LA CONTEMPLATION DES DIEUX ANIMISTES DANS LES ROMANS DU SUD Boubacar Diallo DAO
LA CONTEMPLATION DES DIEUX ANIMISTES DANS LES ROMANS DU SUD Boubacar Diallo DAOUDA Éditions de l'EHESS | Cahiers d'études africaines 2002/1 - n° 165 pages 31 à 50 ISSN 0008-0055 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2002-1-page-31.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- DAOUDA Boubacar Diallo, « La contemplation des dieux animistes dans les romans du Sud », Cahiers d'études africaines, 2002/1 n° 165, p. 31-50. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de l'EHESS. © Éditions de l'EHESS. 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En Afrique, en Amérique latine et aux Antilles — la vaste sphère artistique du Sud —, les religions révélées pâtissent de la tendance d’une partie des romanciers à magnifier l’animisme. Leur écriture aux visées subversives loue le poly- théisme dans le but inavoué de railler et de démystifier les confessions monothéistes. Nos auteurs sèment le trouble chez les adversaires de la reli- gion naturelle africaine. La contemplation des divinités intègre les méca- nismes de l’écriture romanesque des espaces littéraires émergents. Cette hypothèse pourrait se vérifier par une analyse approfondie de La contempla- tion des dieux animistes dans les romans du Sud. L’expérience contemplative d’une génération de romanciers du Sud est devenue un tremplin esthétique faramineux. Cette activité contemplative présente plusieurs aspects fondés sur une vision dialectique amenant quelques créateurs à envisager les dieux dans leur grandeur puis dans leur dérision. Véritable douleur, la contempla- tion doit sa thérapie à l’expression libidinale appelée acte d’écriture. La contemplation, une expérience esthétique ? La religion est le terrain de prédilection de la contemplation car les adeptes de toutes les religions du monde s’adonnent à l’adoration de leur Seigneur en essayant d’en être plus près par le biais de la prière et de la méditation. Cahiers d’Études africaines, 165, XLII-1, 2002, pp. 31-49. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.128.19.71 - 20/12/2014 18h46. © Éditions de l'EHESS Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.128.19.71 - 20/12/2014 18h46. © Éditions de l'EHESS 32 BOUBACAR DIALLO DAOUDA Chaque religion — monothéiste ou polythéiste — possède sa liturgie incan- tatoire dotée d’une profondeur mystique qui découle de la parole sacrée. L’expression verbale originelle a créé le lien étroit de la littérature avec la religion. La méditation religieuse est le foyer même de la contemplation. La littérature étant l’art de l’imitation et de la représentation, elle a vu se développer, à un certain niveau, une forme remarquable de prière et de méditation apparentée au rituel religieux mais qui s’en est départie pour devenir une contemplation poétique. La contemplation poétique Le dieu Koumbasâra de la mythologie peule, séquestré dans les murailles de la déesse maléfique de Wéli Wéli et dépouillé de sa puissance trans- cendantale, ne pouvait être délivré qu’après avoir contemplé un mouton magique amené par le bienfaiteur Bâ Wam-ndé. Cet adjuvant affranchit ensuite Demba Nyassorou, l’autre dieu enfermé dans une gourde métallique. La contemplation exercée par de nombreux auteurs sur la société de leur temps est un acte esthétique par essence. Rabelais, Molière, Hugo, Baude- laire en littérature française, Senghor, David Diop, Césaire et Birago Diop, dans le domaine afro-antillais, ont eu une attitude contemplative devant des objets physiques ou métaphysiques. En Grèce, Achille Tatius, Chariton, Héliodore, Longus et Xénéphon d’Éphèse contemplèrent les dieux hellénis- tiques dans leur fiction. La création romanesque dans la littérature grecque à l’époque impériale d’Alain Billault (1991 : 231) résume ce roman ances- tral à « un objet de contemplation ». La littérature hellénistique, d’inspira- tion païenne dominée par Les pastorales, Les éthiopiques, Les éphésiaques ou alors Daphnis et Chloé, traitait fondamentalement d’aventures dans les- quelles les divinités grecques subissaient des métamorphoses identiques à celles que vivent les dieux africains à l’époque contemporaine. La contem- plation convoque un comportement spirituel et matérialiste. Elle est spiri- tuelle lorsqu’elle vise un mouvement vers Dieu. Hugo la pratiquait sous la pression de la religiosité. La contemplation est matérielle quand elle se contente de pénétrer un objet affecté d’une essence transcendantale sans déférence de la part du contemplateur. Entre dans ce registre la reconstitu- tion des rites africains des textes ethnographiques et anthropologiques de Delafosse, Calame, Griaule, Gilbert Durand (1992) et des autres africanistes qui, au siècle dernier, caressèrent l’espoir de promouvoir les civilisations non judéo-chrétiennes Les auteurs africains ont prolongé ces initiatives en décrivant les rap- ports mystiques qui les unissent au panthéon animiste. Leurs œuvres ont une communauté d’esprit avec celles spiritualistes du XIXe siècle, telles Les contemplations où Victor Hugo, emporté dans une passionnelle quête spiri- tuelle, découvrait la foi, la sérénité et la vérité. Contempler, c’est regarder, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.128.19.71 - 20/12/2014 18h46. © Éditions de l'EHESS Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.128.19.71 - 20/12/2014 18h46. © Éditions de l'EHESS DIEUX ANIMISTES DANS LES ROMANS DU SUD 33 savourer, aimer ou rejeter. L’acte contemplatif impose une attitude dialec- tique où se crée la relation de proximité, d’adhésion, de conjonction comme de disjonction entre le sujet contemplant et l’objet contemplé. Henri Benac l’assimile à « un long examen, entraînant le ravissement, et parfois l’extase, d’un objet physique ou métaphysique dans lequel la pensée s’absorbe ». La contemplation « s’accompagne de réactions affectives de tous ordres (admi- ration, horreur, amour) » (Benac 1988). La sensibilité contemplative traverse la littérature romanesque du Sud, avec en toile de fond la vie des Orisha, les dieux du Vodou, la ferveur ou bien la déréliction des prêtres et des sujets africains. La sensibilité animiste des romanciers du Sud En introduisant une nouvelle édition de La légende des siècles, Léon Cellier de l’université de Grenoble remarquait que « l’animisme du poète nous ramène à cet univers légendaire où baigne l’inconscient collectif et où nous retrouvons aussi le monde de l’enfance ». Ceci s’avère pour la littérature africaine où la contemplation qui imite les rites animistes devient une action initiatique. L’animisme, qui est le fonds culturel de nos sociétés secrètes, a été suffisamment véhiculé en littérature orale par le conte, l’épopée, la légende et le mythe. Aujourd’hui, les romanciers l’utilisent à des fins sinon idéologiques au moins purement romanesques. Ils se sentent affranchis du respect et de la complaisance à l’endroit des croyances ancestrales. Ils ne craignent pas d’en faire un objet de dérision. Ils empruntent aux traditions ce qu’elles ont de poétique mais éreintent également leurs aspects déplaisants. L’activité contemplative de Yambo Ouologuem (1968), d’Ahmadou Kourouma (1990), des auteurs antillais comme Patrick Chamoiseau (1992) et des Latino-Américains tels que Gabriel Garcia Marquez ou Jorge Amado (1976) est représentative de l’image pittoresque dans laquelle bien des écri- vains du Sud enveloppent les dieux africains. Ils affectent une conscience, une parole et des sentiments aux choses comme aux animaux. Les protago- nistes de Kaïdara de Amadou Hampâté Bâ invoquent Gueno, le Dieu suprême. Les personnages du Double d’hier rencontre demain de Boubou Hama (1973) parcourent le monde hermétique des Attakurma1. Ceux de Mamani (1980), pétris des valeurs du peuple Azna, jurent par la foudre. Mankunku de Dongala ne reconquérit l’unité cosmique que la nuit où il revient sur les lieux de sa naissance. Dans Gros plan de Idé Oumarou, le dieu de la foudre, dans une espèce de justice immanente, venge Tahirou en tuant son tortionnaire. Les héros de Monénembo (1993) accomplissent sou- vent les épreuves initiatiques de l’Afrique ancienne. Sibé dispense à Cousin Samba le savoir alchimique et le mystère de la nature : « [...] Le vieux lui 1. Nains en langues nigériennes. 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- Publié le Sep 12, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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