colonnes, et de ses deux diagonales est constante. 23 6 19 2 15 10 18 1 14 22 17 5 13 21 9 4 12 25 8 16 11 24 7 20 3 Un carré magique « de Bachet » Si de plus, ce tableau ne contient que les nombres entiers de 1 à n2, tous les termes étant différents, on parle alors de carré magique. La somme magique d’un carré magique de dimension n est s n n n = + ( ) 2 1 2. 242 LES CARRÉS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHÉMATIQUE ARABE On dira aussi d’un tableau magique qu’il vérifie la contrainte du carré, pour dire que, la magicité étant préalablement connue, on sait de plus que c’est un carré magique, c’est-à-dire qu’il comporte tous les nombres de 1 à n2. Deux carrés (ou ta- bleaux) magiques seront dits isométriques si l’on peut passer de l’un à l’autre par l’une des isométries du carré. La notion de magicité s’étend aux autres diagonales. Quand un tableau magique vérifie cette propriété (avec la même somme) pour les diagonales secondaires, on parle de tableaux panmagiques ou encore de « carrés magiques diaboliques » (termi- nologie de Bachet). Quelques dates • Le carré magique de dimension 3 est connu en Chine vers – 2200. • On note une pratique régulière des carrés magiques (CM dans la suite) en Chine et en Inde par des méthodes relativement lourdes. • Forte implantation de la pratique des constructions des CM dans le monde arabe à partir du Xe s. • Introduction en Europe par Moschopoulos (1420). • La méthode « traditionnelle » du cas impair (cf. carré ci-dessus), due au père jésuite François Spinula (1562), est généralement attribuée à Bachet de Méziriac. • Frénicle dénombre les 880 CM d’ordre 4, et propose un classement (1693). • L’édition de l’ouvrage Problèmes plaisants et délectables qui se font par les nombres de Bachet de Méziriac (1612) a fortement popularisé le thème des CM. • Utilisation d’arguments algébriques à partir d’Euler. Conjecture d’Euler dite « des 36 officiers » pour n = 4k + 2, sur l’inexistence de CM composés de deux carrés latins ; on appelle de tels carrés des carrés eulériens. Un autre thème d’étude est celui de la recherche de carrés latins auto-orthogonaux, c’est-à-dire réalisant un CM avec leur propre transposition. • Preuve de la conjecture pour n = 6 par Tarry (1898). • Non-existence des CM diaboliques en dimension impaire (1899). • Les constructions de Margossian (1920) permettent d’assurer qu’il existe des CM diagonaux – ou pandiagonaux – pour toute dimension impaire autre que 3 et pour toute dimension multiple de 4. • Infirmation de la conjecture d’Euler pour n > 6 par Bose, Parker, Shrikhande (1959). • Réalisation d’un carré latin auto-orthogonal en dimension 10 par Heydayat (1971). • Dénombrement des 275 305 224 CM de dimension 5 par Schroeppel (1973). • Utilisation des corps finis pour la résolution de certaines questions théoriques par Bouteloup (1991). Nous reviendrons sur certaines de ces notions, et sur d’autres, dans la seconde partie de cet exposé. Yves MARTIN 243 Les écrits arabes sur les CM Les héritages du monde arabe après la fondation de Bagdad (762) (essor du savoir scientifique par un travail de synthèse et de traduction) Mésopotamien • Équations et systèmes d’équations de degrés 1 et 2 Indien • Système de numération • Arithmétique Grec • Fondements du raisonnement mathématique (axiome / définition / théorème) On signale les premières traces d’études arabes sur les CM vers le VIIe s., et l’existence d’un traité complet au IXe s, dû à Thabit ibn Qurra (836-901). Ensuite, dès le Xe s., deux textes ont été conservés : • Introduction à l’arithmétique (al Ankati, 987) : cet ouvrage est une traduction d’un ouvrage du grec Nicomaque, auquel l’auteur a ajouté lui-même un chapitre sur la construction des CM. • Traité sur les carrés magiques (Abul Wafa al Buzjani, 940-997). Dans ce traité, tous les procédés sont expliqués, mais ils sont longs et fastidieux. Les règles générales sont clairement issues de nombreux exemples. Les CM sont aussi régulièrement mentionnés dans les traités alchimistes, qui leur attribuent des vertus ; par exemple, à propos du CM 3 : « On trace cette figure sur deux vases de terre où l’on n’a jamais versé d’eau. On les place sous les pieds de la femme en couches. Si elle regarde ces vases avec attention, elle sera aussitôt dé- livrée. » (Souffi Ghazzali, 1058-1111). État des connaissances au Xe s. • CM à bordure pour tout ordre à partir du CM 3 ou d’un CM 4 de départ. • « Produit » de CM pour des ordres composés soit impairs, soit multiples de 4, soit encore multiples de 6 (autres que 6). • Quelques procédés directs pour les dimensions impaires ou multiples de 4. Le manuscrit de « L’arrangement harmonieux des nombres » • Date de 1250 (ou antérieur) – traduction française de Jacques Sesiano en 1996. • Compilation de très nombreuses méthodes connues. • Ignore toutefois les dimensions 4k + 2 pourtant abordées avec succès pour cer- tains ordres (8k + 2) dès le milieu du XIe s., et systématiquement résolues, pour tout ordre, au début du XIIe s. • Les méthodes présentées sont encore lourdes et fastidieuses. Les mêmes cons- tructions seront exposées de manière plus élémentaire dans les siècles suivants, avant même l’apparition de notations algébriques. 244 LES CARRÉS MAGIQUES DANS LA TRADITION MATHÉMATIQUE ARABE Exemple 1 : méthode des bordures pour une dimension impaire, de l’intérieur vers l’extérieur Par méthode des bordures, on entend les méthodes qui construisent des CM tels que si on supprime les lignes et colonnes extérieures, le tableau restant est encore magique. Un carré est dit, par extension, à bordures concentriques quand cette mé- thode est itérée à chaque rang depuis un carré de départ de dimension 3 ou 4. Ce sont de telles méthodes, connues depuis le X e s. que l’on aborde dans les deux premiers exemples. On y verra en particulier combien les explications, en l’absence d’argu- ments algébriques, sont nécessairement lourdes. • Étape 1 : « on place le milieu au milieu ». Par milieu, on entendra le nombre central ( ) n2 1 2 + puisque nous sommes ici en dimension impaire. • Étape 2 : « puis ses deux plus proches, obliquement sur une diagonale ». Sous- entendu symétriques, dans les cases adjacentes au centre (quatre choix : deux pour les diagonales, deux pour la place de ces nombres). • Étape 3 : « puis on place celui qui précède le moindre à côté de lui ». Par exemple, ci-dessous, on place le 3 à côté du 4. Notons qu’il y a deux possibilités pour ce « à côté » : horizontalement ou verticalement. • Étape 4 : « on place ensuite le précédent dans la case correspondante du cava- lier, et le précédent dans la case correspondante du cavalier ». On notera que pour le cas de la dimension 3, il y a unicité de ces deux positions. • Étape 5 : « ensuite, on place les nombres supérieurs qui leur sont complé- mentaires en face ». L’auteur précise ce qu’il entend par complémentaires : ce sont deux nombres qui « ont leur distance au moyen la même et leur somme égale au double du moyen », en d’autres termes deux nombres a et ′ a tels que a a n + ′ = + 2 1. Le terme « en face », qui n’est pas défini dans le texte, s’interprète par une symétrie centrale par rapport au centre du carré. Si on applique les étapes 1 à 5 à la dimension 3, on remplit le CM dans l’une de ses huit isométries, car il y a quatre choix possibles dans l’étape 2 et deux dans uploads/Litterature/ carres-arabes.pdf
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- Publié le Mar 16, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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